Les obligations en matière de responsabilité sociétale ou sociale des entreprises ne cessent de se renforcer, obligation de vigilance, loi climat et résilience, protection des lanceurs d’alerte, les entreprises doivent intégrer les préoccupations sociales et environnementales à leur activités commerciales sous peine de voir fleurir les contentieux en la matière.
Responsabilité sociale et environnementale : après les grands principes, les nouvelles obligations des entreprises se précisent
Le 18 mai 2022, la cour d’appel de Paris a confirmé la mise en examen du cimentier Lafarge pour “complicité de crime contre l’humanité”. Il lui est reproché d’avoir poursuivi ses activités au Moyen-Orient jusqu’en 2014, notamment à l’aide de pots-de-vin payés à l’état islamique pour conserver son usine de Jalabiya.
Cette décision est symptomatique de nouvelles contraintes qui pèsent sur les entreprises en matière de responsabilité sociale et environnementale, et plus généralement d’éthique des affaires.
Le dispositif législatif applicable aux entreprises s’articule essentiellement autour de trois axes : la protection des droits humains et sociaux, la protection de l’environnement, la protection de ceux qui alertent sur les violations de ces principes.
Protéger les droits humains et sociaux : le devoir de vigilance
La France a promulgué le 27 mars 2017 la loi n° 2017-399 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre. Deux obligations en découlent pour les entreprises : prévenir et réparer les violations des droits humains et les dommages environnementaux engendrés par leur activité directe ou par le biais de leurs filiales, sous-traitants, fournisseurs avec lesquels ils entretiennent une relation commerciale établie.
C’est sur ce fondement que la CGT, accompagnée de deux syndicats brésiliens, a mis en demeure, le 4 avril 2022, le groupe McDonald’s de se soumettre au devoir de vigilance. Le géant réplique ne pas y être assujetti, ayant son siège statutaire hors France, mais dont on sait qu’il travaille sur la réponse à apporter. Au cœur du scandale, un fournisseur de jus d’orange brésilien dont l’activité violerait gravement le droit du travail et les normes environnementales de production du jus d’orange.
En l’état, le devoir de vigilance se décline en trois volets : la santé et la sécurité des employés, l’environnement, les droits humains et libertés fondamentales. Il repose sur un plan dont la loi régit la forme et le contenu. Le plan de vigilance est une obligation de moyens reposant sur l’obligation légale de mettre en œuvre une “vigilance raisonnable” qui doit être proportionnelle à la taille de l’entreprise et ses moyens propres. Il est cristallisé et rendu public dans le rapport annuel de gestion.
Les sanctions d’un défaut de respect de cette obligation sont encore incertaines : le Conseil constitutionnel a censuré la possibilité d’une amende civile sur le seul fondement d’un manquement à l’obligation de vigilance. Restent donc : un dispositif d’injonction en modification du plan, assorti d’une astreinte au montant souverainement apprécié, et la mise en œuvre de la responsabilité pour dommage. En matière de responsabilité civile, le droit commun est applicable, permettant aux victimes de mettre en œuvre la responsabilité de la société mère ou donneuse d’ordre directement. Une harmonisation européenne devrait permettre de sauvegarder le level playing field communautaire. Un projet de directive a été présenté par la Commission le 23 février dernier et s’inspire fortement des innovations françaises.
Protéger l’environnement : la loi climat et résilience
Dans le prolongement des considérations environnementales parfois peu claires liées au devoir de vigilance, la loi 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et ses effets institue des obligations dans la prise de décision et la conduite des sociétés.
Dans les entreprises de plus de 50 salariés, l’employeur devra désormais consulter le comité économique et social (CSE), “notamment au regard des conséquences environnementales de ces décisions” (C. Trav. Art. L. 2312-8 modifié).
Dans un arrêt récent, le tribunal administratif de Montreuil a jugé que le CSE ne peut se prévaloir des dispositions de la loi climat et résilience pour obtenir l’irrégularité de la procédure d’information et de consultation préalablement à la fixation unilatérale du PSE1. Le CSE soutenait en l’espèce qu’aucune étude d’impact n’a été réalisée sur les conséquences environnementales d’un projet de réorganisation d’activité logistique, entachant ainsi la procédure d’irrégularité. Le tribunal répond que la loi climat n’ayant pas modifié les articles du Code du travail relatifs à la “sauvegarde de l’emploi en France”, le CSE ne pouvait s’en prévaloir.
Protéger les lanceurs d’alerte : la loi du 21 mars 2022
En complément de ce dispositif, la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 portant sur la protection des lanceurs d’alerte précise les devoirs de sociétés face aux lanceurs d’alerte et renforce leur
protection.
La règle selon laquelle le lanceur d’alerte doit informer en priorité les acteurs internes de l’entreprise (hiérarchie, représentants du personnel…) a été supprimée. Les entités compétentes pour établir une procédure interne de recueil des signalements (définies par la loi Sapin 2 pour les personnes morales de plus de 50 salariés) devront au préalable consulter “les instances de dialogue social”, un décret en Conseil d’état doit préciser les garanties d’indépendance et d’impartialité de la procédure. La liste des lanceurs d’alerte “internes” est aussi élargie : sont ajoutés les personnes dont la relation de travail est terminée, les personnes qui se sont portées candidates, les actionnaires, associés et titulaires de droit de vote, les cocontractants et les sous-traitants.
La loi institue, en plus de l’irresponsabilité pénale reconnue sous le régime Sapin 2, l’irresponsabilité civile des lanceurs d’alerte. Cette protection est étendue aux mesures portant sur la modification des horaires, aux préjudices de la personne, pertes financières, à la résiliation anticipée ou l’annulation d’un contrat pour des biens ou des services, à l’annulation d’une licence ou d’un permis (liste non exhaustive). On notera que les mesures de changement de lieu de travail ne sont pas interdites. Ces nouvelles obligations doivent faire l’objet de la plus grande attention de la part des entreprises car il ne fait nul doute que les syndicats et les représentants du personnel sauront se saisir de ces nouveaux outils.
1 TA Montreuil, 5e ch., 2 mai 2022, n° 2202445 : JurisData n° 2022-009224
Sur les auteurs :
Myrtille Lapuelle dispose d'une expertise reconnue en droit social. Elle intervient sur l'ensemble des problématiques liées à cette matière, en conseil et en contentieux, auprès d'une clientèle d'entreprises françaises et internationales tant dans la gestion de leurs relations individuelles que collectives. Elle a aussi développé un savoir-faire dans des projets plus complexes (restructurations, opérations de fusions-acquisitions) sur lesquelles elle accompagne ses clients aussi bien en phase d'audit et de planification stratégique que lors de la réalisation des opérations.
Laurent Guardelli conseille les sociétés et leurs dirigeants dans leurs rapports avec leurs salariés, les institutions représentatives du personnel et l'administration du travail. Il est actif auprès des filiales françaises de groupes anglo-saxons. Il accompagne les dirigeants dans la négociation de leur statut (emnbauche, départ). Il participe à la réalisation des opérations corporate du cabinet en gérant leurs aspects sociaux. Laurent est membre du bureau d'Avosial, le syndicat des avocats d'entreprises en droit social.
Cet article a été rédigé avec l'aide de Côme Henriot.