Une enquête croisée du groupe de conseil Diot-Siaci et de l’Ifop, publiée le 8 avril dernier, présente un résultat a priori réjouissant : après trois années de hausse consécutive, le taux d’absentéisme global au sein des entreprises françaises a enfin diminué en 2023. Un constat toutefois nuancé par l’explosion des arrêts de longue durée et par la dégradation des indicateurs de santé au travail.
Absentéisme en baisse, quelle réalité au-delà des chiffres ?
Une fois passée l’épidémie de Covid-19, le taux d’absentéisme en entreprise est revenu à 5,06 % en 2023, contre 5,64 % en 2022. Il reste toutefois supérieur à celui de 2019 (4,78 %). Après être monté à 17,44 % en 2022, le taux de turnover a lui aussi régressé pour atteindre 14,95 % en 2023, sans pour autant redescendre sous le seuil de 2020 (10,95 %). À noter : 32 % des salariés envisagent de démissionner de leur poste actuel, un taux qui grimpe à 33,71 % chez les moins de 35 ans.
De grandes disparités selon l’âge, la catégorie sociale, le genre et le métier
Les deux études de Diot-Siaci et de l’Ifop soulignent des disparités significatives selon le genre : les hommes (4,26 %) sont en moyenne moins absents que les femmes (6,27 %). En cause, selon Sabeiha Bouchakour, directrice prévention et qualité de vie au travail de Diot-Siaci, “la surreprésentation des femmes dans les métiers pénibles”. Plus révélateur encore, l'âge entre davantage en ligne de compte puisque le taux d’absentéisme des moins de 25 ans (3,10 %) est bien inférieur à celui des 55 ans et plus (6,88 %).
Par ailleurs, l’industrie et le commerce ont enregistré une baisse plus marquée que dans les secteurs des services, du transport ou de la logistique. De leur côté, les ouvriers (8,07 %), les employés et agents de service (6,41 %) ont été plus absents que les professions intermédiaires (4,84 %) et les cadres (2,26 %). Le recours des cadres au télétravail semble expliquer en partie ce phénomène : ils sont 74 % à avoir déclaré que la possibilité de travailler à distance leur avait permis d’éviter un arrêt maladie.
“74 % des cadres ont déclaré que la possibilité de travailler à distance leur avait permis d’éviter un arrêt maladie”
Les arrêts de longue durée explosent
La baisse globale de l’absentéisme est à nuancer cependant : le taux d’arrêts longs (de plus de 90 jours) a atteint un niveau record de 2,70 %, totalisant un peu plus de la moitié des absences. Christophe Nguyen, président du cabinet de conseil Empreinte Humaine, explique cette augmentation par l’explosion des arrêts liés à des troubles psychologiques : “Il y a une vraie fragilisation de la santé psychologique des salariés, qui se manifeste par des arrêts longs, coûteux et difficiles à accompagner.”
La santé mentale des équipes toujours en berne
Autre élément préoccupant, les indicateurs de santé au travail se dégradent. Selon 74% des salariés, leur métier peut avoir des conséquences négatives sur leur état psychique, tandis que 55% estiment que le travail peut affecter leur santé physique. Parmi les raisons invoquées : situations de stress fréquentes et charges de travail trop importantes, manque de reconnaissance et rémunération insuffisante.
Un constat partagé par Christophe Nguyen : “Les trois quarts des personnes interrogées dans nos baromètres disent que la stratégie des entreprises s’oppose à leur bien-être. Ce n’est pas parce qu’une entreprise atteint ses indicateurs de performance que ses salariés sont en bonne santé.”
Des salariés peu valorisés et sous pression ? C’est aussi ce qu’observe Sabeiha Bouchakour : “En listant les thématiques d’organisation du travail et de santé-sécurité, on se rend compte qu’un important risque professionnel se trouve dans le décalage entre le travail prescrit (par l’employeur) et le travail perçu (par le salarié).”
Nombreux sont justement ceux qui, au sein de l’entreprise, estiment que le défaut de prévention et de prise en compte des troubles psychiques est responsable de ces arrêts. Selon eux, parmi les raisons qui auraient pu empêcher un arrêt de travail, figurent la mise en place de davantage d’actions de prévention en lien avec la santé physique ou psychologique (63 %), une souplesse accrue dans l’organisation du temps de travail (63 %) et une plus grande facilité à évoquer des sujets de santé physique ou psychologique (62 %).
Christophe Nguyen abonde en ce sens et y voit une tendance de fond : “Ces chiffres sont le résultat d’un manque de sensibilisation à l’importance du bien-être pour être efficace sur le plan professionnel, dans la population générale et chez les salariés. Et cela a des conséquences durables sur le rapport au travail et l’engagement de chacun.”
“La prévention est un outil essentiel d’efficacité et de performance qui doit être piloté au plus haut niveau de l’entreprise”
À lire : Santé mentale : un taux record d’absentéisme en 2022
La prévention, nouvel impératif stratégique
Alors que le sujet des actions menées par les entreprises pour assurer le bien-être de leurs équipes est sur toutes les lèvres, l’état de la santé mentale des salariés n’a jamais été aussi dégradé.
Selon Christophe Nguyen, il est urgent de mettre en place des mesures de prévention adéquates et adaptées à chaque organisation : agir sur les conditions et la charge de travail, répondre au besoin de reconnaissance et de sens des salariés, veiller à la qualité des relations avec les managers, etc.
De tels dispositifs représentent un enjeu prioritaire : “ La prévention est un outil essentiel d’efficacité et de performance qui doit être piloté au plus haut niveau de l’entreprise. La direction doit porter une vision stratégique qui la différencie en matière de politique RH, tout en évitant un écueil majeur : l’implémentation d’actions ‘cosmétiques’ qui laisseraient entendre que tous les salariés vont bien. ”
La prévention : levier de performance de l’entreprise ? C’est la conclusion de Christophe Nguyen : “Celles qui auront mis en place des mesures de prévention en cohérence avec leur propre stratégie de développement seront les grandes gagnantes.”
Caroline de Senneville