Représentants de la troisième génération à la tête du groupe industriel et d’immobilier, Jérôme et Édouard Sauer ont décidé de "se déposséder" peu à peu de l’entreprise en cédant plus de 50 % à un fonds de dotation. Objectif ? Financer des projets sociétaux et environnementaux.
KS groupe se donne à fond(s)
Tout commence en 1958. Alors que la France continue de se reconstruire, un ingénieur de formation, Paul Sauer, rachète coup sur coup Ketterer et Sultzer, deux spécialistes du gros oeuvre en Alsace. C’est l’un de ses deux fils, Richard, qui décide d’ouvrir la société au second oeuvre afin d’en faire une entreprise générale de travaux. Il crée une dizaine de filiales pour s’adjoindre des métiers, tels que l’électricité ou la plomberie. Il ouvre une première entité à Paris. Le groupe Ketterer-Sultzer devient officiellement KS groupe.
Passation exemplaire
Jérôme, le fils de Richard Sauer, intègre le groupe en 2000. Il passe par les différents métiers avant de codiriger l’ensemble avec son père. Son cadet, Édouard, lui emboîte le pas huit ans plus tard. "Mon père a fait une passation du pouvoir exemplaire tout en douceur, se souvient Édouard Sauer. Il nous laisse une liberté absolue pour diriger, mais se montre présent quand on a besoin d’une épaule ou d’un conseil."
Les deux frères se répartissent les rôles. Jérôme "tient la boutique" en prenant en main les orientations stratégiques du groupe et Édouard s’appuie sur sa bosse du commerce pour le développer. Avec l’aval du patriarche, ils se diversifient en se tournant, dès 2018, vers les métiers de la promotion et du foncier, puis vers l’industrie.
Du logement à l'industrie
"Notre groupe était trop exposé au logement, ce qui était risqué." KS groupe s’associe à un bureau d’études pour créer Cical Synergies afin de proposer des usines clés en main aux industriels.Après avoir montré ses capacités dans le champagne près de Reims, l’entité se développe dans le bordelais et dans le Rhône. "Nos savoir-faire nous permettent de proposer des solutions haute couture."
Désormais, le secteur pèse pour 80 % de son chiffre d’affaires, lequel dépassait les 180 millions d’euros en 2023. Les deux frères ont conscience que leur secteur historique est "un acteur du désordre". Le BTP emploie une main-d’oeuvre peu qualifiée, souvent en difficulté patrimoniale, et les chantiers peuvent abîmer les corps. Sans compter l’impact environnemental de leurs activités. Les dirigeants œuvrent pour donner davantage d’élan à la construction bois, eux qui sont spécialistes du béton. Mais ils veulent aller plus loin.
Mieux répartir la richesse
Après avoir obtenu le statut de société à mission et mis en place une fondation, ils créent en 2021 un fonds de dotation auquel ils ont prévu de céder 51 % de leurs parts progressivement pendant dix ans. Il s’agit de "se déposséder" de leur groupe pour nourrir des projets d’utilité publique et mieux "répartir la richesse". Le fonds de dotation est dirigé par les frères ainsi que trois personnes externes et n’appartient à personne. Le versement des dividendes – que le fonds doit approuver – sert à nourrir des projets associatifs.
"Les entreprises avec un fonds de dotation ont six fois plus de chance de survie que les autres au bout de quarante ans"
À ce jour, 1,6 million d’euros ont été déployés à travers une quarantaine d’associations dans le handicap, pour les personnes en grande précarité ou éloignées de l’emploi et dans la défense de l’environnement. Le fonds a une feuille de route. Il doit s’assurer que le groupe respecte ses valeurs essentielles. Il peut opposer son veto à des projets ou à des nominations qui ne lui sembleraient pas adéquates, même familiales. Édouard Sauer précise s’inspirer de ce qui se fait au Danemark, seulement 28 entreprises françaises ayant adopté cette organisation. "Le modèle danois montre qu’au bout de quarante ans, les entreprises avec un fonds de dotation ont six fois plus de chance de survie."
Pédagogie
Les générations suivantes pourront-elles prendre leur suite ? "Tous les membres de notre famille auront une place privilégiée s’ils le souhaitent, mais les compétences devront primer. On peut être brillant et ne pas être fait pour diriger une entreprise." En interne, comme en externe, les deux frères font montre de pédagogie sur le sujet. Leur père, un temps étonné par le projet, est l’un de ses meilleurs défenseurs aujourd’hui.
Olivia Vignaud