En dissolvant l’Assemblée nationale, le président de la République a joué à l’apprenti sorcier. Il commet par ailleurs la principale erreur d’un stratège : mépriser son ennemi.

Depuis quelques jours, le bruit courait dans les "milieux bien informés", Emmanuel Macron envisagerait de dissoudre l’Assemblée nationale immédiatement après le résultat des élections européennes. Une décision que l’on pourrait qualifier de kamikaze et qui a finalement eu lieu. Dans une allocution prononcée le 9 juin au soir, le président de la République a pris acte d’une  "fièvre qui s’est emparée ces dernières années du débat public et parlementaire dans notre pays (…). C’est pourquoi, après avoir procédé aux consultations prévues à l’article 12 de notre Constitution, j’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote". Les Français seront donc invités aux urnes pour des législatives le 30 juin pour le premier tour, le 7 juillet pour le second.

Ni de Gaulle, ni Chirac

En juin 1968, après les célèbres événements de mai 68, Charles de Gaulle dissout l’Assemblée nationale. Objectif, se relégitimer et montrer que "la pagaille" était minoritaire. Avec succès. Un raz-de-marée gaulliste submerge le pays et son parti, déjà majoritaire, gagne 127 sièges. En 1997, conseillé par Dominique de Villepin, Jacques Chirac dissout lui aussi. Espérant une majorité, il se retrouve en situation de cohabitation. Emmanuel Macron, pour sa part, tente une troisième approche qui a tout de la stratégie de l’apprenti sorcier.

Emmanuel Macron joue à l'apprenti sorcier

Jouer avec la poudre

L’actuel hôte de l’Élysée a bien conscience qu’il n’est pas de Gaulle. Jamais son camp n’atteindra la majorité absolue. Son plan est bien plus machiavélique. Phase un : il souhaite porter le RN, qui a le vent en poupe, en situation de majorité parlementaire (en n’hésitant pas à sacrifier des députés soutiens de la première heure). Jordan Bardella serait donc premier ministre avec des ministres d’extrême droite.

Phase deux : laisser le RN aux commandes jusqu’à 2027 en espérant qu’il se plante dans les grandes largeurs et qu’il se décrédibilise. Le camp centriste serait donc triomphalement réélu en 2027. Après tout, pourquoi pas. Toutes les attaques contre l’extrême droite ont échoué. Ne reste plus que l’épreuve du pouvoir. Cette technique est la preuve qu’Emmanuel Macron méprise tant le RN qu’il ne voit pas l’essentiel…

Sourire et cravate jusqu’en 2027

Le RN est bien conscient du piège et reste les yeux rivés sur son principal objectif : se dédiaboliser pour l’emporter en 2027. Tout indique qu’un éventuel gouvernement Bardella opterait pour la même stratégie que les 87 députés RN à l’Assemblé nationale : on sourit, on s’habille bien, on serre les mains en circonscription, on évite les polémiques, on garde son socle électoral et on séduit les CSP+ et les retraités, électorats clés.

Pour parler crûment, Emmanuel Macron a fait entrer le loup dans la bergerie et commet une erreur qui causera probablement la perte de son camp : mépriser son ennemi.

Lucas Jakubowicz

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