Qui sont les entreprises françaises qui exportent ? Quels sont les marchés les plus compliqués à attaquer ? Quelle image de l’Hexagone à l’étranger ? Autant de questions sur lesquelles Didier Boulogne, directeur général délégué en charge de l’export chez Business France - structure qui accompagne les entreprises à l’étranger - apporte un éclairage.
Didier Boulogne (Business France) : "L'international est toujours une bonne solution"
Décideurs. En matière d’exportation, où en sont les entreprises françaises ?
Didier Boulogne. Le réflexe export n’est pas naturel pour les entreprises françaises. Elles doivent lutter contre un aspect psychologique culturel : la France a toujours été un marché largement tourné vers lui-même. Les grands groupes hexagonaux – qui comptent pour 0,5 %/1 % des entreprises – sont très implantés à l’international et représentent 50 % des exportations du pays en termes de valeur. Les ETI (5 % du tissu industriel français) comptent pour 37 % de l’export. Quant aux PME, 2 millions d’entreprises, elles pèsent pour 13 %. C’est sur ces entreprises que des progrès peuvent être faits. En 2023, 146 200 entreprises exportaient, soit 30 000 de plus en cinq ans. Ce qui démontre un sursaut. Notre objectif ? Plus d’exportateurs pour plus d’exportations.
La France rattrape-t-elle son retard par rapport à un pays comme l’Allemagne ?
L’Allemagne est un peu un cas à part. Son PIB repose à 50 % sur l’export. Ce qui est peut-être actuellement une fragilité. L’un des pays clés où l’Allemagne exporte, c’est la Chine. Or le marché chinois n’est plus le même qu’hier, ce qui explique une partie des difficultés rencontrées par notre voisin d’outre-Rhin. De plus, 1 salarié allemand sur 7 travaille dans le secteur de l’automobile, actuellement moribond. Un autre pays avec lequel nous nous comparons est l’Italie. C’est un territoire qui a des similarités avec la France mais des différences dans la manière de s’organiser à l’export. Les entreprises italiennes chassent en meute. Elles sont meilleures que nous sur certains points.
Il y a un an et demi, le gouvernement présentait le plan Osez l’export. En quoi consiste-t-il ?
Nous visons 200 000 sociétés exportatrices supplémentaires d’ici à 2030. Parmi nos solutions : le pavillon pour tous. Les pavillons français sont présents sur les grands salons internationaux, soit environ 110 par an. Ce qui permet à 5 000 entreprises d’y participer. Nous donnons accès à ces événements clé en main à un tarif abordable pour les PME. 60 % des entreprises qui y viennent engrangent une commande dans l’année qui suit. Nous disposons aussi de 73 bureaux où travaillent 800 personnes dans 51 pays couvrant 95 % du PIB mondial. Nous activons ces réseaux pour trouver des acheteurs dans les pays et les faire venir rencontrer nos entreprises. Business France en fait également venir entre 800 et 900 par an sur les événements nationaux. Nous travaillons aussi avec les champions de demain en subventionnant un programme d’accélération pour 250 entreprises qu’on amène sur des marchés très précis. On leur apprend à pitcher, à se structurer, à comprendre les spécificités afin de s’implanter durablement et physiquement à l’étranger. Nous avons aussi pris en charge le volet internationalisation du plan France 2030, en nous engageant à aider 1 000 lauréats à s’exporter. L’an dernier, nous avons accompagné en tout 13 500 entreprises qui ont dégagé un chiffre d’affaires additionnel à l’export de 3,3 milliards d’euros.
Quels sont les freins à l’export ?
Le premier frein ? Nous sommes français. Il n’est pas naturel pour nous d’aller à l’export. À Business France de convaincre les entreprises que l’international est toujours une bonne solution. Les sociétés ne sont jamais à l’abri qu’un concurrent fasse irruption sur le marché français. Aller à l’international est un moyen de se dérisquer, si un de leur marché venait à se retourner. Ensuite, les entreprises doivent faire l’effort d’adapter leur production, leur étiquetage, leur marketing. Par exemple, sur les marchés anglo-saxons, le marketing s’avère très important. En Allemagne, les entreprises vendent en anglais mais achètent en allemand.
"Aller à l’international est un moyen pour les entreprises de se dérisquer"
Comment se présentent les marchés du continent américain ?
L’Amérique du Nord est un grand marché qui fonctionne très bien actuellement. Nous verrons si cette dynamique se poursuit après les élections américaines. En revanche, c’est un marché qui coûte très cher, notamment car l’inflation y a été importante. Le marché sud-américain est, lui, complexe. Il n’est pas fait pour les primo exportateurs. Il est très réglementé. Il faut être accompagné sur les financements et sur la sécurisation des paiements.
Qu’en est-il de l’Afrique et du Moyen-Orient ?
L’Afrique est un continent très intéressant car sa population va doubler d’ici à 2050 et aura des besoins dans tout pour mieux se nourrir, mieux communiquer, mieux se déplacer. Les Africains sont très en demande en matière de tech. Il y aura de la place pour les grands groupes, les ETI voire les PME. En revanche, il faut là aussi préparer des solutions de financement et de sécurisation des paiements. Du côté du Moyen-Orient, malgré les soubresauts politiques, les pays golfiques fonctionnent très bien. Leurs salons bénéficient de leur position géographique entre le sous-continent indien et l’Afrique. On rencontre facilement des acheteurs pakistanais ou sud-africains à Dubaï, par exemple.
Comment se porte le marché indien ainsi que les marchés voisins ?
L’Inde est un pays complexe voire compliqué qui n’est pas fait pour les débutants. Mais il est assez solide et très en demande dans des domaines comme l’art de vivre à la française. C’est un marché de prix, comme tous les pays voisins et notamment le Vietnam ou la Thaïlande. Et il rappelle l’Afrique à bien des égards sur les solutions de financement à mettre en place.
En quoi la Chine a-t-elle évolué ?
On projetait beaucoup d’entreprises en Chine, moins maintenant. Le marché a muté, avec un niveau technologique industriel très élevé. Les entreprises françaises doivent être à la hauteur. La demande est encore très forte sur l’agroalimentaire. Toutefois, les relations avec la Chine sont moins simples qu’avant car elle tend à devenir une puissance exportatrice, notamment sur l’automobile, ce qui nous pose un problème. Sans compter son conflit économique avec les États-Unis. Quant au Japon, c’est une zone qui a repris des couleurs. Il achète des biens de consommation et s’avère très intéressé par la tech française. Nous allons profiter de l’exposition universelle de 2025 à Osaka pour montrer notre savoir-faire.
Et enfin, quelle est la dynamique en Europe ?
Les marchés italiens et espagnols sont actifs, leurs entreprises sont très en demande. Les primo exportateurs ont d’ailleurs le réflexe de s’y lancer. L’Allemagne fonctionne moins bien qu’avant mais reste un marché résilient avec une profondeur extraordinaire. Mais elle demeure encore un marché de prix. L’Europe centrale et orientale est aussi un marché intéressant. Il y a eu un petit brouillage avec le conflit en Ukraine mais un pays comme la Pologne continue d’offrir de belles opportunités. Quant à l’Europe du Nord, c’est un marché exigeant et très innovant. On peut facilement y travailler en régional car la notion de marché nordique est une vraie réalité.
La barrière de la langue est-elle encore un frein ?
Nous avons fait de gros progrès dans la maîtrise de l’anglais, surtout au sein des jeunes générations. Au-delà de l’anglais, pour conquérir un marché, il faut faire un effort pour aller vers la langue de l’autre et donc s’investir.
"Pour faire face à une concurrence installée, il faut trouver le bon ressort : une technologie, un service additionnel ou un secteur différenciant"
Quels sont les sujets d’inquiétude des entreprises françaises ?
Une entreprise peu familière avec l’export va s’inquiéter du financement et des solutions de marché. Celles déjà présentes se soucient de la concurrence. Notre métier consiste à décrypter les différents marchés pour leur donner une idée de l’offre sur place. Pour faire face à une concurrence installée, il faut trouver le bon ressort : une technologie, un service additionnel ou un secteur différenciant.
Comment les autres pays nous perçoivent-ils ?
Nous avons souvent affaire à une vision datée de notre pays. Les étrangers pensent que l’on parle mal anglais. On peut soit jouer sur ces clichés, comme lorsque l’on vend l’art de vivre à la française, les biens de consommation ou l’agroalimentaire, soit montrer notre capacité d’innovation et notre ouverture au monde. Avec les Jeux olympiques, on a réussi un joli coup en termes de rajeunissement d’image, en prouvant qu’on alliait notre histoire à la modernité. Inversement, les Français peuvent avoir une vision éloignée des pays, comme imaginer Sissi impératrice quand ils pensent à l’Autriche. Notre mission consiste à raccourcir le temps que l’on met à percevoir un pays tel qu’il est devenu.
Quelle image les étrangers se fontils de la France ?
L’image de la France est de bonne qualité. Notre pays est considéré comme fiable et capable de tout produire. Peu de nations produisent des sous-marins et des centrales nucléaires. Notre capacité technologique irradie dans le monde. Quand on se compare à l’Allemagne ou aux États-Unis, on est sur un pied d’égalité mais, face au reste de la planète, nous disposons d’un spectre industriel quasi inégalé.
Propos recueillis par Olivia Vignaud
Crédit photo : Laurence Guenoun, 2022