À quelques jours de la troisième édition du Sommet de la Transformation durable, nous nous entretenons avec Xavier Kaufman de The Future is Neutral. Il revient avec nous sur la création de la filière économie circulaire initiée par Renault Group et sur les challenges qui attendent l’industrie de l’automobile.

Décideurs. Pouvez-vous nous présenter votre parcours et vos responsabilités chez The Future is Neutral ?

J’ai construit ma carrière dans l’industrie automobile. Au fil des ans, j’ai exploré un peu toutes les étapes du cycle de vie d’une voiture, à commencer par l’approche traditionnelle d’un constructeur : la concevoir et la vendre.
J’ai donc commencé par la vente avant d’enchainer pendant des années sur le service après-vente.  De mon point de vue l’après-vente est au cœur du business d’un industriel. Ce n’est aussi pas la première fois que je travaille sur des sujets d’économie circulaire, puisque dans le SAV on se pose beaucoup la question de la réutilisation de pièces existantes comme alternative aux pièces neuves. Ce qui m’a poussé chez The Future is Neutral c’est la conviction que si vous voulez des offres qui soient meilleures pour la planète il faut qu’elles soient avantageuses pour le client. En réduisant au maximum notre empreinte en ressources, on crée de la valeur pour le client et l’entreprises. Car, in fine, nous restons un business !
''En réduisant au maximum notre empreinte en ressources, on crée de la valeur pour le client et l’entreprises''

J’y occupe un double rôle : le premier est de développer les activités de The Future is Neutral en tant que Chief Business Officer tandis que le second est d’appuyer le développement de notre base industrielle de référence, la ReFactory de Flins.

Quelles sont les origines de The Future Is Neutral ? Quels sont ses objectifs ?

La genèse du projet s’inscrit dans la transformation de Renault Group. Plus précisément, elle s’insère dans le plan stratégique Renaulution, que nous avons rendu public en 2021. Son but est de repenser notre organisation en profondeur pour profiter des grands axes de changement de l’industrie : l’électrification ou encore la digitalisation. La circularité est au cœur de ces grands changements qui bouleversent l’industrie automobile. Il y a dix-huit mois nous avons donc lancé cette structure qui se focalise sur un objectif simple : minimiser l’usage de nos ressources. L’idée est d’avoir une société qui y soit uniquement consacrée, et qui regroupe à la fois des hauts niveaux de savoir-faire et une ouverture permettant d’aller chercher des partenaires aux compétences très pointues. Il fallait monter un écosystème très flexible : si nos clients sont dans l’automobile les compétences liés au recyclage ne sont pas forcément là. C’est pour cela que nous travaillons en joint-venture avec Suez sur la gestion de déchets, mais aussi avec d’autres acteurs sur des problématiques précises de recyclage ou de chimie. Nous partageons ainsi les compétences, les investissements et la prise de risque. Cette ouverture se retrouve aussi dans notre clientèle : nous ne nous limitons pas à Renault et voulons travailler avec tous les acteurs de l’automobile.

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Notre objectif est simple : réduire notre consommation de ressources naturelles. Le secteur automobile est en effet un gros consommateur : il totalise environ 10 % de la production mondiale de cuivre, un chiffre qui peut monter à 30 ou 40 % pour le lithium et certains autres métaux rares. Nous sommes donc face à des défis environnementaux, mais également à des questions d’autonomie stratégique pour la France et l’Europe. Et, pour assurer notre approvisionnement, le recyclage et l’économie circulaire constituent à nos yeux une solution.
L’une des forces de l’automobile est d’être propice au recyclage : il est possible d’en réutiliser 85 %, car c’est un gros produit qui fait la part belle à l’acier. Le bât blesse en revanche en ce qui concerne la part de matériaux recyclés dans une voiture neuve, qui plafonne à 30 %. Nous recyclons donc, mais le produit de ce recyclage part dans d’autres industries, et même souvent à l’étranger. Nous voulons in fine créer une boucle courte, en réinjectant directement les matériaux recyclés dans nos voitures neuves. Et nous disposons d’un gisement important, avec 11 millions de voitures envoyées à la casse tous les ans en Europe.
Le remanufacturing est un autre pan de notre activité. Il s’agit de la réutilisation et de la potentielle remise à neuf de pièces de véhicules. Nous disposons d’une société nommée Remaker, qui en fait sa spécialité. Nous récupérons un moteur cassé, le démontons, le réparons, en remplaçons les pièces usées avant de le réinjecter dans le circuit pour qu’il contribue à la réparation d’une voiture. De cette manière, nous réduisons l’impact environnemental de 80 % par rapport à l’utilisation d’un moteur neuf !

Vous évoquiez un peu plus tôt la Refactory de Flins, pouvez-vous nous en dire plus ?

Flins est l’un de nos sites de production historiques. Nous avons choisi en 2020 de réorienter cette usine d’assemblage traditionnelle pour la consacrer tout entière à l’économie circulaire de la mobilité. Désormais, ce sont près de 2 000 collaborateurs qui travaillent sur une douzaine d’activités, certaines gérées par Renault, d’autres par des partenaires extérieurs qui ont rejoint cet écosystème : Remaker dont je parlais plus tôt, mais également des professionnels de la gestion du cycle de vie ou de la réutilisation de batteries usagées, qu’ils remotivent pour stocker de l’énergie.
Nous sommes fiers que la grande majorité de ces effectifs opéraient déjà sur le site de Flins avant sa refonte. Il y a eu un énorme travail de requalification : 2 500 personnes ont été formées. Nous avons d’ailleurs créé, en partenariat avec des industriels et des universités, un Campus de l’industrie circulaire de la mobilité, qui continue à proposer un panel de formations dans la durée.

Quels sont les plus gros freins que vous ayez rencontrés ?

Personnellement, je ne vois pas vraiment de freins, mais plutôt un gigantesque potentiel de croissance. Mais c’est aussi un processus très dynamique et changeant qui rend compliqué le passage de la théorie à la pratique. Nous disposons désormais des solutions techniques, mais l’enjeu est la massification. Nous sommes des industriels : comment atteindre une taille nous permettant d’être aussi compétitifs que le secteur du neuf, voire plus attractifs ? Si le produit recyclé est deux fois plus cher que la matière neuve, il risque de ne pas séduire grand monde.

''Si le produit recyclé est deux fois plus cher que la matière neuve, personne ne suivra''

Nous voulons aussi permettre à nos clients d’anticiper les exigences des futures réglementations européennes, car ceux qui attendront le dernier moment risquent de se retrouver très handicapés. Notre objectif est d’atteindre les 2,3 milliards de chiffre d’affaires et de tripler notre volume d’activité à l’horizon 2030. Nous ambitionnons d’être le leader européen du secteur.

Pourquoi avez-vous choisi de soutenir le Sommet de la transformation durable ? Quel message y porterez-vous ?

Je trouve intéressant que cet évènement s’adresse à une population de décideurs, qu’ils soient économiques ou politiques. Au-delà de la théorie du développement durable, il faut se concentrer sur l’action et s’adresser aux personnes ayant les moyens de prendre les décisions. C’est aussi pour nous une excellente opportunité de rencontrer d’autres industries, qui ont d’autres expériences et qui font parfois mieux, parfois moins bien que nous. Le partage d’informations entre les différentes industries est important.

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Et puis j’ai aussi un petit message à porter : le secteur automobile, bien que souvent pointé du doigt, est malgré tout capable de trouver des solutions. Les besoins de mobilité ne vont pas disparaître, et c’est donc à nous que revient de minimiser l’impact en ressources naturelles d’un secteur aussi structurant que l’automobile. Je suis convaincu que notre domaine est vecteur d’innovation en la matière.

Propos recueillis par François Arias

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