La messagerie électronique s’est imposée comme un outil indispensable en entreprise, mais son usage induit des conséquences insoupçonnées. Ainsi, la dernière étude de l’agence d’enquête statistique FLASHS révèle qu’elle génère des contraintes souvent invisibles, affectant la santé mentale et le bien-être au travail.

Une enquête de FLASHS en date du 14 novembre révèle les multiples dimensions de la surcharge informationnelle et ses répercussions sur l’environnement professionnel. Si sa généralisation répond à une recherche d’efficacité, la messagerie électronique exacerbe des dynamiques de stress, accentue les inégalités de genre et influe directement sur les relations interpersonnelles au travail.

Surcharge informationnelle

Les chiffres de l’enquête illustrent tout le poids de la surinformation : 18 % des collaborateurs et 34 % des dirigeants reçoivent plus de cinquante courriels professionnels par jour. Un volume important que beaucoup peinent à gérer. De fait, le traitement de cette abondance de messages, chronophage et répétitif, mobilise significativement le temps des dirigeants : ils sont 52 % à y consacrer plus d’une heure par jour. Beaucoup se trouvent pris dans une injonction à la réactivité, perçue comme source de stress. Un phénomène qui se manifeste en particulier lors du délicat moment de la réouverture de la messagerie après les congés.

En l’absence de régulations claires et formelles, la messagerie devient une menace potentielle pour l’équilibre vie pro-vie perso des collaborateurs

Messagerie sans frontières

L’enquête met aussi en lumière l’assouplissement des frontières entre vie professionnelle et vie privée. L’immixtion du travail dans la sphère personnelle touche particulièrement les jeunes générations, puisque 81 % des 18-24 ans consultent leurs e-mails en dehors des horaires de bureau (incluant les week-ends et les périodes de congé), contre "seulement" 56 % des plus de 50 ans. Les premières victimes de cette tendance sont les dirigeants : 87 % se connectent en dehors de leurs horaires de travail. Cette pression implicite d’hyperdisponibilité questionne nécessairement la capacité des organisations à instaurer des politiques de droit à la déconnexion. En l’absence de régulations claires et formelles, la messagerie devient une menace potentielle pour l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle des collaborateurs, susceptible de transformer progressivement le domicile en une extension du bureau aux tendances invasives.

L’IA : une solution miracle ?

Face à cette avalanche de mails, un nombre croissant de professionnels se tournent vers l’intelligence artificielle pour rationaliser la gestion de leur messagerie. L’étude indique que 39 % des salariés et 55 % des dirigeants utilisent des outils d’IA pour structurer, corriger ou même rédiger leurs messages, notamment pour les communications complexes ou répétitives. Cette externalisation partielle, souvent perçue comme une solution efficace pour économiser du temps et alléger la charge cognitive, soulève néanmoins des interrogations quant à la personnalisation et à l’authenticité du dialogue. Si cette technologie apporte un soutien technique indéniable, son utilisation requiert une réflexion éthique afin d’éviter une déshumanisation des échanges professionnels.

Le sempiternel "Cordialement" est jugé agaçant par 21 % des salariés, sans distinction de génération

Codes de communication (trans)générationnels

L’étude met également en évidence une mutation des pratiques communicationnelles, notamment en ce qui concerne les formules de politesse. Le sempiternel "Cordialement", par exemple, est jugé agaçant par 21 % des salariés, sans distinction de génération. Autre tendance émergente, l’usage des émoticônes n’est pas le même en fonction de l’âge : 47 % des jeunes de 18 à 24 ans les utilisent régulièrement, tandis que seuls 39 % des plus de 50 ans les emploient dans leurs messages. Cette ambivalence révèle la nécessité d’adapter le style des échanges aux attentes de chaque interlocuteur, tout en préservant la clarté et le professionnalisme du dialogue.

Un espace de reproduction des stéréotypes

Les courriers professionnels sont également le théâtre de comportements sexistes persistants, notamment envers les jeunes femmes et les dirigeantes. Près d’une femme sur trois affirme avoir reçu des e-mails professionnels au contenu inapproprié, allant de tentatives de séduction à des invitations hors du cadre professionnel. Parmi les 18-24 ans, ce chiffre s’élève à 45 %, illustrant une vulnérabilité accrue des jeunes collaboratrices. En parallèle, 53 % des dirigeantes déclarent avoir vu leurs compétences remises en question dans des échanges professionnels par e-mail, une situation vécue par 38 % des salariées. Ces comportements, qui se veulent parfois subtils, témoignent de la persistance de dynamiques sexistes dans l’espace numérique qui altèrent la perception des compétences féminines et entretiennent un climat de travail inégalitaire.

Le rapport à la messagerie électronique ne semble pourtant pas faire l’objet d’un véritable intérêt, alors qu’il est révélateur des dynamiques organisationnelles

Du bon usage de la messagerie

Avec ce panorama, l’enquête de FLASHS pose la question de la responsabilisation des entreprises, et notamment des services RH, face à l’utilisation de la messagerie électronique. Confrontées à la surcharge d’informations, aux attentes générationnelles divergentes et aux problématiques de genre, les organisations se doivent de repenser leur approche de la communication numérique. L’adoption de politiques de déconnexion, la sensibilisation à l’éthique numérique, et la formation à l’utilisation des technologies d’IA représentent des pistes concrètes pour améliorer le bien-être des collaborateurs. En intégrant ces enjeux, les entreprises peuvent non seulement limiter les risques psychosociaux, mais aussi favoriser une culture d’entreprise plus saine et équitable.

Le rapport à la messagerie électronique ne semble pourtant pas faire l’objet d’un véritable intérêt, alors qu’il est révélateur des dynamiques à l’œuvre au sein des organisations. Plus raisonnablement géré, l’outil pourrait devenir un levier de bien-être et stimuler la productivité, tout en préservant le capital humain de l’épuisement informationnel et des inégalités structurelles.

Cem Algul


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