La France entame progressivement son déconfinement et les établissements scolaires s’apprêtent à rouvrir leurs portes. À l’heure où les citoyens doivent adopter de nouvelles mesures d’hygiène et de sécurité, les élus locaux redoutent pour leur part l’engagement de poursuites pénales à leur encontre au cas où des élèves seraient contaminés. Le déconfinement fait-il peser une responsabilité encore plus lourde sur leurs épaules ? Qu’encourent-ils réellement ? Pour les rassurer, un texte a été prévu. En vain, puisque le corpus juridique français protège déjà nos élus.

Le 6 mai dernier, le Sénat adoptait en première lecture le projet de loi prolongeant l'état d'urgence sanitaire. Porté par 138 députés et 19 sénateurs La République en marche (LREM), un amendement au texte, limitant la responsabilité des employeurs, des élus locaux et des fonctionnaires en cas de contamination au Covid-19, a également été voté, contre l’avis du gouvernement. Cet amendement entend mieux protéger juridiquement les maires des communes dans le cadre du déconfinement et plus particulièrement lors de la réouverture des établissements scolaires. Un coup d’épée dans l’eau : l’arsenal juridique en place ne laisse que peu de place à d’éventuelles actions en justice contre eux.

Régime pénal protecteur

La question de la réouverture des écoles sème encore le trouble dans l’opinion publique et de nombreux parents ne souhaitent pas y renvoyer leurs enfants. Les maires doivent de leur côté garantir au sein de chaque étabissement des conditions d’accueil optimales pour lutter contre la propagation du Covid-19. Une tâche délicate certes, mais le droit en vigueur constitue leur planche de salut.

"Le régime de base prévu par le Code pénal et applicable aux élus locaux est très protecteur", précise d’emblée Clément Abitbol, avocat pénaliste à la tête de son propre cabinet. Ce texte n’est autre que l’article 121-3 du Code pénal. Conformément à l’alinéa 3 du texte, une simple faute d’imprudence ou de négligence pourra engager la responsabilité pénale du prévenu. Pour y parvenir, il conviendra d’établir que celui-ci n’a "pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait". Concrètement, la condamnation pénale d’un élu local suppose que celui-ci commette une faute caractérisée ou une violation manifeste de ses obligations. La responsabilité pénale pour infraction non intentionnelle a en effet pour but de sanctionner le comportement imprudent ou négligent de son auteur. "La loi Fauchon de 2000 relative à la définition des délits non intentionnels, dont est issu ce texte, a été créée pour protéger les décideurs publics contre des avalanches de plaintes et procédures", rappelle Clément Abitbol. La commission d’une faute caractérisée intentionnelle, répréhensible pénalement dans le cadre de la crise sanitaire, semble quant à elle bien peu probable à démontrer selon l’avocat : "La responsabilité pénale d’un maire pour faute intentionnelle suppose que celui-ci ait eu sciemment connaissance de la présence d’élèves contaminés dans une classe et qu’il les mette volontairement au contact d’autres élèves non contaminés", illustre le pénaliste. Impensable.

"Le texte n’apporte aucune clarté mais plutôt des zones d’incertitude".

Outre les textes, le pragmatisme des juges face à la gestion de la crise sanitaire limitera certainement l’aboutissement d’éventuelles poursuites pénales. Dans un premier temps, le juge s’attachera à vérifier que le maire a bien accompli ses diligences normales dans l’exercice de ses fonctions et qu’il a correctement mis en œuvre les mesures d’hygiène et de sécurité requises. "Les juges ne pourront cependant pas exiger de lui qu’il soit un spécialiste du coronavirus ou de la virologie. Leur appréciation se fera donc in concreto", commente Clément Abitbol.

Pas de plus-value juridique

Que prévoit donc de plus l’amendement aménageant le régime de responsabilité pénale des élus locaux voté récemment au Sénat ? Adopté en commission des lois présidée par Philippe Bas, sénateur des Républicains, lors de l’examen du projet de loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire, ce texte modifie l’article 1 de ce projet. Il exclut la responsabilité pénale des employeurs, élus locaux et fonctionnaires élus en cas de contamination par le Covid-19 pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire à moins que les faits aient été commis "intentionnellement", "par imprudence ou négligence", ou "en violation manifestement délibérée d’une mesure de police administrative". "Nous ne pouvons déconfiner sans protéger l’exercice des responsabilités de ceux qui en seront chargés", plaidait Philippe Bas pendant la séance

Sur le plan juridique, cet amendement n’apporte cependant aucune nouveauté. "Le texte adopté reprend l’article 121-3 du Code pénal déjà en vigueur, il n’a aucune plus-value juridique", confirme Clément Abitbol. Sa rédaction serait par ailleurs imprécise. "Le texte n’apporte aucune clarté mais plutôt des zones d’incertitude. Il risque en l’état de porter atteinte au principe d’égalité devant la loi, ce qui est potentiellement inconstitutionnel", analyse le pénaliste. Et c’est pour cette raison bien précise que le gouvernement s’y oppose. La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a d’ailleurs fait part aux sénateurs de son désaccord et souligné ces incertitudes rédactionnelles : "Je comprends la volonté de la commission de clarifier le cadre juridique, mais sa rédaction pose problème (…). Le gouvernement est disposé à préciser la loi, mais la réponse mérite d’être travaillée", expliquait la Garde des Sceaux. "Il me semble que l’on part sur un principe d’irresponsabilité, sur un principe de rupture d’égalité dans le déclenchement de la responsabilité", ajoutait Nicole Belloubet.

Action administrative réduite

En tant que personnes publiques, les élus locaux sont susceptibles de faire l’objet de poursuites devant les instances administratives. "Il faut cependant distinguer l’engagement de la responsabilité personnelle du maire en tant que personne physique, de sa responsabilité en tant que représentant de la commune personne morale", relève Sylvain Bergès, avocat associé du cabinet Racine spécialisé en droit public. Lorsque le maire commet une faute de service, il engage la responsabilité de l’institution pour laquelle il agit, en l’occurrence la commune. Lorsqu’il commet une faute détachable de ses fonctions, il engage sa responsabilité personnelle. Cette faute correspondrait à la poursuite de préoccupations d’ordre privé ou d’un intérêt personnel, un comportement excessif ou un acte inexcusable d’une particulière gravité. Pour Sylvain Bergès, l’engagement de cette dernière pour des faits de contamination au Covid-19 reste très limitée : "La possibilité d’une action devant le juge administratif pour une faute personnelle du maire reste très réduite. Les poursuites contre la personne morale auront cependant peut-être davantage de chance d’aboutir et pourront éventuellement donner lieu à des dédommagements". La crise sanitaire n’a par ailleurs en rien modifié le régime applicable aux élus locaux, les pouvoirs généraux des maires prévus par l’article L. 2212-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales s’appliquant toujours. Ces textes ont suffi à assurer leur protection juridique lors de précédentes épidémies comme la dengue, le chikungunya ou la grippe porcine.

"Seule une quinzaine de procédures pénales ont été engagées contre des élus sur ces dernières années"

"Les élus locaux sont soumis à des obligations de protection. L’une d’entre elles concerne la sécurité et la salubrité publique. Sur ce terrain, les poursuivants devraient prouver que le maire n'a pas pris les mesures de protection qui s’imposent dans les écoles (marquages, masques de protection, gel hydroalcoolique, etc.) et démontrer qu’un préjudice en a résulté. Ils pourront alors envisager d’engager la responsabilité de la commune pour demander réparation", illustre Sylvain Bergès.

Ce qui ne veut pas dire que, par prévention, les élus locaux doivent prendre des mesures pour renforcer leur lutte contre l’épidémie et qui outrepasseraient leurs obligations. Une décision du Conseil d'État, rendue le 23 avril dernier, a ainsi précisé l’étendue des pouvoirs des maires dans la lutte contre le Covid-19 pendant la période d'urgence sanitaire. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait estimé que l'arrêté pris par le maire de Sceaux, rendant obligatoire le port du masque dans les espaces publics était illégal et l'a suspendu. "Le Conseil d’État a sanctionné la mesure de police prise par le maire à l’aune des circonstances d’il y a quelques semaines. La même affaire jugée aujourd’hui n’aurait peut-être pas la même issue", explique Sylvain Bergès. D’autant plus que les Français devront désormais porter un masque pour sortir de chez eux.

Coup de projecteur médiatique ?

Les textes en vigueur prévus par le Code pénal et le Code général des collectivités territoriales démontrent le niveau de protection dont les élus locaux bénéficient. L’arsenal juridique déjà en place va limiter drastiquement le nombre de poursuites pour contamination d’élèves au Covid-19. Par ailleurs, peu de plaintes portées devant le juge pénal ont abouti à ce jour, comme le rappelle Clément Abitbol : "On dénombre seulement une quinzaine de procédures pénales engagées contre des élus sur ces dernières années, ce qui est très peu." Pas d’inquiétude à avoir donc du côté des élus. Les scandales qui ont secoué les mairies ayant maintenu le premier tour des élections municipales du mois de mars malgré le risque épidémique ont amené les élus à s’interroger davantage sur leurs prérogatives et à prendre pleinement conscience de l’impact de leurs décisions. L’adoption de cet amendent reste peut-être l’occasion pour certains sénateurs de bénéficier d’un coup de projecteur médiatique.

Les sujets liés au coronavirus sont largement relayés par les médias, et, notamment, les plaintes portées contre les ministres pour mise en danger de la vie d’autrui. « Les craintes des élus locaux de se retrouver poursuivis devant les juridictions répressives ne sont à mon sens pas fondées. Les textes sont suffisamment solides pour leur éviter ces démêlés judiciaires », analyse Clément Abitbol. De quoi rassurer les élus les plus inquiets et les encourager dans la réouverture des écoles, à condition que les mesures de sécurité et d’hygiène soient évidemment suffisantes.

Marine Calvo

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