L’intellectuel franco-algérien est embastillé depuis plus d’un mois et sa santé se détériore. Plus de 1 000 personnes se sont réunies au Théâtre Libre pour appeler à sa libération et partager les stratégies efficaces à mettre en œuvre.
Boualem Sansal : un rassemblement propose des pistes concrètes pour sa libération
Lorsqu’ils témoignent sur leur détention, les anciens prisonniers politiques sont unanimes. Le plus éprouvant, c’est le sentiment d’être seul, abandonné et coupé du monde. Si Boualem Sansal reçoit quelques nouvelles venues de France, ce qui s’est passé lundi 16 décembre au soir pourra lui apporter du baume au cœur.
Un millier de personnes se sont réunies au Théâtre Libre pour appeler à la fin de sa détention. L’événement a été organisé par Marianne, Le Point et La Revue politique et parlementaire. Parmi les participants, de simples citoyens mais aussi des figures emblématiques de la vie politique, médiatique et intellectuelle. Ce type de rassemblement a souvent un défaut : les orateurs s’indignent avec des trémolos dans la voix, multiplient jérémiades et phrases creuses sans rien proposer de concret.
Ce ne fut pas le cas lundi soir. Au contraire, les participants ont pu écouter des orateurs engagés et déterminés qui ont déroulé leur méthode pour obtenir la libération de l’intellectuel franco-algérien détenu depuis plus d’un mois.
Pression internationale
Ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt connaît parfaitement les rouages du régime algérien. Selon lui, si la mobilisation s’inscrit dans le cadre d’un duel entre la France et l’Algérie, elle revêtira une importance symbolique aux yeux du gouvernement Tebboune qui ne sera pas enclin à céder. En revanche, "Alger n’aime pas être montré du doigt par le reste du monde". Une des clés réside donc dans l’action des institutions internationales ou des ambassades étrangères à Alger.
"Alger n'aime pas être montré du doigt par le reste du monde"
Mobilisation des intellectuels
En complément du travail diplomatique, les intellectuels du monde entier ont un rôle à jouer. Bonne nouvelle, des initiatives se mettent en place. Jean-Michel Blanquer a révélé qu’une trentaine de grands intellectuels d’Amérique du Sud ont commencé à rédiger des tribunes dans les journaux colombiens, mexicains, chiliens, brésiliens et argentins. Leurs pairs sur d’autres continents se prépareraient à faire de même. Les libraires allemands sont également sur le pied de guerre selon son éditeur d’outre-Rhin Vincent von Wroblewsky.
Où est la jeunesse ?
Si intellectuels et organisations internationales commencent à prendre conscience de la situation, une catégorie de la population reste atone : la jeunesse. Pour preuve, dans le Théâtre Libre bondé, la moyenne d’âge de la foule était très élevée. Vu de haut, les sièges étaient majoritairement occupés par des personnes aux cheveux blancs, quelques crânes dégarnis apportant un peu de diversité capillaire plus que générationnelle. Comment mobiliser les plus jeunes, ou a minima les moins âgés ? Jean-Michel Blanquer a appelé à la mise en place de "comités de soutien" dans les universités.
D’autres pistes non abordées durant la soirée peuvent être mises sur la table. La première coule de source : des jeunes engagés ou potentiellement intéressés pour l’être, il en existe. Pourquoi ne pas leur donner la parole ? Si les orateurs présents sur scène étaient tous pertinents et légitimes, pourquoi ne pas avoir accordé plus de temps de parole à des personnalités de moins de 40 ans ? À part la journaliste Rachel Binhas et Lisa Romain, première universitaire à avoir rédigé une thèse sur l’œuvre de Boualem Sansal, les intervenants n’incarnaient guère le renouveau. Pourtant, l’œuvre de Sansal transcende les générations, tout comme le combat pour la liberté d’expression.
Pourquoi ne pas avoir accordé plus de temps de parole à des personnalités de moins de 40 ans ? L'oeuvre de Sansal transcende les générations, tout comme le combat pour la liberté d'expression
La lutte digitale, un front impensé
Que cela plaise ou non, le combat se mène également sur les réseaux sociaux. Pourquoi ne pas réfléchir à une "task force" informelle capable d’occuper le terrain, de sensibiliser et de répondre aux personnes qui se réjouissent de l’arrestation d’un intellectuel ? Les éléments de langage du régime algérien et d’une partie de la gauche portent sur TikTok, X ou Instagram. Les propos de certains élus comme Sandrine Rousseau ou de certaines personnalités présentes sur le service public français qui estiment à demi-mot que Boualem Sansal "l’a bien cherché" instillent le doute dans l’opinion.
Il suffit de lire les commentaires relatifs à la soirée du 16 décembre pour constater qu’une large part du bruit médiatique dénonce un rassemblement de "sionistes", "d’islamophobes", de "harkis", "d’extrême droite". Sans contre-discours efficace, la majorité restera silencieuse et n’osera se mouiller.
"Ca tremblote, ça craint d'être jugé dans les dîners en ville"
"Il n y a rien de ringard à défendre la liberté d'expression"
Les "rayons paralysants" que constituent ces fausses accusations ont un effet sur la majorité silencieuse. "Ça tremblote (…) Ça craint d’être jugé dans les diners en ville", fustige Étienne Gernelle, directeur du Point.
Il est néanmoins nécessaire de garder à l’esprit une chose essentielle. Se mobiliser pour Boualem Sansal, c’est être du bon côté de l’Histoire. C’est combattre pour la liberté d’expression, pour le droit à la création artistique, le débat démocratique, n’en déplaise à ceux qui, pour paraphraser Jean-Michel Blanquer, "déguisent en progressisme ce qui ne l’est pas".
Pour Bernard Cazeneuve, "il n y a pas de gêne à avoir lorsque l'on se mobilise pour faire sortir un intellectuel de prison"
Comme le souligne François Zimeray, avocat de Boualem Sansal, "il n’y a rien de ringard à défendre la liberté d’expression". Un propos partagé par Bernard Cazeneuve selon qui « il n’y a pas de gêne à avoir lorsque l’on se mobilise pour faire sortir un intellectuel de prison ».
Pour reprendre la formule de Rachel Binhas, la journaliste de Marianne qui a révélé l’arrestation de Boualem Sansal, il faut se préparer à "un marathon plutôt qu’à un sprint". Espérons que la course approche rapidement de la ligne d’arrivée. Et que la moyenne d’âge des coureurs baisse un petit peu…
Lucas Jakubowicz