La maîtresse de conférences en stylistique et langue française dénonce régulièrement dans ses écrits et ses prises de parole ceux qui ne souhaitent pas voir la langue française évoluer. Si le français est mouvant, c’est qu’il est bien vivant.

Laélia Véron n'est pas du genre à se complaire dans le passé. La maîtresse de conférences en stylistique et langue française à l’université d’Orléans, qui a tenu pendant trois ans une chronique sur France Inter, aime dépoussier les débats et tire régulièrement à boulets rouges sur l’Académie française. Parmi ses chroniques les plus drôles, une intervention en compagnie de son compagnon d'émission Guillaume Meurice sur la féminisation des noms de métiers, sujet qui a "obsédé" les sages. Après avoir rappelé qu’il n’y avait qu’une seule linguiste à l’Académie française, elle s’amuse avec son comparse à citer les académiciens. Quand Erik Orsenna déclare que le terme "écrivaine" est laid car il contient le mot "vaine", elle rappelle qu’"écrivain" comprend le mot "vain". Les académiciens prédisaient la fin de la langue française à cause de mots comme "autrice" ? "C’était social parce que bizarrement dire une caissière ou une institutrice, ça ne leur posait pas de problème !"

Sujet politique

Outre l’enseignement et la radio, Laélia  Véron est également autrice justement. Elle a notamment co-écrit un livre décapant avec la professeure en sociolinguistique Maria Candea, Le français est à nous ! (La Découverte). Dans cet essai, les deux universitaires remettent l’église au milieu du village : non, la langue française n’est pas en train de mourir. Elle évolue, elle s’enrichit, elle perd des usages. Bref, elle vit et est donc loin du risque de "péril mortel" régulièrement agité. Et si cela émeut certains, cela serait davantage pour des questions sociales et politiques que linguistiques.

"L’élitisme alimente beaucoup les discours sur la langue"

Se moquer d’un accent, critiquer l’usage que font les plus jeunes de certains mots relèverait de "la violence symbolique" qui est "un moyen indirect de rappeler quelles sont les positions sociales du locuteur et de l’interlocuteur, de reproduire, voire de renforcer la relation de domination". Les autrices rappellent que si on disait "chez le coiffeur" et "chez le boucher" à une époque, c’était parce que les commerçants habitaient sur leur lieu de travail. "Aucune règle grammaticale du français n’est enfreinte lorsqu’on utilise la préposition 'à' associée à des noms de métiers dont l’activité s’exerce à des endroits destinés à un usage commercial ou professionnel." Dès lors, la hiérarchie qui subsiste entre "au coiffeur" et "chez le coiffeur" n’a rien à voir avec la grammaire. "L’élitisme alimente beaucoup les discours sur la langue."

Faire la part des choses

Le francais est a nous Petit manuel d emancipation linguistique Petit manuel d emancipation liLaélia Véron, qui est aussi enseignante en milieu carcéral, s’attache à aider ses interlocuteurs à faire la part des choses entre ce qui est linguistique, arbitraire et politique. "La langue fait partie des éléments qui contribuent à maintenir un système social ou à le changer. Il n’est donc pas surprenant que ce soit un domaine traversé par des clivages politiques." L’écriture inclusive en est un bel exemple. Si les moyens de féminiser davantage la langue peuvent être discutés, l’universitaire rappelle que des études en psychologie cognitives montrent que le langage influence nos représentations mentales. Utiliser davantage un masculin prétendument neutre, ne le serait donc pas ! La langue de Molière n’est pas le fruit de normes fixes qu’on ne pourrait remettre en question. Les éditeurs de dictionnaires le savent bien pour faire des choix que ne partagent pas toujours leurs concurrents. Se saisir de la langue française est une "démarche exigeante" mais c’est une "exigence joyeuse". Le français appartient à tous ceux qui le parlent !

Olivia Vignaud

Crédit photo : Thomas Decamps

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