Vincent Binetruy dirige depuis six ans le Top Employers Institute en France, l’autorité internationale qui audite et certifie les pratiques RH à travers le monde. Parmi les défis de demain, les enjeux de rémunération des dirigeants occupent une place essentielle. Il partage son analyse sur la manière dont les critères ESG bousculent les politiques de rémunération traditionnelles.
Vincent Binetruy (Top Employers Institute) : “Les rémunérations des dirigeants du CAC 40 sont de plus en plus complexes”
Décideurs RH. Quel est votre constat concernant les enjeux liés à la rémunération des dirigeants ?
Vincent Binetruy. La thématique est complexe, car les entreprises doivent répondre à des attentes de plus en plus diversifiées, émanant de l’ensemble des parties prenantes : clients, actionnaires, collaborateurs, ONG et autres. Les rémunérations des dirigeants des grandes entreprises sont donc de plus en plus complexes, dépassant le simple salaire fixe pour inclure des mécanismes sophistiqués. Parfois perçus comme des primes déguisées, ceux-ci soulèvent des doutes quant à leur véritable impact sur la prise de décisions durables.
L'intégration récente des critères ESG dans la rémunération des dirigeants marque un pas en avant vers la durabilité…
Nous constatons des différences selon les pays. Ainsi la France est en retard sur le reste du monde en ce qui concerne la responsabilisation des dirigeants quant à l’atteinte ou non des objectifs ESG. Par contre, 50 % des entreprises françaises pour lesquelles nous avons réalisé un audit considèrent leur direction comme responsables de l’atteinte d’objectifs D&I. En revanche, seulement un tiers d’entre elles intègrent ces critères dans le système de rémunération des échelons supérieurs de la hiérarchie.
Le risque de greenwashing ou de social washing reste donc important…
Les pratiques varient considérablement. Certaines entreprises tiennent des engagements dont nous percevons les répercussions tangibles sur le business et l’engagement de leurs collaborateurs. D’autres se concentrent davantage sur un enjeu de communication qui ne se traduit pas toujours dans les actions, ou au contraire qui en font trop avec des résultats qui vont à l’encontre des objectifs fixés... Aux États-Unis, nous observons des entreprises qui font marche arrière sur les questions de diversité et d’inclusion. Certaines, à force de vouloir trop inclure, ont fini par exclure. Il est crucial pour les sociétés de définir des cadres clairs et de fixer des indicateurs précis pour mesurer l’impact des politiques ESG.
"Les entreprises ayant déjà opté pour une transparence accrue des salaires enregistrent de meilleurs taux d’engagement de leurs collaborateurs"
La directive européenne du 10 mai 2023 sur la transparence des salaires aura-t-elle un impact sur la rémunération des dirigeants ?
Les entreprises ayant déjà opté pour une transparence accrue des salaires enregistrent de meilleurs taux d’engagement de leurs collaborateurs. La question est de savoir si cette transparence sera totale ou partielle. S’il est pertinent de communiquer des fourchettes de salaires, rendre publiques les rémunérations individuelles peut avoir des conséquences néfastes, générant parfois des tensions sociales. Ce sujet devra être traité avec prudence.
Propos recueillis par Elsa Guérin