L’élégance du bâtisseur
Difficile de nuancer le portait d’Hubert Flichy. L’avocat n’a ni rival ni ennemi. Chacun dans la profession semble reconnaître à la fois son talent et son humanisme. « C’est un homme rare », analyse son ami David Gordon-Krief. D’un naturel discret, le spécialiste du droit du travail n’est pas du genre à étaler ses compétences. Il suffit de constater la décoration sobre mais harmonieuse de ses bureaux de la prestigieuse avenue d’Iéna pour s’en rendre compte. Ni dorures, ni œuvres d’art. Nul besoin de trop en faire : le « m’as-tu-vu », n’est pas franchement du goût du fondateur. Pudique, ce passionné des vieilles bâtisses n’a pas l’habitude de parler de lui, préférant évoquer ceux qui ont croisé son chemin et pour lesquels il ne tarit pas d’éloges. « J’ai beaucoup d’amis dans la profession », explique celui qui a l’élégance de ceux qui n’ont plus rien à prouver, mais tout à transmettre. Une attention aux autres d’une spontanéité presque déconcertante pour un avocat de la trempe d’Hubert Flichy.
Chez Flichy Avocats, avenue d'Iéna à Paris, ni dorures ni oeuvres d'art.
« Il a le défaut de ses qualités »
Du haut de ses deux mètres, l’homme est bienveillant. En témoignent les sourires qui illuminent le visage de ceux qui croisent son regard dans les couloirs du cabinet. On en oublierait presque qu’à 67 ans, ce versaillais de souche compte parmi les plus grands techniciens du droit social. De façon naturelle, celui-ci met un point d’honneur à encourager et conseiller ses collaborateurs. « C’est un très bon formateur, car il sait faire confiance, témoigne Baudouin de Moucheron, qui codirige aujourd’hui le cabinet Gide. Alors que j’étais jeune avocat, il m’a laissé plaider mon premier dossier en référé à la fin des années 1980 ». Une qualité qu’Hubert Flichy ne met jamais en avant. « Il dit souvent qu’il n’a rien à apprendre aux autres », raconte son fils Stéphane Flichy, également avocat. « Il ne s’immisce pas dans mon activité, il la suit avec bienveillance », reconnaît-il, conscient de la modestie de son père. Et lorsque le fils décide de monter sa propre structure, Hubert Flichy n’y trouve rien à redire. Quant à la place des femmes dans la profession, pour lui, pas de débat : seule la compétence compte. Difficile donc d’entrevoir la part d’ombre d’Hubert Flichy. « Il a le défaut de ses qualités », explique David Gordon-Krief lorsqu’on lui demande quelles sont les faiblesses de son ex-binôme. « Hubert souffre peut-être parfois d’angélisme», complète-t-il après un temps de réflexion. « En règle générale, il ne voit pas le mal autour de lui », confirme Baudouin de Moucheron, soulignant par ailleurs la fidélité d’Hubert Flichy. « Gidien » dans l’âme, il continue de témoigner de l’excellence du cabinet français qu’il a quitté il y a près de vingt-ans.
« Enfant privilégié du barreau »
« J'ai eu beaucoup de chance de rentrer chez Gide », souligne ainsi celui qui intégra le cabinet français juste après avoir obtenu le Capa. De ses débuts dans les années 1970, Hubert Flichy garde un souvenir heureux. « Nous étions les enfants privilégiés du barreau », avoue-t-il, oubliant presque les journées à rallonge et les week-ends passés au cabinet, loin sa femme (également avocat) et de ses trois enfants. Après deux années d’exercice en droit des affaires, le cabinet lui propose les dossiers de droit social. Il accepte sans hésiter. « Quand on est jeune, on prend ce qui se présente. J'aurais pu me passionner pour le droit maritime si on me l’avait demandé », lance-t-il non sans une pointe d’ironie. Au fur et à mesure des années, l’homme côtoie les plus grands experts du droit social, comme Philippe Lafarge ou Jacques Barthélémy, se forge un nom, devient associé et fonde le département social de l’un des plus grands cabinets français. C’est à la fin des années 1990 que ce fils d’entrepreneur sent le vent favorable et décide de monter sa propre structure, emportant avec lui une partie de son équipe. « J’avais la peur au ventre », se souvient-il. Car le pari est osé. « À l’époque, il n’existait presque aucun cabinet de niche », note Baudoin de Moucheron. « Hubert est un visionnaire. Il a été l’un des tout premiers à avoir le courage de quitter une structure comme Gide », reconnaît avec la même admiration David Gordon-Krief.
Hubert Flichy et Paul Bouaziz, vice-président de la commission de droit social de l'Ordre et personnage emblématique des avocats défendant les organisations syndicales, en 1997.
Flichy Grangé Avocats
« Nous avons improvisé », tempère Hubert Flichy. Sur les huit avocats qui le suivent dans l’aventure, trois s’associeront au projet : Pascale Lagesse, Philippe Montanier et Isabelle Ayache. Pour leur faire plaisir, le cabinet prendra le nom de chacun d’entre eux, pour devenir Flichy Avocats un an plus tard. « C’était plus simple comme ça », explique le patron. De ses anciens associés, il garde un souvenir attendri. Il suffit de l’entendre parler de Pascale Lagesse et Isabelle Ayache pour s’en rendre compte. C’est le même sentiment de bienveillance qui l’anime lorsqu’il évoque Joël Grangé. L’histoire qui unit les deux hommes n’est pas anodine. Hubert Flichy recruta lui-même Joël Grangé chez Gide dans les années 1980. Et s’il ne l’invite pas à le suivre en 1999, c’est uniquement pour ne pas dépouiller de ses talents la maison qu’il s’apprêtait à quitter. Vingt ans plus tard et fort de son expérience « gidienne », Joël Grangé et son équipe rejoignent finalement Hubert Flichy. Une arrivée massive de sept avocats qui booste la croissance du cabinet et entrouvre une porte de sortie à son fondateur. Car c’est bien Joël Grangé que celui-ci choisi pour lui succéder. « Un cabinet ne tient le coup qu’à partir du moment où l’on peut offrir aux avocats la possibilité d’assouvir leurs ambitions », analyse-t-il lucide et serein. « Je ne me considère pas comme le patron », explique de son côté Joël Grangé, avec une modestie devenue la marque de fabrique du cabinet. Et si certains fondateurs tardent à se retirer des affaires, Hubert Flichy est fier de pouvoir passer la main à celui qu’il considère comme l’un des plus talentueux de sa génération. Difficile néanmoins pour le maître des lieux d’abandonner l'entreprise qu’il a lui-même bâtie. S’il n’est plus décisionnaire depuis le 1er janvier, il reste Senior counsel et garde un œil sur certains dossiers tout en continuant de servir les intérêts de la profession.
Un avocat engagé
«Hubert est un visionnaire. Il a été l’un des tout premiers à avoir le courage de quitter une structure comme Gide»
Baudoin de Moucheron
Hubert Flichy a œuvré toute sa vie pour valoriser le droit social. Membre du conseil de l’ordre dans les années 1990, il copréside la commission droit social du barreau de Paris jusqu’en 1999 avant de prendre la tête de l’European Employment Lawyer association de 2001 à 2003. Un an plus tard, lorsqu’il fonde Avosial, un syndicat destiné à valoriser le savoir-faire des avocats en droit social, l’homme apporte sans doute la plus grande contribution à sa spécialité. En l’espace de dix ans seulement, l’organisation devient une référence et une force de réflexion, réunissant près de 400 adhérents. Dix ans plus tard, il lance le Centre national d’arbitrage du travail aux côtés du professeur de droit privé Thomas Clay. L’objectif ? Désengorger les juridictions prud’homales. Encore un succès. Car si certains désapprouvent l’approche mercantile du projet, la plupart s’accordent sur son ampleur. « Des avocats font concurrence aux prud’hommes », titre même Le Monde le 19 mai 2015.
Affiche de campagne des candidats David Gordon-Krief et Hubert Flichy au bâtonnat de Paris, en 2015.
L’échec du bâtonnat
« C’était une très bonne expérience », confie Hubert Flichy lorsqu’il évoque la campagne pour le bâtonnat dans laquelle il s’est lancé avec David Gordon-Krief en 2014. « Nous formions une équipe très soudée ». Les deux avocats échouent face à Frédéric Sicard et Dominique Attias. Là encore, Hubert Flichy reste lucide : « Nous avons échoué, car nous avons été moins bons », lance-t-il. Son seul regret ? Ne pas avoir rallié à sa cause la part isolée du barreau, celle qui ne s’intéresse pas aux institutions ordinales. « Nous rêvions d’une campagne de proximité, de préaux d’écoles, mais ça n’a pas marché », déplore-t-il. Une occasion qui restera manquée, l’homme n’ayant pas l’intention de se représenter et préférant soutenir celui dont il se sent proche : Olivier Cousi. « C’est un gidien qui connaît bien les instances et en qui les confrères ont confiance » explique-t-il, illustrant encore une fois sa fidélité envers le cabinet de ses débuts. Pour David Gordon-Krief, « Hubert n’a jamais transigé avec qui il est, il n’a jamais joué de rôle ». Une phrase qui résume la campagne du candidat, comme elle reflète la carrière de l’avocat.
Capucine Coquand