L'entreprise à mission connaît un fort développement. Une bonne chose puisqu'en la matière, il est impossible de se contenter de mots et d'actes creux.

L’entreprise à mission s’est étrangement invitée dans le cadre du scandale Orpea. Sur LCI, le 2 février, Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l’autonomie des personnes âgées, a en effet évoqué sa volonté de voir les établissements privés lucratifs d’accueil transformés en "entreprises à mission". Et ce afin que les prérogatives de "soin et de bientraitance" puissent être davantage contrôlées et auditées par un organisme extérieur…

Il convient évidemment de s’attaquer aux comportements frauduleux ainsi qu’aux dérives faisant de nos anciens des sujets lucratifs au prix de leurs douleurs et dignités. Cela relève des lois et règlements qui cadrent l’exercice de ces entreprises ainsi que des contrats dans lesquels elles s’engagent à délivrer leurs services. En l’occurrence : accueillir, soigner et bien traiter leurs résidents.

Mais le statut d’entreprise à mission n’apporte pas davantage de contrôle, son sujet est ailleurs, il ajoute à l’objet de la société une mission environnementale ou sociale. Il inscrit dans les statuts, la gouvernance et même la comptabilité, la poursuite d’une raison d’être plus large au bénéfice de son écosystème.

Il incarne la capacité à questionner les logiques anciennes pilotées par la croissance et résultats pour intégrer d’autres quêtes de performance. Dans la réalité entrepreneuriale, et dans les échanges avec nos clients sur les mutations à l'œuvre, le sujet s'invite sous l’angle stratégique de la raison d’être ou bien sous celui, plus trivial, de l’opportunité opérationnelle.

Attractivité et valeurs

La question de la création de valeur est récurrente et légitime dans le modèle dominant où la performance est financière. Et la réponse est claire : oui, cela crée de la valeur. À de multiples endroits. Cela renforce assurément l’attractivité de l’entreprise auprès des talents qui ont de fortes exigences sur le comportement et les intentions de la société qui les emploie.

Alors que les analystes financiers considèrent l’attractivité comme un élément clé de valorisation et de potentiel, assurément la valeur créée est objective. Et il serait également possible de la mesurer au regard du coût des développements de ce que l’on nomme la marque employeur.

L’attractivité commerciale s’avère également renforcée, dans une activité BtoB comme BtoC. Auprès des premiers, cela permet de passer devant les concurrents sur les critères "développement durable" des appels d’offres et, auprès des consommateurs, cela permet de répondre à la préoccupation croissante de l’impact de leurs choix. Enfin, l’opportunité réside également dans l’anticipation des risques de transition, au premier rang desquels l’avènement d’une réglementation environnementale coercitive.

Une démarche qui engage

Là, s’ouvre le double fond de la boîte à réflexions… La stratégie de l’entreprise est-elle véritablement alignée avec le passage en entreprise à mission et l’investissement qu’il représente : mise en conformité juridique, nomination d’un organe de contrôle dédié, création d’indicateurs suscitant un questionnement de l’organisation, formulation de la politique de l’entreprise et de sa raison d’être ? S’agit-il d’habiller un processus classique de RSE couplé à une politique de gestion des risques juridiques et de réputation ou de véritablement considérer l’exercice entrepreneurial à l’aulne de l’habitabilité durable de la planète ?

Et que faire de toutes les nuances entre ces deux opposés ? A fortiori lorsque le secteur d’activité même de l’entreprise n’est pas naturellement corrélé aux enjeux environnementaux ou sociaux. Car, paradoxalement, c’est plus facile pour un pollueur de tracer une belle courbe de réduction d’impact que pour une entreprise déjà responsable. C’est plus évident pour un assureur ou un acteur de la transition énergétique que pour un expert-comptable, mais certainement pas moins engageant ! Peu à peu s’ouvre dans la conversation le troisième fond.

La mission du changement

Celui qui questionne l’utilité fondamentale de la démarche, l’utilité existentielle de l’entreprise. Là, le statut devient détail…Car évidemment, l’existentielle et urgente mutation de nos logiques économiques face au défi climatique ne saurait être réservée aux entreprises à mission. Et être entreprise à mission ne saurait suffire.

Cela questionne l’écoconception, les modes d’approvisionnement, de production, de distribution, mais aussi l’empreinte environnementale des usages digitaux, la répartition de la valeur entre les différentes parties, etc. Cela ouvre le sujet primordial des modèles économiques, et plus largement des indicateurs ou métriques de performance macro comme micro, pour flécher les efforts et investissements.

En la matière, chaque entreprise à mission doit créer et piloter ses propres indicateurs de progression dans la « mission », cela permet de tester de nouveaux possibles. Si ces mesures de performance au cœur de l’opérationnel et de la gouvernance de l’entreprise à mission sont théoriquement opposables, leur traçabilité et leur normalisation ne sont pas à l’ordre du jour.

Et sans une réglementation forte, seul compte l’alignement entre l’intention et les actes des entrepreneurs. Quels que soient le statut et le secteur, l’urgence nous assigne tous à une mission écologique. Chaque décision est porteuse de responsabilités qui portent bien au-delà de notre regard.

Chloé Coursaget, Présidente-fondatrice d’Accroche-com’, agence de conseil spécialisée dans l’accompagnement des mutations

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