Les gouvernements du monde entier dépensent de plus en plus pour moderniser leurs armées. Malgré une concurrence féroce, la France tire son épingle du jeu au point de devenir le second exportateur mondial de matériel militaire sur la période 2019-2023.

"Je vends des canons, des courts et des longs, des grands et des petits, j’en ai à tous les prix, y’a toujours amateur pour ces délicats instruments, je suis marchand d’canons venez me voir pour vos enfants, canons à vendre." Les paroles du Petit Commerce, célèbre chanson de Boris Vian, pourraient s’appliquer à l’industrie française de la défense qui possède une offre d’armement séduisant une clientèle internationale de plus en plus large. Et de plus en plus disposée à mettre la main au portefeuille.

Le monde se réarme

Montée en puissance de la Chine, guerre en Ukraine, tensions au Proche-Orient, ambitions régionales de pays comme l’Iran ou la Turquie… Pour des raisons multifactorielles, le monde se réarme depuis quelques années. La "fin de l’Histoire" et la paix globale théorisées par Francis Fukuyama après l’effondrement de l’URSS n’ont pas eu lieu.

Les derniers chiffres publiés par le Stockholm International Peace Research Institute (Sipri) sont à cet égard éloquents. En 2023, les dépenses mondiales en armement ont atteint la bagatelle de 2 443 milliards de dollars, soit une hausse de 6,8 % par rapport à 2022. Avec 858 milliards de dollars, les États-Unis restent le pays le plus dépensier et se fournissent quasi essentiellement avec des produits made in USA. Mais bien des armées font appel à des produits importés. Dans ce contexte, la France se distingue.

La France en profite

Toujours selon les données du Sipri, l’Hexagone est devenu le second exportateur mondial d’armes, derrière les États-Unis. Entre 2019 et 2023, le pays de l’Oncle Sam pèse 41,7 % de la valeur des exportations d’armes dans le monde. La France, bien que loin derrière, occupe la seconde place du podium (10,9 %) et devance la Russie (10,5 %), la Chine (5,8 %) et l’Allemagne (5,6 %). Une autre donnée permet de mesurer le dynamisme de la France : les exportations d’armes ont augmenté de 47 % entre la période 2014-2018 et la période 2019-2023.

En 2022, la France a exporté pour 26 milliards d’euros d’armes, un record

Ce bon résultat est en partie lié à une année 2022 record au cours de laquelle les entreprises françaises ont vendu pour 26 milliards d’euros d’armes. L’année 2023 est plus "normale" avec 8,2 milliards de ventes réalisées.

Produits fétiches

À l’export, l’industrie française peut compter sur quelques "hits" qui font sa force. Le produit phare est sans doute le Rafale. Les années où Nicolas Sarkozy tentait vainement de vendre l’avion sur les marchés étrangers sont de l’histoire ancienne. Désormais, l’appareil conçu par Dassault Aviation séduit un large spectre de pays. Parmi eux, l’Égypte, l’Inde, les Émirats arabes unis, le Qatar et l’Indonésie. En Europe, la Grèce, la Croatie et plus récemment la Serbie ont intégré le "club Rafale".

Le sous-marin Scorpène, le canon Caesar, les frégates, les corvettes ainsi que le drone Patroller attirent aussi l’œil des généraux et amiraux de tous les continents. En revanche, le char Leclerc et le véhicule blindé Griffon, très utilisés dans l’armée française, peinent à trouver preneur à l’étranger. Sur l’année 2022, le secteur aéronautique représente 65 % des prises de commande, celui des missiles et équipements, environ 14 %.

Les exportations d’armes ont augmenté de 47 % entre la période 2014-2018 et la période 2019-2023

Pays clients

Qui sont les meilleurs clients de la France ? Pour avoir une visibilité, il est nécessaire de se placer sur une échelle d’au moins dix ans. Sur la période 2013-2022, les principaux partenaires commerciaux sont les Émirats arabes unis (21,5 milliards d’euros), l’Égypte (12,3 milliards), le Qatar (11 milliards), l’Inde (10,9 milliards) et l’Arabie saoudite (9,5 milliards). Ce top 5 a représenté 57 % de la valeur totale des exportations.

L’ami indien

Dans la décennie à venir, c’est l’Inde qui devrait devenir le premier acheteur d’armes made in France. Grâce à un travail diplomatique de longue haleine, la France est en train de devenir le fournisseur privilégié de la première puissance démographique mondiale. Un coup de maître puisque, sur l’année 2023, le pays dirigé par Narendra Modi est le quatrième plus dépensier du globe en matière de défense.

Entre 2018 et 2022, Paris a vendu à New Delhi environ 30 % de ses équipements militaires, devenant ainsi son second fournisseur. Certes, sur cette période, Moscou reste en pole position (45 %). Mais, sur l’année 2023, la France a pris la tête et tient à distance les redoutables commerciaux américains qui possèdent pourtant de nombreux atouts.

Égypte, Inde, Indonésie, Émirats arabes unis, Qatar, Grèce, Croatie, Serbie : le Rafale s’exporte bien

La concurrence se recompose

Une des principales raisons de cette bonne santé ? L’effondrement des fournisseurs russes. Guerre en Ukraine oblige, l’armée de Vladimir Poutine utilise son appareil militaro-industriel prioritairement pour lui, ce qui allonge les délais de livraison et fait fuir les clients. Pire encore, le théâtre ukrainien a montré aux états-majors du monde entier les failles de nombreuses armes russes. Conséquence, alors que la Russie avait effectué des ventes d'armes majeures vers 31 États en 2019, elle n'en a exporté que vers 12 en 2023.

Cependant, de nouveaux concurrents apparaissent. Dans son "Rapport au Parlement sur les exportations d’armement en 2023", le ministère des Armées s’alarme de l’émergence de pays comme la Chine, la Corée du Sud ou la Turquie, "lesquels bénéficient d’une montée en gamme de leurs produits et d’un contrôle export désinhibé". Ainsi, les différents modèles de drones turcs Bayraktar taillent des croupières aux Occidentaux. Sur le sol européen, la Pologne a lancé une ambitieuse politique de réarmement en nouant avec la Corée du Sud un contrat estimé à 22 milliards d’euros pour s’équiper en obusiers mécanisés, chars et avions de chasse.

Environ 200 000 personnes travaillent dans le secteur de l’armement

Une aubaine pour l’emploi industriel

La conjoncture internationale est une aubaine pour les emplois industriels en France. Au total, la base industrielle et technologique de défense (BITD) fait travailler 200 000 salariés. Ces derniers peuvent être employés dans des grands groupes tels Airbus, Dassault Aviation, Naval Group, Thales, MBDA, Nexter, Arquus, Safran. Mais le secteur de la défense repose également sur près de 4 000 entreprises sous-traitantes réparties sur l’ensemble du territoire. Presque toutes s’agrandissent et recrutent à tour de bras pour faire face à la demande nationale et internationale. Dernier exemple en date, l’usine Eurenco à Bergerac, spécialisée dans les obus de canons Caesar.

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Lucas Jakubowicz

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