Rupture des relations commerciales: les pièges à éviter
L’approvisionnement et la distribution sont des éléments importants de la stratégie d’une entreprise. En période de crise, celle-ci doit être capable de mettre fin rapidement à certaines relations existantes. On ne saurait néanmoins clore ces relations sans prendre certaines précautions : la législation française condamne en effet toute rupture qualifiée de brutale. Les principes suivants permettent d’éviter les pièges et minimiser les risques(1).
A fin de s’adapter à leurs marchés et de préserver leur compétitivité, les entreprises modifient fréquemment leur politique d’approvisionnement ou de distribution. Elles peuvent alors être obligées de réduire ou de mettre fin à certaines relations existantes. Ces ajustements doivent être réalisés avec la plus grande attention. En effet, la rupture des relations commerciales établies, qu’elle soit partielle ou totale, peut coûter cher si elle est considérée comme « brutale » au sens de l’article L.442-6 I 5° du code de commerce.
Une telle rupture expose son auteur non seulement à l’indemnisation de son partenaire, mais également à l’application d’une amende civile. N’ayant que peu ou plus de perspectives d’activité avec l’auteur de la rupture, les partenaires éconduits n’hésitent pas à l’assigner devant les juridictions compétentes.
Déterminer si la rupture est brutale
La rupture d’une relation commerciale établie est brutale lorsqu’elle a lieu sans préavis ou bien lorsqu’elle intervient avec l’application d’un préavis insuffisant au regard notamment de la durée de la relation commerciale. Les cas de rupture totale sont simples à identifier puisqu’ils visent l’arrêt total des relations commerciales entre les parties, quelle que soit la forme de cette rupture. Ainsi, l’arrêt complet des commandes habituellement passées par un distributeur auprès de son fournisseur est classiquement considéré comme une rupture brutale de relations commerciales établies.
En revanche, la survenance du terme d’un contrat à durée déterminée, même de longue durée, ne constitue pas en principe une rupture brutale si ce contrat n’avait pas été précédé d’autres contrats de même nature. S’agissant de la rupture partielle, cette notion est plus délicate à apprécier puisqu’il s’agit de déterminer à partir de quel moment une simple diminution de commandes ou du volume d’affaires sera considérée comme matérialisant une telle rupture. Cette question nécessite ainsi d’apprécier concrètement l’historique de la relation entre les partenaires.
La jurisprudence refuse classiquement de tenir compte des circonstances économiques extérieures aux parties (comme la « crise économique ») pour justifier d’un préavis réduit. Dans un arrêt du 12 novembre 2009, la Cour d’appel de Versailles a toutefois jugé qu’une baisse significative de commandes ne pouvait être qualifiée de rupture brutale dès lors que le volume d’activité avait toujours été fluctuant, que le donneur d’ordre n’avait fait que répercuter la baisse de ses propres commandes et que sa volonté de modifier sa politique d’achat n’était pas démontrée.
Enfin, une rupture immédiate est toujours possible en cas de faute du partenaire suffisamment grave pour rendre intolérable le maintien de la relation existante.
Formaliser le préavis et lui donner une durée suffisante
Si l’article L.442-6 I 5° du code de commerce précise que le préavis doit être « écrit », aucun formalisme particulier n’est cependant requis en jurisprudence. En pratique toutefois, les entreprises seront bien inspirées de formaliser ce préavis au travers d’un courrier recommandé avec avis de réception. La durée du préavis dépend essentiellement de la durée de la relation commerciale, mais peut également être « ajustée » en tenant compte de la notoriété des produits, de l’importance que représente le chiffre d’affaires entre les deux parties ou encore du délai nécessaire à la victime de la rupture pour réorganiser son activité.
Cette durée peut cependant s’avérer difficile à calculer, notamment en cas de succession de contrats à durée déterminée ou d’opérations ponctuelles. Dans ce cas, le point de départ de la relation commerciale est matérialisé par le moment à partir duquel a été mis en place le courant d’affaires régulier entre les parties.
Limiter le risque financier
Les dommages et intérêts alloués dépendent de chaque cas. Ces derniers sont censés compenser intégralement le préjudice subi par la victime de la rupture. Sur ce point, il est fondamental de relever que le préjudice est celui causé par la brutalité de la rupture, et non pas par la fin de la relation commerciale elle-même. Les postes de préjudice les plus fréquents sont les suivants : les gains manqués pendant la période de préavis qui aurait dû être respectée et les investissements spécifiques non amortis.
En revanche, le coût des licenciements réalisés du fait de la fin de la relation commerciale n’a pas à être indemnisé dès lors que ces salariés auraient pu être reclassés au vu du délai de préavis accordé. Les dommages et intérêts alloués comprennent parfois l’indemnisation d’un préjudice moral, notamment si l’auteur de la rupture a laissé se créer (ou a encouragé) dans l’esprit de son ancien partenaire une confiance dans la poursuite de leurs relations ou bien si la rupture est intervenue dans des conditions vexatoires. Enfin, l’auteur de la rupture encourt le prononcé d’une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 2 millions d’euros.
Il est important de noter que le fait pour la victime de s’être placée dans une situation « maximisant son préjudice », notamment en ne diversifiant pas ses partenaires et en se plaçant, de la sorte, dans un état de dépendance vis-à-vis de l’auteur de la rupture, peut conduire à réduire l’indemnisation qui lui est due.
Prendre en compte les partenaires étrangers
Les questions de droit international privé étant complexes et étroitement dépendantes de la nationalité de la société avec laquelle l’entreprise française sera en relation d’affaires, il faut distinguer deux cas selon que les juridictions françaises seront ou non compétentes. Dès lors que la juridiction française est compétente, elle appliquera les dispositions relatives à la rupture brutale d’une relation commerciale établie.
En effet, soit la loi applicable au litige sera la loi française, soit, en toute hypothèse, le caractère d’ordre public des dispositions précitées la conduira à les appliquer. |
Si la juridiction compétente est étrangère et sauf à ce que la relation commerciale ait été principalement exécutée en France, il est peu probable que la juridiction compétente fasse application des règles françaises relatives à la rupture brutale de relations commerciales établies.
Agir en amont
Il convient également d’agir en amont afin de limiter les zones de conflits. Pour cela, il est envisageable d’encadrer contractuellement la part maximale d’activité que l’entreprise ne doit pas dépasser avec son partenaire. Cette stipulation permet d’éviter que le partenaire ne se retrouve en situation de dépendance économique et, dans le même temps, fournit de la visibilité sur la période de préavis acceptable quand une rupture est envisagée.
Ensuite, il faut prêter attention aux obligations imposées au partenaire et qui conduisent celui-ci à dédier une partie de son personnel à certaines activités ou à réaliser des investissements spécifiques. À l’inverse, il est même envisageable, sous réserve d’impératifs pratiques liés à la nature de l’activité, de stipuler que le partenaire ne devra pas dédier son personnel à l’activité qui lui est confiée ni consentir d’investissements spécifiques dans le cadre de la relation commerciale en cause.
Parallèlement, il est prudent d’informer le plus rapidement possible et par lettre recommandée avec avis de réception un partenaire si des baisses des volumes commandés sont prévisibles.
Juin 2010
1 Voir également www.magenta-legal.com/blog/2009/07/22/la-rupture-des-relations-commerciales-etablies-conseils-pratiques/