Si le luxe et l’automobile ont investi les métavers, quid des entreprises "normales" ? Pour tous les dirigeants, de start-up comme de groupes industriels, Philippe Cassoulat, président du collectif de l’Observatoire des métavers, présente ces univers virtuels collaboratifs et ce qu’ils offrent aux sociétés.

Décideurs. À titre personnel, pouvez-vous nous parler de votre première incursion dans les métavers ?

Philippe Cassoulat. Des proches m’ont convaincu de chausser un casque de réalité virtuelle. Propulsé dans un jumeau numérique de Venise, réalisé à l’occasion de la Mostra, j’ai pu profiter de la grandeur de la ville et discuter avec un ami qui m’avait rejoint dans cet univers. J’ai compris que les métavers renfermaient un nouveau référentiel de temps, d’espace… et d’émotion, dans lequel individus, entreprises et autorités gagneraient à développer de nouveaux usages.

L’Observatoire des métavers est un collectif composé de Talan, BPI France, la Mutuelle Générale, La Poste et de Vinci. Pourquoi l’avoir fondé ?

Figurez-vous que l’idée de l’Observatoire est née avec un sentiment de "déjà vécu". Il y a dix-huit mois, Talan, le groupe de conseil dont je suis directeur général, ainsi que nos partenaires historiques ont ressenti un empressement généralisé au sein de l’écosystème des entreprises françaises. Ce sentiment nous était familier. Nous l’avions éprouvé une première fois dans les années quatre-vingt-dix, puis en 2010, lors de la montée en puissance du Web, puis du Web mobile et des réseaux sociaux. Nous avons pris conscience qu’il fallait anticiper cette nouvelle vague. De larges investissements à l’étranger, en Asie et aux États-Unis, ont fini de nous convaincre. En France, on a laissé passer deux révolutions technologiques. N’en laissons pas passer une troisième.

"Pour une personne, une heure passée dans les métavers équivaut à un aller-retour Paris-Marrakech"

En juillet dernier, cette idée de créer un Observatoire du métavers est devenue réalité. Ce collectif a ouvert ses portes pour partager des expériences concrètes, réfléchir et analyser le développement professionnel et sociétal des métavers. Il évaluera les retours d’expérience afin de discerner le potentiel qu’offre le métavers et les écueils qu’il présente. De nombreuses grandes entreprises nous rejoignent pour participer à cette réflexion. À l’issue de nos travaux, nous partagerons nos conclusions avec nos adhérents et les pouvoirs publics.

En septembre 2022, vous avez lancé vos groupes de travail dont l’un porte sur l’impact environnemental. Doit-on parler de sobriété numérique dans les métavers ?

Il faut dès maintenant amorcer la discussion. Pour schématiser, pour une personne, une heure passée dans les métavers équivaut à un aller-retour Paris-Marrakech. Imaginez l’impact si l’on multiplie cela par un million d’utilisateurs. Et encore, avec un million, nous ne sommes pas à la hauteur des réseaux sociaux tels qu’Instagram ou TikTok. Raison pour laquelle l’Observatoire souhaite calculer l’impact des métavers dans leur dimension environnementale qui comprend l’utilisation de métaux rares pour la construction des devices et des centres de données, les consommations énergétiques... Dans ce domaine, il reste de nombreux murs à faire tomber tant les données opérationnelles manquent et la variété des métavers rend l’analyse complexe. Il faut aussi mesurer ce que certains usages peuvent apporter de positif dans cette équation complexe.

"Chaque catégorie d’usage représente de potentiels gisements de valeur pour l’entreprise"

Nous avons besoin d’un diagnostic global. Le métavers implique par ailleurs de nouveaux équipements, dont les fameux casques. Nous restons optimistes cependant. D’une part l’innovation technologique tend vers plus de frugalité, d’autre part, les nouvelles générations sont très impliquées sur le sujet de la sobriété numérique. Pour les développeurs d’aujourd’hui, un bon code est un code frugal. Je suis donc optimiste sur ces enjeux.

Quels sont les usages les plus porteurs pour les entreprises ?

Il y a trois types d’usages dans le cadre professionnel. La première catégorie concerne les collaborateurs, pour des usages tels que le recrutement, la formation ou l’onboarding. Carrefour, pour ne citer que ce grand groupe, recrute dans le métavers. D’autre part, suivre une formation est deux fois plus engageant dans un métavers qu’en visioconférence. Par exemple, dans certaines entreprises aux États-Unis, des scénarios de gestion de crise sont déployés, comme la simulation d’incendies. Si vous réalisez un exercice incendie physiquement, vous rassemblerez les collaborateurs dans la rue, en bas de votre immeuble avec souvent peu de motivation. Dans un univers virtuel, vous pouvez pousser, sans risque, la scénarisation beaucoup plus loin. Des avatars peuvent brûler au sein du jumeau numérique de l’entreprise s’ils ne prennent pas les bonnes décisions. La prise de conscience est incomparable grâce à l’immersion. On peut percevoir ici toute la puissance de ce type de représentation. La deuxième catégorie d’usage concerne les opérations. Il s’agit de revisiter un processus métier de l’entreprise, notamment gérer une intervention de maintenance utilisant des jumeaux numériques, et associer des experts à distance qui conseillent sur les gestes techniques à réaliser.

Et le troisième type d’usage concerne les clients de l’entreprise. Des usages pour de nouveaux types de clients : l’acronyme D2A, en anglais "Direct to Avatar", désigne la vente directe de produits (ou de services) numériques destinés aux avatars. Les enseignes du luxe ont profité de l’occasion pour couvrir les doubles virtuels de vêtements griffés. Chaque catégorie d’usage représente de potentiels gisements de valeur pour l’entreprise. L’Observatoire peut faciliter ces choix. Charge aux entreprises de se lancer.

Un conseil aux entreprises qui souhaitent s’engager dans les métavers ? 

Créer une nouvelle expérience. Dans le monde virtuel, il devient possible à toutes les enseignes de tisser un nouveau lien avec ses clients. En revanche, une banque ne peut pas se contenter de répliquer son agence dans un métavers. Il faut qu’elle crée un nouvel environnement, qui s’éloigne de la réalité et engage l’utilisateur de manière différente. Récemment, des exemples se sont multipliés permettant à des utilisateurs, à travers des quêtes virtuelles, de découvrir la politique RSE d’une entreprise. Comme le dit l’adage, "The sky is the limit !"

Propos recueillis par Alexandra Bui

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