Depuis la revente de sa start-up Aiden.ai à Twitter, Marie Outtier consacre une partie de son temps au financement d’entreprises. À la tête d’un portefeuille de plus de trente start-up, celle qui est également venture partner chez Firstminute Capital peut s’appuyer sur son expérience anglo-saxonne pour éclairer ses choix.

Décideurs. Vous avez connu une aventure entrepreneuriale avec Aiden.ai que vous avez revendue à Twitter en 2019. En quoi était-ce un bon business ?

Marie Outtier. Ce n’était pas un bon business, sinon je ne l’aurais pas vendue, mais la technologie et le produit étaient solides. Quand on a développé Aiden.ai, lever des fonds fut une véritable épreuve, les solutions d’IA ne faisaient pas encore partie du paysage et beaucoup m’ont dit que ce n’était pas une bonne idée. On présente aujourd’hui mon histoire comme une aventure glamour car j’ai cédé cette start-up à une entreprise prestigieuse. Par chance, nous avons vécu une fin heureuse et apporté de la valeur à Twitter. Mais il convient d’être lucide et de savoir s’arrêter quand on ne peut pas amener une entreprise à son plein potentiel. Grâce à Aiden.ai, nous avons réalisé un retour sur investissement de 300 % en quelques années, ce qui peut paraître élevé en théorie mais n’est pas suffisant à l’échelle d’un business angel. Comme il y a énormément de casse dans ce domaine – 80 % des start-up disparaissent entre deux et cinq ans d’existence –, il en faut toujours une qui puisse rapporter plus que la totalité de celles qui ont échoué afin d’absorber les pertes.

Vous avez commencé à investir à partir de 2020 tout en travaillant chez Twitter. Qu’est-ce que cela apporte aux entrepreneurs que vous financez ?

J’étais curieuse de savoir comment cela se passait du côté des financeurs. Aux États-Unis, environ 60 % de ceux qui travaillent dans des fonds ont une expérience opérationnelle des start-up. Ce n’est pas le cas en France. Cela s’avère pourtant très utile quand on est au capital d’une entreprise. Par exemple, j’ai de l’empathie pour un fondateur qui m’appelle lorsqu’il rencontre un problème, car je sais ce qu’il a vécu. 

Quel était votre rôle chez Twitter ? Pourquoi en être partie ?

Chez Twitter, j’ai continué à diriger une équipe produit à Londres puis en Californie. Nous avons intégré notre technologie puis contribué au développement de produits pour les petites et moyennes entreprises. Je suis partie un an avant la date prévue à cause d’Elon Musk. La vie est trop courte pour travailler avec des gens dont on ne partage pas les valeurs.

56 % des start-up dans lesquelles vous avez investi sont fondées par des femmes. Est-ce un hasard ?

Non. La diversité est un choix. À mes débuts dans l’entrepreneuriat, seuls 2 % des financements étaient alloués à des start-up fondées par des femmes. Une fois devenue business angel, je me suis fixé un objectif de 30 % d’entreprises portées par des fondatrices. Sans faire d’efforts, j’en suis actuellement à plus de 50 %. Peut-être les entrepreneuses m’envoient-elles davantage de projets parce qu’elles peuvent plus facilement s’identifier à moi. Les fonds qui expliquent qu’il est compliqué de trouver ce type d’investissement me paraissent être d’une fainéantise extraordinaire.

"Sans faire d’efforts, j’ai investi dans plus de 50 % de start-up portées par des femmes"

Quelle est votre stratégie d’investissement ?

Depuis quatre ans, j’ai investi dans 31 start-up et plusieurs fonds. En 2020, j’avais envie de nourrir ma curiosité intellectuelle, de rester proche de l’univers start-up et peut-être même de vivre par procuration la vie d’entrepreneur. J’investis dans des domaines très différents mais je ne mise que sur des entreprises dont les fondateurs ont un profil technique ou ingénieur. Je dois avoir la conviction que l’équipe et le marché sont capables de permettre à l’entreprise de faire fois dix.  J’ai parié sur Dioxycle qui recycle les émissions de CO2 dans l’industrie et a levé des fonds auprès de Bill Gates, ou encore sur Lambda Labs, une plateforme de GPUs dans le cloud. Je possède également des parts dans Soft Kids qui se bat pour apporter de l’intelligence émotionnelle dans l’éducation, et dans le réseau Meuf. Toutes ces start-up cochent la case de convictions personnelles.

Vous avez travaillé treize ans en Angleterre et aux États-Unis. Comment percevez-vous l’écosystème français ?

Cela fait un peu plus d’un an que je suis rentrée en France. Ce qui s’y passe est très intéressant. Les entrepreneurs peuvent bénéficier de fonds privés et de fonds publics grâce à Bpifrance, structure qui n’existe pas partout. Ils sont également soutenus par des business angels. Mais le pays gagnerait à proposer davantage de financeurs avec une expérience opérationnelle et à prendre en compte les anciens collaborateurs de start-up, ceux qui avaient les mains dans le cambouis. Il ne faut pas sous-estimer la force des personnes moins visibles. Les start-up doivent aussi devenir clientes les unes des autres. Cela se voit de plus en plus en France car les graines plantées dix ans auparavant commencent à germer. Enfin, on gagnerait également à avoir davantage de gros exits (Ndlr : d’entreprises mieux vendues) pour permettre notamment à d’anciens fondateurs de redistribuer du capital en devenant business angels.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

 

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