Comment baliser au mieux les innovations technologiques et organisationnelles qui transforment le système de santé français ? Depuis sa création en 2004, la Haute Autorité de santé (HAS) porte différentes missions dont l’évaluation de la qualité et de la pertinence des innovations au bénéfice des patients et des personnes accompagnées. Le Pr Lionel Collet, président depuis un an, revient sur les multiples défis à relever.

Décideurs. Quelle place occupe la HAS dans le système de santé français ?

Lionel Collet. La HAS représente la seule autorité publique indépendante en matière de santé. Seconde singularité, le caractère scientifique de l’institution lui vaut l’attribution de trois grandes missions qui visent à expertiser la qualité du système de santé à des fins de régulation. Plus précisément, nous assurons l’évaluation des technologies de santé telles que les médicaments, les dispositifs médicaux (DM) ou encore les actes professionnels en vue de leur remboursement. Nous mesurons la qualité des soins dans les établissements de santé, notamment à travers le dispositif de certification et des accompagnements au sein des structures sociales et médico-sociales. Enfin, nous élaborons des recommandations de bonnes pratiques professionnelles, ainsi que des recommandations vaccinales et de santé publique à destination des décideurs publics.

La médecine algorithmique, les thérapies géniques ou les immunothérapies prouvent que les innovations technologiques en santé sont légion. Comment assurer leur prise en charge au service du plus grand nombre ?

Notre priorité à la HAS est d’assurer un accès sécurisé à des soins de qualité. Si nous examinons les demandes d’accès au remboursement de médicaments présumés innovants, notre méthode d’évaluation se concentre sur l’amélioration du service médical rendu sans prêter attention au coût du médicament. Selon le prix négocié entre le CEPS (Comité économique des produits de santé) et l’industriel, le fabricant décide de mettre, ou non, son produit sur le marché. Cette étape forme souvent un point de cristallisation. Par exemple, l’arrivée du sofosbuvir, premier médicament à guérir l’hépatite C en 2013, avait conduit à prendre des dispositions législatives pour encadrer son coût exorbitant, alors de 100 000 euros par an. Aujourd’hui, le prix de certains traitements s’élève jusqu’à plusieurs millions d’euros.

"[La négociation] de prix entre le CEPS (Comité économique des produits de santé) et l’industriel [...] forme souvent un point de cristallisation"

Plusieurs dispositifs tels que la prise en charge anticipée de dispositifs médicaux numériques (Pecan), le forfait innovation ou l’accès précoce aux médicaments ont fait de la France une nation propice à l’accueil d’innovations majeures. Sur plus de 200 demandes d’accès précoce enregistrées entre 2021 et 2023, près de 80 % ont été accordées. Un chiffre qui permet de rappeler les critères d’éligibilité des thérapies innovantes, à savoir un traitement significativement innovant qui entend soigner une maladie rare, grave ou invalidante pour laquelle aucun traitement n’est disponible et dont la mise en œuvre reste sans possibilité de report. Toujours concernant l’accès précoce, la HAS est tenue à des délais de réponse de 90 jours. Dans les faits, notre médiane se situe à 77 jours, les plus courts d’Europe. Ce travail a permis à 100 000 patients d’en bénéficier. Seul regret, les demandes relatives aux dispositifs médicaux restent moindres par rapport aux médicaments.

Avant la mise sur le marché et le remboursement des médicaments et DM, l'étape des essais cliniques s'imbrique désormais avec les études en vie réelle. Quel est votre état des lieux en la matière ? 

Au sein de la HAS, une cellule dédiée aux données de vie réelles contribue au développement de la pratique de façon fléchée. Lorsque la HAS formule des demandes d’informations complémentaires sur l’utilisation et les bénéfices d’un médicament, il s’agit en majorité d’études en vie réelle, aussi appelées "études post-inscription". Ces données sont complémentaires au développement clinique et doivent être anticipées. Depuis plusieurs années, nous intégrons à notre approche cette pratique qui interroge sur l’évolution du protocole standard d’une étude randomisée. La réalité est que les études de vie réelle sont rarement comparatives, d’où l’importance de travaux de recherche dans ce domaine. En l’état, nous allons vers une logique de traitement de la population puis d’ajustement au besoin. Rigueur scientifique oblige, nous gardons toutefois un impératif en matière de données de très bonne qualité accompagnées d’une méthode robuste et fondée.

L'innovation en santé rime aussi avec des transformations organisationnelles. Comment la HAS accompagne-t-elle la démocratisation de dispositifs de télésurveillance ?

Depuis l’été 2023, la France est le premier pays européen à rembourser la télésurveillance. L’expérimentation de la télésurveillance, portée par le programme Étapes (Expérimentations de télémédecine pour l’amélioration des parcours en santé) et testée sur cinq pathologies telles que l’insuffisance cardiaque, respiratoire ou le diabète, a contribué à son entrée dans le droit commun de façon généralisée. Depuis le début, la HAS est très mobilisée et évalue les solutions de télésurveillance médicale et les dispositions minimales nécessaires pour assurer la qualité des soins. Pour aller plus loin, il reste à renforcer l’interopérabilité des solutions de télésurveillance, mais également à aller au-delà du soin d’une pathologie pour se concentrer sur la personne, parfois porteuse de multiples pathologies, notamment les personnes âgées. Un enjeu essentiel au vu du vieillissement global de la population.

"Depuis l’été 2023, la France est le premier pays européen à rembourser la télésurveillance"

Face aux multiples défis du système de santé tels que la pénurie de professionnels de santé ou des disparités territoriales, la télésurveillance constitue aussi une aide au suivi des patients. La HAS accorde une haute importance à la coordination entre professionnels de santé. Preuve en est, notre récente position dédiée aux protocoles de coopération entre les médecins et les différents professionnels de santé qui entend renforcer la délégation de tâches pour améliorer la qualité des soins mais aussi l’attractivité des métiers, entre autres.

L'évolution de notre système de santé tient aussi à l'engagement des usagers. Quels outils mettez-vous en place ?

La HAS promeut l’engagement des personnes soignées ou accompagnées sous toutes ses formes. Nous avons mis en place un service et un conseil dédiés à l’engagement des usagers et mobilisons l’expérience individuelle et l’expertise collective des patients dans tous nos travaux. Ainsi, l’évaluation de la qualité des établissements de santé intègre différents indicateurs. Parmi eux, le questionnaire e-Satis recueille la satisfaction et l’expérience des patients hospitalisés dès leur prise en charge. L’an dernier, nous avons analysé 1,2 million de réponses révélant un taux de satisfaction élevé.

Quels sont les points d’attention de la HAS pour l’avenir ?

La santé mentale est un champ que nous allons de plus en plus investir. Au-delà d’être le premier poste de dépense de l’Assurance maladie, les pathologies afférentes mènent à une espérance de vie inférieure de quinze ans par rapport à la population générale. Une situation due à un manque de diagnostic et de suivi. Rédiger des fiches de bon usage des médicaments et élaborer des recommandations de prise en charge de certaines maladies constituent nos axes prioritaires.

De même, nous regardons de près les actualités en matière d’IA ou de développement durable. Notre feuille de route santé-environnement, publiée en fin d’année dernière, s’attache à prendre en compte les enjeux environnementaux dans nos évaluations, concernant par exemple les emballages ou la réutilisation de DM. Un sujet qui réserve de grandes transformations au vu des initiatives vertueuses de certains industriels et structures sur le terrain.

Propos recueillis par Léa Pierre-Joseph

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