Jusqu'alors à la tête de La French Tech, Clara Chappaz connaît parfaitement le monde des start-up et les arcanes politiques. De quoi assurer son entrée au gouvernement Barnier où elle devient secrétaire d'État à l'IA et au numérique. Voilà ce qu'elle pensait de la "France start-up nation" en février.
Clara Chappaz, de la French Tech au poste de Secrétaire d'État à l'IA et au numérique
Décideurs. En 2023, le nombre de levées de fonds en France a baissé en valeur et en volume. Faut-il s’en inquiéter ?
Clara Chappaz : L’année qui vient de s’écouler a été compliquée avec une baisse des levées de 38 % en valeur et de 3 % en volume par rapport à 2022. Cela dit, la diminution vient après des années post-covid dynamiques et, en examinant les chiffres de près, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Cette conjoncture maussade touche tous les pays et la France se montre particulièrement résiliente. Si les start-up récoltent des sommes moindres, elles sont pratiquement aussi nombreuses à lever. Cela signifie que, dans l’Hexagone, les idées et les entrepreneurs sont toujours là, ce qui est le plus important.
Existe-t-il une "French Touch" ?
Dans le monde universitaire, la France est une référence mondiale en matière d’IA ou d’informatique quantique grâce à des formations académiques telles que Polytechnique ou Paris Saclay qui donnent des compétences et le goût d’entreprendre. Citons aussi le plan IA lancé en 2018 par le gouvernement et l’investissement dans la puissance de calcul. Dans ces deux domaines, il y a une forte présence française, ce qui est stratégique puisque ce sont des innovations de rupture.
La France est aussi très performante sur les solutions au service de la transition écologique. Je songe notamment à Iten, leader mondial des micro-batteries lithium-ion, Electra qui a levé 300 millions en janvier, Verkor qui construit une giga-factory de plus de 1 000 salariés à Dunkerque pour produire des batteries pour véhicules électriques ou encore Jimmy qui se positionne sur les microréacteurs nucléaires. Globalement, notre pays se distingue avec des solutions qui créent de l’emploi et contribuent à sa réindustrialisation.
"Pour 77 % des entrepreneurs, il est facile ou très facile de créer sa start-up en France. C’est une révolution !"
La France est-elle une vraie "start-up nation" ?
Sans aucun doute. Pour les dix ans de la French Tech, nous avons posé à 1800 dirigeants la question suivante : "Est-il facile de créer sa start-up en France ?". 77 % des personnes interrogées ont répondu oui ! Désormais, la France garde ses meilleurs cerveaux. Nos profils qui s’expatrient sont nombreux à revenir au pays pour créer leur groupe, je pense notamment aux fondateurs de la licorne Mistral AI passés par Meta ou Google en Californie. Désormais, même des étrangers viennent chez nous, je songe notamment aux Américains de Poolside qui ont choisi la France pour créer et développer leur solution d’IA. Lors du dernier forum économique mondial de Davos, nos partenaires nous ont demandé "mais qu’est ce qui se passe chez vous ?", c’est une révolution !
La Mission French Tech y est-elle pour quelque chose ?
Oui et c’est une véritable force, une sorte "d’anomalie positive" qui est une alliance parfaite entre les entrepreneurs, les associations comme France Digitale, Ferme Digitale, et l’État avec BPI France, Business France et l’administration, notamment Bercy avec la Mission French Tech. Nous travaillons en parfaite entente : les premiers font remonter leurs besoins, les seconds apportent des solutions rapides qui permettent au pays d’être compétitif. C’est grâce à cette osmose qu’ont été créés rapidement le guichet unique, les passeports talent, des solutions fiscales…et plus récemment le programme "Je Choisis La French Tech" lancé par le ministre Jean-Noël Barrot en 2023.
Pour le député Paul Midy, le manque de parité dans la tech est une "aberration économique". Êtes-vous sur la même longueur d’onde ?
Effectivement, le manque de parité est une aberration insupportable. Tous les pays sont dans le même cas et une étude menée par le BCG à l’échelle européenne montre qu’il n’y a pas de pays miracle même en Scandinavie. La sous-représentation de femmes parmi les créatrices va de pair avec leur sous-représentation dans les fonds. Ce qui explique peut-être pourquoi, si 9 % des entreprises qui lèvent des fonds sont dirigées par des femmes, elles n’attirent que 3 % du total des financements. Nous sommes mobilisés pour changer les choses, notamment via le Pacte Parité.
Propos recueillis par Lucas Jakubowicz