Hôpital en crise : quand le droit pénal impacte le quotidien des soignants
L'hôpital est de plus en plus fréquemment le terrain d’infractions volontaires commises par les patients ou leurs proches à l’encontre du personnel hospitalier. Ce dernier, déjà fragilisé par un mode d’exercice malmené, hésite moins souvent à porter plainte pour voir reconnaître la souffrance qui résulte de ces infractions. Parfois, les professionnels de santé, en cas de remise en cause de leur prise en charge, doivent à leur tour répondre devant la justice pénale d’infractions involontaires. Beaucoup plus rarement, l’hôpital est bien malgré lui le terrain d’infractions volontaires les plus graves dont la médiatisation porte atteinte à son image. Les dossiers d’infractions volontaires commises à l’encontre des soignants – et plus généralement du personnel hospitalier – sont les plus fréquents et trouvent devant la juridiction pénale une réponse le plus souvent adaptée.
Ainsi, les infractions d’outrage (article 433-5 du code pénal : paroles, gestes ou menaces, écrits ou images de toute nature non rendus publics ou envoi d’objets quelconques adressés à une personne chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie), de menace de crime ou délit contre une personne chargée d’une mission de service public (article 433-3 du code pénal), les actes d’intimidation envers les professionnels de santé pour qu’ils accomplissent ou s’abstiennent d’accomplir un acte de leur fonction (article 433-3-1 du code pénal), voire les violences physiques (article 222-13 du code pénal) ou même homicides volontaires (article 221-4 du code pénal) sont sanctionnés par une peine aggravée du fait de la qualité de la victime – un professionnel de santé dans l’exercice ou du fait de ses fonctions.
Les dossiers d’infractions volontaires commises à l’encontre des soignants sont les plus fréquents et trouvent devant la juridiction pénale une réponse le plus souvent adaptée
Dans un dossier emblématique de ce type d’infraction défendu par Tamburini-Bonnefoy, le prévenu, récidiviste, a été condamné à dix-huit mois de prison et, entre autres peines complémentaires à une interdiction de paraître au centre hospitalier en question pendant deux ans, sauf urgence vitale. Les magistrats ont relevé que "ce comportement réitéré sur la durée a des conséquences graves sur l’état psychologique du personnel de l’hôpital, que ces faits portent atteinte à la dignité des agents publics ainsi qu’à la fonction dont ils sont investis, et a pour objectif de les empêcher d’exercer leur mission d’intérêt général sereinement. De tels faits créent un sentiment d’anxiété pour les personnels et une fragilité nuisible tant pour les personnels eux-mêmes que pour les patients potentiels qui peuvent ainsi être privés du fonctionnement optimal du service public de santé".
Si les faits ne sont pas toujours aussi graves ni les sanctions toujours aussi lourdes, Tamburini-Bonnefoy constate une croissance inquiétante de ces dossiers et il importe que le personnel hospitalier, lorsqu’il est agressé, ne banalise jamais la violence quotidienne et ne la laisse pas s’immiscer dans le soin. La très récente et médiatique agression au couteau au sein même des vestiaires de l’hôpital de Reims, d’une secrétaire médicale, gravement blessée, et d’une infirmière, décédée, a contraint les politiques à réagir avec la plus grande fermeté. Comme souvent en pareilles circonstances, le ministre de la Santé a convoqué un comité dédié réunissant syndicats et professionnels pour envisager des mesures de nature à améliorer la sécurité des professionnels de santé. L’agresseur a reconnu en vouloir au milieu hospitalier et avait bénéficié, quelques mois avant les faits, d’un nonlieu pour irresponsabilité pénale.
Le non-lieu ou la relaxe laissent malheureusement des traces indélébiles
Les dossiers d’infractions involontaires concernent à l’inverse la remise en cause des soins dont la non-conformité aux données acquises de la science peut être constitutive de blessures ou homicides commis par les professionnels de santé à l’encontre des patients. Nous constatons alors, sans occulter la souffrance des proches de patients décédés au décours de leur prise en charge hospitalière, que la qualification d’homicide involontaire, lors de l’annonce de la mise en examen et pendant les trop nombreuses années que dure la procédure, est d’une extrême violence à l’égard du professionnel qui a vocation à soigner. Le non-lieu ou la relaxe laissent malheureusement des traces indélébiles.
Il s’agit de l’échec du soin, et la qualification d’homicide involontaire (article 221-6 du code pénal) requiert, lorsque l’auteur n’a qu’indirectement commis l’homicide, c’est-à-dire qu’il a commis une faute ou un manquement qui a contribué à la situation qui a permis la réalisation du dommage, ce qui est le plus souvent le cas en matière médicale, la démonstration d’une faute dite qualifiée (article 121-3 du code pénal) : soit une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité, que l’auteur ne pouvait ignorer. La difficulté de la défense des professionnels de santé tient alors notamment au fait que le magistrat, à qui il revient de qualifier souverainement les faits, s’appuiera sur un rapport d’expertise rendu à l’issue d’opérations non contradictoires, le ou les experts étudiant le seul dossier médical, sans obligation d’entendre le professionnel mis en cause.
De manière exceptionnelle, l’hôpital peut être le terrain d’infractions volontaires commises par son personnel
Dans un dossier en cours défendu par Tamburini-Bonnefoy, il est par exemple reproché à un chirurgien viscéral et digestif, appelé en pleine nuit alors qu’il était d’astreinte à domicile, pour un patient opéré par un confrère, d’avoir, au vu des informations transmises par l’anesthésiste, préconisé un transfert dans un autre établissement de santé, en l’espèce depuis une clinique privée vers un CHU, sans avoir vérifié par lui-même, sur place, l’état du patient. La défense consiste alors à démontrer l’absence de faute qualifiée : la décision de transfert immédiat, médicalement légitime, y compris sans examen préalable compte tenu de la chronologie de la prise en charge, n’a aucun lien de causalité certain avec le décès. Si par extraordinaire une perte de chance de survie était imputée à la prise en charge du chirurgien d’astreinte, elle serait exclusive de toute responsabilité pénale.
De manière exceptionnelle, l’hôpital peut être le terrain d’infractions volontaires commises par son personnel. Les dossiers sont rares, leur retentissement est majeur, là encore d’abord pour les victimes dont la confiance est trompée par l’autorité du médecin. La structure hospitalière et son personnel ne sont cependant pas épargnés par un préjudice d’image et de réputation. Tamburini-Bonnefoy a ainsi récemment eu à défendre un centre hospitalier, partie civile aux Assises dans un dossier de viol aggravé et agressions sexuelles commis par un praticien de l’hôpital, dans et hors les murs de l’établissement, au moyen de l’administration d’un hypnotique sédatif qu’il s’était fait remettre par du personnel hospitalier. Le médecin a été déclaré coupable de viol et agressions sexuelles avec les circonstances aggravantes de violence et d’abus de l’autorité conférée par ses fonctions. Il a fait appel de sa condamnation à quinze ans de réclusion criminelle assortie notamment d’une interdiction définitive d’exercer une profession médicale ou paramédicale.
Nous avons fait valoir la qualité de victime de l’établissement et de son personnel, parties civiles, et les avons accompagnées tout au long d’une session très éprouvante. Cette affaire n’est malheureusement pas isolée et ce ne sont pas moins de 312 victimes qui feront valoir leurs droits lors d’un procès d’Assises à l’automne 2024, à l’encontre d’un chirurgien déjà incarcéré pour plusieurs viols sur mineurs.
SUR L’AUTEUR
Catherine Tamburini-Bonnefoy, avocat depuis vingt-cinq ans, offre à ses clients une expertise exclusivement dédiée à la responsabilité médicale. L’équipe de Tamburini-Bonnefoy, composée de neuf avocats à Paris et à Montpellier, défend les établissements de santé publics et privés et leur personnel, les praticiens libéraux et les assureurs devant les juridictions civiles, administratives, pénales et disciplinaires.