Harcèlement, discrimination, santé, parentalité. Clarisse Surin aborde pour Décideurs Juridiques tous ces sujets encore trop souvent tabous dans la profession . Elle dévoile deux mesures phares du projet qu'elle porte aux côtés de Thomas Baudesson pour le bâtonnat de Paris : Avocatcare et Materlegal.

Décideurs Juridiques. Vous êtes avocate candidate au co-bâtonnat au barreau de Paris avec Thomas Baudesson lors des prochaines élections des 3 et 5 décembre 2024 et parmi vos ambitions pour la profession, il y a celle de la recherche du bien-être. Un éternel sujet qui revient tous les deux ans sur la table ?

Clarisse Surin. Le harcèlement, la discrimination sont des sujets récurrents des élections de bâtonnat, car bien qu’affectant beaucoup de confrères et consœurs, ils restent paradoxalement, tabous. Beaucoup de consœurs et de confrères n’en parlent pas directement parce qu’ils ont peur des institutions, peur pour leur carrière, peur de l’entre-soi notamment de se faire “griller” dans un milieu où tout le monde se connaît, enfin parce que l’avocat a appris à ne pas dire quand il va mal, ou plutôt à passer outre. J’ai personnellement été victime de harcèlement et de discrimination, et je ne savais pas vers qui me tourner. Des dispositifs existent, mais sont peu connus donc nous devons continuer à en parler, à améliorer les procédures et surtout être un Ordre exemplaire.

Il y a les avocats qui songent à quitter la profession, et ceux qui le font vraiment. Que pensez-vous du phénomène des femmes qui se tournent vers les entreprises, souvent après une grossesse ?

Il faut briser le silence et agir pour la santé des avocats. Quatre-vingt-un pour cent des femmes ne prennent pas soin de leur santé. Ce chiffre interpelle, surtout quand on connaît la part des femmes dans la profession, toujours plus importante. Barreau ou berceau, nous ne devrions pas à avoir à choisir. Personnellement, j’ai une magnifique fille de deux ans et demi et l’idée de raccrocher la robe après ma grossesse m’a traversé l’esprit. Devant la Commission de règlement des litiges de la collaboration ou la commission harcèlement et discrimination, la plupart des litiges ont pour toile de fond le congé maternité ou parentalité, notamment des avocates remerciées pendant leur congé maternité (“tu nous coûtes trop cher, inutile de revenir”), envoyées dans des tribunaux éloignés alors qu’elles viennent d’accoucher et ont un enfant en bas âge, reconnues étrangement incompétentes après leur accouchement, des avocats ne pouvant pas prendre leur congé paternité… Nous sommes près de 17 000 femmes avocates au barreau de Paris, c’est une chance. Avec Thomas, nous continuerons à mettre tout en œuvre pour que nos confrères ne raccrochent pas leurs robes, notamment en généralisant et valorisant la signature par les cabinets d’avocats d’une charte de la maternité et parentalité.

Comment comptez-vous vous y prendre si vous accédez au bâtonnat ?

En faisant du bien-être des avocats l’une de nos priorités. La dépression, l’épuisement professionnel sont de plus en plus courants dans la profession et, conjugués à des attitudes discriminantes, ils deviennent tout simplement inacceptables. L’un des projets phares  de notre programme est la mise en place du dispositif Avocatcare. Un congé de trois mois permettant aux avocats épuisés ou en burn-out de mettre leur activité en sommeil pour prendre soin d’eux et réfléchir à leur avenir dans la profession, sans avoir à se soucier des charges pendant ce temps. Ce dispositif serait assorti d’une convention signée avec les juridictions pour le renvoi des dossiers de l’avocat arrêté, du passage de relais des dossiers à un pool d’avocats honoraires ou missionnés, et d’une indemnisation permettant de couvrir les charges courantes. Ce dispositif souple – un courrier à l’Ordre suffirait pour l’activer – s’inspire d’une pratique américaine qui prévoit la faculté de prendre un congé sabbatique de quelques mois pour se reposer.

Concernant la maternité, beaucoup ont pour seule information sur leurs droits la clause dans leur contrat de collaboration qui renvoie au règlement intérieur de la profession d’avocat (RIN). Or, rater un délai pour transmettre les informations aux organismes compétents, comme la CPAM, peut vous coûter vos droits.  Connaître les démarches à suivre est essentiel. Pour ma part, j’ai attendu quasiment un an et demi pour percevoir mes indemnités journalières de congé maternité à cause d’une erreur de dates de report du congé maternité imputable à la CPAM.

C’est pourquoi nous avons travaillé concrètement et développé la plateforme d’intelligence artificielle Materlegal, actuellement en phase de test auprès de consœurs. Materlegal vise à centraliser toutes les informations de la profession en matière de maternité et  de parentalité, comme les règles applicables, les démarches à effectuer, les interlocuteurs. Mais aussi à calculer les indemnités, à signaler toute difficulté concernant la maternité ou la parentalité à l’Ordre ou à un dispositif de signalement extérieur. Et à permettre aux avocats d'échanger pour faciliter l’entraide, pour créer du lien et identifier les associations au sein de notre Ordre sensible à ses sujets, pour partager les bons plans, pour trouver un avocat de confiance pour reprendre ses dossiers, pour trouver une garde partagée pour ses enfants, à l’heure où il faut parfois verser environ 30 000 euros pour un berceau dans les crèches privées.

Avoir un enfant coûte un certain prix, vous en avez donné un aperçu avec le coût de la subvention berceau. Ce prix est-il davantage élevé pour les femmes avocates ?

La question doit être posée différemment à mon sens. La problématique est surtout : pourquoi les femmes avocates ne prennent pas leur congé maternité ? Lorsque les avocates ont des revenus très faibles, les indemnités journalières qu’elles touchent sont minimes et ne permettent pas, dans la plupart des cas, de couvrir toutes les charges. Certaines envoient leur dossier à la CPAM, au courtier AON, elles oublient d’envoyer les informations à la Caisse nationale des barreaux français pour bénéficier d’une exonération de charges pendant un trimestre. Les charges continuent à courir. Cela vaut aussi pour certaines petites structures dont l’associé devra assumer la perte d’activité en continuant à rémunérer ses collaborateurs et régler ses charges fixes. Dans les faits, le congé maternité peut être un gouffre financier. Et en France, on compte 13 000 collaborateurs et plus de 6 000 petites structures.

Toujours sur le thème de la parentalité, quelles autres mesures souhaiteriez-vous encourager ?

Le règlement intérieur du barreau de Paris ne contient aucune disposition sur la PMA. Pourtant, l’infertilité touche des populations de plus en plus jeunes et affecte le quotidien des avocats qui souhaitent devenir parents. La PMA est un traitement lourd et difficile. Poser des arrêts maladie ne suffit pas pour soulager les avocats qui passent par là. Notre règlement intérieur doit évoluer. Autre point : le retour au travail après la naissance d’un enfant. Il faut encourager les cabinets à mettre en place des dispositifs pour permettre aux femmes avocates d’allaiter. Aujourd’hui, certaines demandent à leurs consœurs de guetter devant la porte le temps de tirer leur lait, avant de le stocker dans un sac thermique, à défaut de frigo. Qu’il s’agisse des injections pour la PMA ou de l’allaitement ou du post-partum, les cabinets doivent prendre en compte ces circonstances, les anticiper, afin de conserver leurs talents.

Et pour les pères avocats ?

En 2021, la durée de leurs congés a été alignée sur celle des salariés : elle est de vingt-huit jours, dont sept jours obligatoires. Certains cabinets jouent le jeu, et d’autres non. Certains l’ignorent. Peu de plaintes remontent à l’ordre. Pour conclure, il est important que l’ordre soit exemplaire.

Propos recueillis par Anne-Laure Blouin

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