Militaire, homme d'État et empereur des Français, Napoléon Bonaparte a marqué le droit et la société de ses "masses de granit". Le bicentenaire de sa mort est l’occasion de s’interroger sur ce qu’il reste de l’empreinte napoléonienne dans notre écosystème juridique moderne.

"Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code civil" :  Napoléon Bonaparte avait vu juste, un peu moins de la moitié des articles du code de 1804 sont encore en vigueur aujourd’hui.  Traduisant une vision révolutionnaire de la société, le Code Napoléon consacre aussi les valeurs de notre société : l’égalité civile entre les Français, l’individualisme s’opposant à l’aristocratie de l’Ancien Régime, la liberté contractuelle et la non-confessionnalité de l’État. Les dispositions vieilles de plus de deux siècles doivent leur pérennité à la méthode de rédaction adoptée par les juristes à l’origine ces textes. Le président de la Fondation Napoléon et juriste Thierry Lentz l’estime à la fois "précise et générale". Un oxymore qui révèle la volonté de concevoir une œuvre capable de résister à l’épreuve du temps. Mettant fin à la féodalité, le Code de civil s’organise en trois livres qui guident encore le législateur : le premier livre est consacré aux personnes, le second aux biens et aux différentes modifications de la propriété, le troisième aux différentes manières dont on acquiert la propriété. Majeur en France, l’ouvrage a aussi été exporté dans de nombreux pays étrangers. "Adopter les principes de la Révolution française, c’était adopter le Code", déclare le professeur. En vigueur jusqu’en Argentine, au Chili, au Venezuela et au Japon où il a été appliqué jusqu’à la fin du XIXe siècle, on retrouve encore l’influence de ce Code civil en Italie, dans certains Länder allemands et cantons suisses. C’est l’idée même de la codification que Napoléon a estampillée de l’empreinte française : des civilistes français ont par exemple été invités à participer aux travaux d’élaboration du Code civil chinois adopté l’année dernière.

Vivre et transmettre le droit

Le Code de 1804, avec ses dispositions simples et brèves, laisse également une grande place à la jurisprudence : les magistrats doivent faire vivre le droit. Créée en 1790, la Cour de cassation va prendre toute sa force sous le Consulat et l’Empire. Encore aujourd’hui, du haut de l’ordre judiciaire français, elle occupe une place de juge du droit et veille à l’application exacte de la loi par les tribunaux et les cours d’appel. Son organisation a d’ailleurs influencé la création de certaines hautes juridictions étrangères, notamment en Belgique et en Italie. Autre "masse de granit" créée par Napoléon, le Conseil d’État a lui aussi traversé les époques et les régimes politiques. Réunissant les meilleurs esprits de l’époque, son rôle principal était de conseiller le gouvernement, même si sa compétence juridictionnelle était indéniable déjà à l’époque. Environ 4 000 arrêts ont été rendus par la juridiction administrative suprême entre 1800 et 1815. Copié partout, même chez les ennemis de Bonaparte, le Conseil d’État a acquis avec le temps une liberté d’expression et de penser qui n’était pas envisagée dans les textes d’origine. Si ces institutions napoléoniennes continuent d’exister, "elles sont aujourd’hui des coquilles vides", modère le directeur de la Fondation Napoléon, souhaitant par-là mettre l’accent sur le changement de rôle assigné à la Cour de cassation et au conseil d’État dont l’activité se concentre aujourd’hui sur l’appréciation de l’application de la règle de droit par les juges du fond. Cette évolution n’est pas la seule que l’héritage napoléonien a connue depuis la mort de l’Empereur.

Le retour des juristes sous Napoléon

Il faut bien l’avouer : bien que précurseur, le Code civil de 1804 est incontestablement masculin : instaurant une minorité de la fille par rapport à son père et de la femme par rapport à son mari, il consacre également la notion du "bon père de famille", totalement désuète à présent. Sûrement en accord avec les mentalités de l’époque, de telles dispositions n’ont plus leur place dans la législation moderne. Les changements sociétaux se reflétant dans les lois, ce sont les textes relatifs à la famille et la filiation dans le droit civil positif qui sont plus éloignés des articles originels. Mesures phares de l’époque napoléonienne, la restructuration pyramidale de l’administration et le renforcement de l’autorité de l’État ne sont, eux non plus, d’actualité. Avec la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800), Napoléon Bonaparte consacre un mouvement de centralisation et institue une organisation administrative très hiérarchisée, notamment grâce au système préfet/sous-préfet/maire. Ayant pour objectif "d’enserrer les libertés locales dans un cadre administratif rigide", précise l’expert du Consulat et de l’Empire, ces mesures devaient maintenir l’unité nationale. Depuis 1982 et les lois Defferre, la mode est cependant à la décentralisation : on a souhaité rapprocher le pouvoir étatique des citoyens et accorder une plus grande autonomie aux collectivités territoriales. Bien que l’on retrouve encore cette notion d’unité à l’article premier de la Constitution ("La France est une République indivisible"), celle-ci ne passe plus par l’exercice d’un pouvoir autoritaire, mais par un sentiment d’appartenance collectif partagé par les citoyens français.

Désorganisées après la Révolution, les professions juridiques retrouveront une certaine structure durant le Premier Empire et l’on parlera d’un "retour des juristes" sous Napoléon. Les avoués sont rétablis en 1800, la profession de notaire est réorganisée en 1803 et les barreaux ainsi que les ordres d’avocats se voient restaurés en 1810. À première vue conciliantes, ces mesures ont pourtant pour but de maintenir une certaine discipline chez les juristes : Bonaparte confie par exemple à son Procureur général la tâche de nommer le bâtonnier ainsi que les membres des conseils de l'ordre des avocats, et au préfet le soin de contrôler les huissiers de justice. Strictement encadrées à l’époque, ces professions réglementées se libéralisent aujourd’hui comme l’illustre la loi Macron de 2015.

Léna Fernandes

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