Jamila Alaktif est professeure en management à l’ISC Paris Business School et chercheure associée à l’Université de Stanford. À l’approche du Sommet de la mesure d’impact qui aura lieu le 13 février 2023 à l’Assemblée nationale, elle évoque la force des normes en matière de diversité dans l’entreprise.

Décideurs. Comment avez-vous commencé à travailler sur les sujets de diversité et d’inclusion ?

Jamila Alaktif. À l’issue de mes études en économie et finance, j’ai rejoint un cabinet d’expertise comptable en Angleterre avant de revenir en France et travailler dans le même secteur de la finance. À mon retour, alors que cela n’avait pas été le cas Outre-Manche, je me suis vue plusieurs fois interpellée sur le sujet de mes origines. Je me suis demandé pourquoi on me renvoyait systématiquement à cette notion d’ailleurs. C’est comme cela que j’ai commencé à m’intéresser à la notion de diversité. Cette curiosité m’a amené à troquer ma casquette de professionnel de la finance pour celle de chercheure à temps plein.

Vous avez alors initié vos travaux de recherche, orientée sur la question de l’impact des normes en matière de diversité. Quelles en sont les conclusions ?

Ce qui m’intéresse particulièrement ce sont non seulement la construction des normes mais aussi leurs effets une fois déployées sur le terrain. Comment les règles édictées par les pouvoirs publics sont-elles traduites par les entreprises, appliquées par les managers et enfin, quels résultats à l’échelle des employés ? Cette observation multiniveau est très enrichissante. Mes travaux ont largement confirmé l’importance des normes et, pour certaines d’entre elles, leur pouvoir d’influence. Elles envoient un message fort aux cadres et salariés. Toutefois, ma recherche met en exergue la difficulté du management de terrain à les faire "vivre" quand le projet de diversité n’est pas pleinement inscrit dans la culture de l’organisation, ni porté par la hiérarchie.

Et quels sont les effets des normes, quand elles sont accompagnées par cette ouverture organisationnelle ?

Quand les cadres supérieurs perçoivent la richesse, la valeur ajoutée de la diversité, alors ils soutiennent de manière proactive et tout naturellement cette initiative. Dans ma recherche, j’ai observé de belles réalisations sur le terrain. Je décrypte finement le mécanisme qui en découle, où le travail de soutien par la hiérarchie permet de faciliter le travail du manager de proximité. Dans un tel contexte, il dispose alors d’une plus grande latitude pour s’emparer plus facilement des outils à disposition. Cette symbiose entre les deux niveaux hiérarchiques est la fondation primordiale pour construire une vraie politique de diversité et apporter des résultats concrets dans une démarche inclusive. Comment ? Le manager est plus à même pour chercher et tester la moindre norme à disposition pour atteindre son objectif. Il n’aura pas besoin d’une batterie d’injonctions. Quand les normes sont comprises par les acteurs de terrain et adaptés à leurs besoins, il est plus aisé, par exemple, de travailler avec les individus les plus "récalcitrants" pour les convaincre de la valeur ajoutée de la diversité, du gain de performance de l’entreprise, des potentiels des talents vers lesquels l’organisation s’ouvrirait. Quand elles trouvent leur place, en l’occurrence un environnement organisationnel propice, les normes ont vraiment le pouvoir d’enrichir l’expérience des managers car, au-delà des objectifs à atteindre, elles soutiennent le processus de management.

En tenant compte de cet aspect crucial de conviction, quel serait le type de règles "idéal" pour impulser une dynamique d’inclusion ?

Les entreprises ont besoin d’un temps pour apprendre Cela me conduit à affirmer que le cadre normatif qui entoure cette question de diversité doit être "hybride" :  un système composé de lois punitives mais, aussi et surtout, d’un ensemble de certifications qui permettent d’évaluer la progression des organisations à travers une série d’audits et d’accompagnement. Ainsi, le manager est soutenu et armé pour passer du point A (absence ou faible diversité) au point B (diversité accrue et bien gérée). La réussite d’une politique de diversité ne peut reposer que sur des lois. Il faut faire "vivre" cette politique de diversité, la challenger, la faire évoluer, lui ouvrir de nouvelles perspectives.

Y a-t-il des enjeux de diversité spécifiques sur lesquels il faudrait renforcer en priorité les règles ?

Au cours des trente dernières années, les choses ont beaucoup évolué. Tout n’est pas négatif, loin de là. Toutefois, notre pays ne peut pas se reposer sur ses lauriers. Compte tenu de la place qui est la sienne en Europe d’une part mais aussi parce qu’il dispose de suffisamment de ressources intellectuelles et technologiques. En effet, il faut aussi penser à miser sur les outils. L’intelligence artificielle par exemple, peut être d’un grand soutien dans une démarche d’inclusion, à condition de s’inscrire dans un cadre éthique. De même, la France doit continuer à travailler avec l’ensemble des différentes parties prenantes pour faire évoluer ses lois et les renforcer… sur tous les sujets de diversité.

Vous avez beaucoup travaillé sur la diversité des origines. En France, nous vivons dans l’idée qu’il est interdit de la mesurer au sein d’une organisation. Est-ce exact ?

Non, pas du tout ! Il est tout à fait possible de mesurer la diversité des origines. En 2005, la CNIL a permis de recueillir les informations relatives à la nationalité et au lieu de naissance des parents. Il s’agit là de deux exemples d’indicateurs de mesure. Bien entendu, le recueil de données doit s’inscrire dans une démarche parfaitement éthique et légale. Le consentement individuel des intéressés est de rigueur.  Le traitement des données doit être réalisé dans le respect absolu du RGPD, dans une logique de lutte contre la discrimination, de diversité et d’inclusion. En réalité, ce ne sont pas tant les indicateurs de mesure de la diversité le principal défi, mais plutôt ce que l’on en fait avec et dans quel objectif.

Propos recueillis par Marie-Hélène Brissot

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