Alors que le Medef se montrait par le passé très critique vis-à-vis du Rassemblement national, son discours se fait plus timide à mesure que l’extrême droite gagne du terrain. L’organisation n’est pas la seule à se montrer prudente. Une façon d’imposer discrètement son agenda à un éventuel gouvernement Bardella ?

Le Rassemblement national monte en puissance et cela se ressent dans le discours des représentants des patrons. Alors qu’en 2017 le président du Medef, Pierre Gattaz, fustigeait la stratégie de Marine Le Pen, la qualifiant de "stupide, absurde et dangereuse" et qu’en 2022 Geoffroy Roux de Bézieux estimait que le programme étatiste du parti d’extrême droite "risquerait de placer le pays dans une impasse", le patronat – aujourd’hui représenté par Patrick Martin – se fait désormais plus discret quant à son avis sur le RN. Dans un communiqué publié le 11 juin, le Medef affirme qu’il "soutiendra les projets favorables aux réformes économiques et à l’ambition européenne, dans le respect de la démocratie sociale" tout en se gardant de viser précisément tel ou tel parti.

Coup de pression ?

Dans le même communiqué, l’organisation patronale précise qu’elle souhaite voir se poursuivre les réformes entreprises jusque-là afin que celles-ci soient consolidées et approfondies. Elle pense à la réforme du marché du travail, à l’orientation des jeunes ainsi qu’à la formation, mais également au renforcement de la compétitivité en confirmant la baisse des impôts de production, à l’engagement d’un plan massif en faveur de l’innovation ou encore à la réduction de la dette et des déficits publics. Le patronat ajoute que l’Union européenne est "un atout considérable" pour les entreprises françaises, qui font face à une compétition internationale de plus en plus vive. Depuis le Brexit, le discours de Marine Le Pen s’est adouci car les citoyens sont davantage attachés à l’Union européenne mais le RN n’est pas connu pour son soutien à Bruxelles. Le Medef cible-t-il dès lors l’ancien Front national ? Le fait-il également quand il décrie ceux qui souhaitent "le retour à la retraite à 60 ou 62 ans" ? Peut-être mais cela n’est pas écrit noir sur blanc.

En réalité, cette absence d’opposition frontale ressemble surtout à une technique politique. Le RN gagne du terrain sur le plan électoral, son arrivée au pouvoir n’est plus taboue. Pour les milieux économiques, l’heure n’est plus à la confrontation mais à l’influence. Objectif : faire en sorte que le mouvement de Marine Le Pen, à la manière de Giorgia Meloni en Italie, gouverne de façon libérale sur le plan économique. Le travail de fond semble marcher puisque l’extrême droite a lâché du lest sur le sujet clé de la réforme des retraites.

Cette absence d'opposition frontale est une technique politique. L'arrivée au pouvoir du RN n'étant plus taboue, l'heure n'est plus à la confrontation mais à l'influence

Pas de front patronal

Selon les informations des Échos, à la suite des élections européennes du 9 juin, le Medef a réfléchi avec la CPME et l’U2P (artisans, petits commerçants et professions libérales) à un communiqué commun. Les organisations ont finalement décidé de faire bande à part. La CPME a publié un communiqué le 10 juin pour redire ses priorités dans le cadre de la dissolution de l’Assemblée nationale. Là encore le poids trop important de la dette est évoqué. La confédération l’affirme : "Quiconque engagerait des réformes coûteuses sans prendre en compte cet élément, exposerait la France à un risque majeur." La CPME va également se montrer attentive sur les sujets de transition écologique, la réduction des impôts de production ou encore la simplification administrative.

Quatre jours plus tard, la CPME dévoilait un deuxième texte en réaction au programme du Nouveau Front populaire. Celui-ci "aurait des conséquences catastrophiques pour l’économie française. (Il) conduirait à une explosion de la dette et précipiterait, à brève échéance, notre pays vers un scénario identique à celui qu’a connu la Grèce", s’inquiète la confédération. De son côté, le président de l’U2P, Michel Picon, a expliqué à l’AFP "respecter le choix du peuple, mais le RN doit dire plus précisément ce qu'il entend sur les sujets ayant un impact fiscal, social, économique pour les petites entreprises."

Des réactions suffisantes pour le ministre de l’Économie ? Mardi, Bruno Le Maire appelait "les chefs d'entreprise et les industriels" à faire "comprendre au reste de la population que (...) si ce programme-là passe, on ferme nos usines et on supprime des emplois". Problème : avec l’ascension du RN, les organisations patronales sont elles-mêmes touchées en leur sein par le phénomène. Certains de leurs adhérents votent à l’extrême droite quand d’autres craignent la réaction de leurs employés ou de leurs parties prenantes s’ils venaient à prendre parti.

Résistance !

Malgré tout, certains médias ou personnalités clés du monde des affaires ont clairement fait le choix de relever le gant. Ainsi, en Une du numéro publié peu avant les européennes, Challenges a consacré plusieurs pages au projet économique de Jordan Bardella, qualifié d’« illusionniste ». En mars dans une tribune publiée par Les Échos, c’est Ross McInnes, PDG de Safran, qui a étrillé le projet économique de l’extrême droite avant de le pilonner à nouveau sur Radio Classique. Selon de bons connaisseurs du milieu des affaires, il est monté au front seul mais sur demande d’autres figures u CAC40.

En somme, pour les milieux économiques, le RN est un cancer impossible à éradiquer. Seule solution, limiter les métastases, quitte à se montrer conciliant en façade.

Olivia Vignaud

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