Histoire, économie, BD, sciences… La rédaction de Décideurs vous partage une sélection d’ouvrages stimulants à lire au soleil.

Des Batignolles à l’Ukraine

Gaston

Certains destins d’inconnus ressemblent à de véritables romans, c’est le cas de Gaston Thivet. Enfant des Batignolles, le jeune homme est comme tant d’autres envoyé en Allemagne dans le cadre du STO. Il y rencontre Louba, une Ukrainienne elle aussi réquisitionnée. Le coup de foudre est immédiat. Une fois la paix revenue, Gaston l’épouse et, dès 1946, vient rendre visite à sa belle-famille à Chomtka un "trou" situé au nord de l’Ukraine. Mais une fois entré dans l’URSS stalinienne, plus possible d’en ressortir. Gaston est "condamné" à y faire sa vie, obtiendra la nationalité soviétique, fera carrière comme ouvrier spécialisé dans une usine de pellicules pour le cinéma et la photographie, sera décoré héros du travail, deviendra membre du parti. Années de reconstruction, optimisme post-stalinien, déclin brejnévien, chute du bloc, grand bazar post-soviétique… Gaston Charlovitch est embarqué dans la vie d’un homo sovieticus presque comme les autres. Presque puisque, dans son atelier, il fredonne à voix basse Mistinguett ou Maurice Chevalier. Ultime lien avec son pays d’origine qu’il ne reverra jamais. "Pas grave, je ne me fais jamais de bile, j’ai bon caractère", affirmera-t-il au journaliste Yves Gauthier, spécialiste du monde russe qui a noué pendant des décennies une amitié avec cet étrange naufragé dont la vie mérite d’être connue du grand public.

Gaston, L’Impossible Retour, d’Yves Gauthier, Paulsen, 187 pages, 21 €

Blake et Mortimer, la genèse

Rayon U

Début 1943, pour cause de Seconde Guerre mondiale, le magazine belge Bravo ! n’est plus en mesure d’éditer en version française les aventures de Flash Gordon de l’Américain Alex Raymond. Pour faire rêver ses lecteurs, la parution fait confiance à un trentenaire inconnu et féru d’opéra. Son nom  ? Edgar P. Jacobs. Celui-ci se met au travail et livre Le Rayon U et La flèche ardente réédités en 2023. Le scénario est assez simple. Dans un monde imaginaire, deux puissances, la Norlandie et l’Austradie, cherchent à mettre la main sur un minerai mystérieux aux applications scientifiques infinies. Les deux albums sont le premier galop d’essai du célèbre créateur des aventures de Blake et Mortimer qui commencent à poindre dans l’esprit du Belge. L’agent secret Lord Calder et le professeur Marduk, scientifique barbu et bagarreur, sont les prototypes des deux célèbres Anglais. De même, on retrouve l’espion Dagon et le serviteur indien Adji, version brouillonne d’Olrik et Nasir. Au menu également, des animaux préhistoriques, des civilisations disparues, des souterrains, un rythme narratif qui servent de base de départ à une série qui continue de marquer l’histoire du neuvième art.

Le rayon U, La flèche ardente, d’Edgar P. Jacobs, Éditions Blake et Mortimer, 48 pages et 48 pages, 16,50€ par album

Le Chevalier Blanc

En 1993, Air France frôle le dépôt de bilan. L’ancien fleuron français n’a pas su s’adapter à la déréglementation venue des États-Unis, ni se restructurer afin de se montrer compétitif face à la concurrence. Il est aussi enlisé dans un rapport de force entre le personnel et la direction qui ne fait que se détériorer. La mainmise de l’État achève d’ankyloser le système. Un homme providentiel, qui a fait ses preuves à la RATP mais aussi dans le processus d’autonomisation de la Nouvelle-Calédonie, est nommé aux manettes de la compagnie aérienne. La seule condition que Christian Blanc impose à Édouard Balladur ? Avoir les coudées franches. En quatre ans, il rend l’impossible possible. Air France se désendette et retrouve le chemin de la croissance. Proche du terrain, très à l’écoute, conscient du potentiel de chacun, ambitieux, libre, l’homme ne craint pas les bras de fer. Dans Air France, mourir ou renaître, Théo Sztabholz revient, presque au jour le jour, sur ce redressement et les revirements spectaculaires qui l’ont jalonné. Un cas d’école difficilement duplicable à d’autres entreprises – voire à l’Air France-KLM d’aujourd’hui qui fait encore face à de nombreux défis – mais non moins inspirant

Air France, mourir ou renaître, de Théo Sztabholz, Éditions JPO, 285 pages, 24,35€

Antidotes et anecdotes

Medecine

Existe-t-il une relation entre la petite et la grande vérole ? Sur le plan médical, aucune. La première, autrement appelée variole, est une infection virale extrêmement contagieuse quand la seconde désigne la syphilis, infection sexuellement transmissible. En revanche, les deux maladies s’avèrent liées par les guerres. Dans 30 nouvelles histoires insolites qui ont fait la médecine du Moyen Âge à nos jours, le professeur et ancien chef du département de chirurgie cardiovasculaire de l’hôpital Pompidou, Jean-Noël Fabiani-Salmon, dévoile l’envers du décor. Lorsque les Espagnols ont conquis l’Empire aztèque en 1518, ils ont apporté la petite vérole, allié puissant : alors que la population locale était estimée à 25 millions d’habitants, celle-ci tombe à 1,5 million en 1620. Les locaux n’ont pas manqué de rendre la monnaie de leur pièce aux envahisseurs puisque les Aztèques ont transmis aux conquistadors la syphilis qu’ils ramenèrent en Europe. L’auteur nous en apprend aussi davantage sur le rapport de l’église aux dissections de corps, sur les antivax ou sur l’utilisation de porcs pour remplacer les valves cardiaques de l’homme. De quoi mettre fin à quelques idées reçues.

30 nouvelles histoires insolites qui ont fait la médecine du Moyen Âge à nos jours, de Jean-Noël Fabiani-Salmon, Plon, 336 pages, 22,50€

Axe anglo-nazi

Aigle

C’est un scénario adoré par les auteurs d’uchronie : Si l’Allemagne nazie et le Royaume-Uni s’étaient alliés, que ce serait-il passé ? Impossible de le savoir avec précision mais une chose est certaine, l’axe anglo-allemand a bien failli voir le jour. C’est ce que montre l’historien Éric Branca qui démolit avec méthodologie l’idée reçue selon laquelle les Britanniques ont tout fait pour s’opposer au nazisme autour de Winston Churchill. En réalité, dès la signature du Traité de Versailles, les gouvernements de sa grâcieuse majesté multiplieront les concessions à l’Allemagne afin de rester fidèles à la logique du balance of power dont l’objectif est d’éviter de faire de la France une superpuissance continentale. L’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler ne changera rien. Pire encore, une grande partie de l’élite britannique multipliera les gestes de bonne volonté. Certains par peur de la guerre, d’autres pour faire du business, d’autres encore par idéologie. L’historien met en avant l’importance de personnalités influentes mais peu connues telles que Montagu Norman, Houston Chamberlain, Lord Halifax ou encore le clan Mitford qui ont bien failli donner à l’Histoire un autre tournant. Cet ouvrage permet de mesurer à quel point Churchill est resté longtemps un outsider isolé au sein des élites d’outre-manche.

L’aigle et le léopard, les liaisons dangereuses entre l’Angleterre et le IIIe Reich, d’Éric Branca, Perrin, 396 pages, 23,5 euros

Lucas Jakubowicz, Olivia Vignaud

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