Jeudi 31 mars, les professionnels du droit se sont réunis au cœur du bois de Boulogne, le temps d’une après-midi de conférences autour du management juridique.

14h30. La première salve de conférences est annoncée au luxueux pavillon d’Armenonville. Tandis que certains se précipitent au salon Étoile pour ne rien rater des enjeux liés à la relation entre un avocat et son client, d’autres vont avoir le privilège de connaître la stratégie de conquête des plus grands cabinets. Les derniers, se dirigeant vers le salon Longchamp, auront l’occasion de mesurer l’ampleur du défi lié à l’organisation des directions juridiques. Des problématiques au cœur du quotidien des quelques trois cents professionnels du droit qui ont fait le déplacement. Pas de doute, la quatrième édition du Sommet du management du droit est bel est bien lancée ! Retour sur les coulisses d’un des événements les plus prestigieux du secteur juridique.

 

Les directions juridiques à l’épreuve du XXIe siècle

 

Le juriste a troqué son costume de gardien du temple pour celui d’un véritable business partner. « Nous nous définissons comme des stratèges », confirme, sans équivoque, Yannick Chalmé, le directeur juridique du groupe L’Oréal en ouverture de la conférence sur le management dans les directions juridiques.

 

L’expert stratégique, indépendant… et multifonction

« Le bon juriste est celui qui est capable de dire ?je prends ce risque? », lance Patrick Richard, directeur juridique de Vinci. Un sentiment largement partagé par ses homologues l’assemblée. Le juriste d’entreprise du XXIe siècle vit « avec la culture du risque », celui que l’entreprise peut prendre, celui qu’elle doit prendre et celui qu’il ne faut surtout pas qu’elle prenne. Conséquence : il est devenu un lanceur d’alerte, capable de contenir les ardeurs de la direction générale qui ne peut plus se passer de ce garde-fou. Un soutien stratégique dont l’indépendance est indispensable. Si bien que les juristes sont largement sollicités par la direction. « On nous demande de plus en plus d’intervenir en mode projet et de pas nous cantonner à notre expertise juridique. C’est la grande évolution du métier de juriste », confirme Philippe Valendru, directeur juridique du groupe Daher. Droit social, risques, compliance, fiscalité… le juriste serait-il en passe de devenir le couteau suisse de l’entreprise ? Franck Rohard, directeur juridique d’Europcar, reste en tout cas sur ses gardes : « Si elle veut conserver sa légitimité, la direction juridique ne doit pas diluer sa compétence et rester sur une ligne business ». Une transversalité qui contraint les juristes à s’organiser davantage, à gérer des équipes de plus en plus nombreuses et de plus en plus qualifiées au quotidien.

« On nous demande de plus en plus d’intervenir en mode projet et de pas nous cantonner à notre expertise juridique. C’est la grande évolution du métier de juriste », Philippe Valendru, directeur juridique du groupe Daher.

Chez Capgemini, Isabelle Roux-Chenu aura mis dix ans à mettre sur pied une véritable direction juridique. « Il a fallu organiser un nouveau modèle », confie-t-elle. Comment ? En organisant l’activité. Le temps de travail de chaque expert du droit est alors réparti à 70 % sur des questions d’ordre local et à 30 % sur des problématiques plus globales. « Une stratégie qui fonctionne, notamment au regard des contraintes budgétaires ». Mais tout système a ses failles. Chez Capgemini, le juriste travaille souvent bien loin des problématiques locales concrètes qu’il est amené à résoudre. Une bulle qui ne lui permet pas toujours de s’intégrer dans la vie de l’entreprise.

 

La mobilité internationale « source de richesse »

Les grandes entreprises sont de plus en plus confrontées à des problématiques juridiques transnationales. « La pression législative mondiale ne cesse d’augmenter », reconnaît d’ailleurs Franck Rohard. « Nos juristes sont très spécialisés, mais aussi capables d’appréhender un environnement normatif ultra-changeant dans des déclinaisons plus que délicates, avec des textes qui s’interposent et peuvent se contredire », analyse Nathalie Véret-Dame, directrice juridique du groupe Klésia. Un léger abus d’optimisme car la France affiche un retard important quant au caractère international de cette fonction, ce qui joue directement sur la compétitivité des groupes français. Si les mentalités sont en train d’évoluer, pour les directeurs juridiques, les juristes sont encore trop frileux à la mobilité, trop « casaniers. Et  80 % des juristes n’ont pas très envie de bouger, confirme Patrick Richard. Pour les faire partir, il faut les bouger », corrobore Philippe Valendru. Un constat qui pose problème à Jean-Marc Humbert, directeur juridique du groupe Atos, pour qui « la mobilité est une question clé, car c’est une source de richesses extraordinaires ».  Conséquence ? Les directions juridiques vont chercher des compétences au-delà de nos frontières. « La plupart des recrutements se fait aujourd’hui à l’étranger », avoue d’ailleurs Yannick Chalmé.

 

Vers un juriste 2.0 ?

« Le juriste doit avoir une bonne analyse du risque lié à la data protection qui est au cœur des préoccupations actuelles », évoque également Jean-Marc Humbert. Comme pour presque toutes les branches de l’entreprise, le juriste doit répondre aux exigences des nouvelles technologies. Il s’agit donc de prendre le train de la révolution numérique en marche, aussi bien dans l’expertise que dans l’organisation. « Nous devons envisager ensemble les nouvelles technologies », reconnaît à ce titre Franck Rohard. Philippe Valendru va lui encore plus loin : « Le digital et les nouvelles technologies est une de nos lignes directrices.»  Une nouvelle donne qu’il faut savoir utiliser intelligemment selon Isabelle Roux-Chenu, pour ne pas « surconsommer les temps des juristes ». Une évolution qui impacte directement la vie de la direction juridique, sans arrêt à la recherche du meilleur profil, en phase avec cette évolution. « Le socle du métier concerne toujours le corporate, mais on voit poindre beaucoup de recrutements dans le data privacy, dans le digital », explique Arnaud de Bonneville, associé du cabinet de chasseur de têtes par approche directe Tillerman Executive Search, présent aussi pour l’occasion. « Le turnover est important : cinquante juristes ont été recrutés ces deux dernières années chez Vinci par exemple », confirme d’ailleurs son directeur juridique. Dynamique, mobile, digital, businessman et doté de compétences multiples, le  juriste d’entreprise du XXIe siècle, est un super-héros des temps modernes !

 

 

L’ ADN d’un avocat en 2016

 

Qu’il soit conseil ou contentieux, pénaliste ou d’affaires, collaborateur ou associé, l’avocat à la sauce 2016 se doit de rompre avec les stéréotypes bien souvent rattachés à la profession.

 

Une vision entrepreneuriale sur le long terme

« Être avocat aujourd’hui, c’est être un spécialiste du droit. Mais c’est aussi savoir prendre des décisions d’opportunité avec une véritable position commerciale. » Pour Arnaud de La Cotardière, managing partner du cabinet Linklaters, cela ne fait aucun doute : l’avocat est un entrepreneur du droit. Il doit être en mesure de se positionner sur le marché, de naviguer avec un objectif en tête et  de le suivre sur le long terme. « Si je faisais table rase du présent et que je devais créer un cabinet aujourd’hui, ce serait une structure ambitieuse mais surtout qui sache anticiper », avoue à ce titre l’avocat. La stratégie durable serait donc la clé d’un cabinet performant en 2016… Une vision à long terme qui doit s’imposer aussi bien dans la relation avec la clientèle que dans la gestion des effectifs. « Sur le marché actuel des cabinets d’avocats, le management est souvent prévu sur le court terme, confirme Philippe Portier, comanaging partner du cabinet Jeantet. Peu de fonds sont employés dans l’humain et dans la transmission. » Une vision non pérenne qui freinerait le développement de certaines structures. Quant au client, il est indispensable de tisser avec lui un lien privilégié. « Les clients sont plus attachés à l’associé qu’au cabinet dans lequel il exerce, confirme d’ailleurs la director de Shilton Sharpe Quarry, Mélanie Tremblay. Pour réussir, il faut donc être brillant dans sa discipline et faire abstraction du cabinet. »

« Si je faisais table rase du présent et que je devais créer un cabinet aujourd’hui, ce serait une structure ambitieuse mais surtout qui sache anticiper », Arnaud de La Cotardière, managing partner du cabinet Linklaters

Un expert de plus en plus spécialisé

Comme tout prestataire de services, les avocats doivent s’adapter aux besoins de leurs clients. Depuis près de dix ans, la crise financière et une faible croissance ont fait émerger la multiplication de spécialistes des entreprises en difficulté. « Nos avocats corporate/M&A ont su s’adapter à la tendance du restructuring », lance Philippe Portier. Plus récemment, c’est l’expertise en matière de gestion de risque, la compliance, qui est de plus en plus recherchée par les clients. « Un véritable axe de développement pour les cabinets », confirme Arnaud de La Cotardière. L’objectif de la compliance ? Garantir à l’entreprise l’exercice d’une activité juridiquement et financièrement irréprochable. Une pratique née dans les années 1990 au Royaume-Uni et qui connaît un succès grandissant en France depuis le début des années 2010. Si les grandes entreprises dédient généralement cette fonction en interne à un juriste ou à un compliance officer, d’autres délèguent en externe, principalement à des cabinets d’avocats. Le professionnel indépendant est alors chargé de construire des référentiels, de prévenir les risques de corruption ou de monopole, de s’occupe de la mise en conformité…Pour le pénaliste Francis Szpiner, c’est évident, les avocats  « ont un rôle à jouer dans la mise en conformité, car les entreprises vivent en vase clos ». Une stratégie à nuancer. Certains, comme Bernard Grinspan, associé en charge du bureau parisien du cabinet Gibson Dunn, préfèrent capitaliser sur leurs points forts : « Nous ne perdons pas de temps à suivre les tendances. » Ces cabinets-là préfèrent mettre l’accent sur leurs expertises phares pour conserver un positionnement conforme à leur maison-mère.

 

« Pas de guerre des talents »

Trouver le mouton à cinq pattes, c’est aussi l’un des enjeux stratégiques de l’avocat en 2016. Si les candidats sont nombreux à vouloir intégrer les rangs des meilleurs cabinets, peu sont les heureux élus. « Il n’y a pas de guerre des talents », assure néanmoins Marie-Aimée de Dampierre, managing partner d’Hogan Lovells. Pourtant, la carrière d’un avocat n’a rien d’un long fleuve tranquille. Les  plus téméraires, mais aussi les plus talentueux de leur génération, n’ont plus peur de changer de cabinet, pour remplir les objectif qu’ils se fixent. Chez Darrois, plusieurs stratégies sont mises en œuvre pour inciter les talents à rester. « On donne notamment l’opportunité aux jeunes avocats de s’enrichir en allant exercer à New York chez notre partenaire Wachtell, Lipton, Rosen & Katz », explique Jean-Baptiste de Martigny, l’un des associés du cabinet.  En retour, « la jeune génération doit réfléchir à ce qu’elle peut apporter à la structure qui l’accueille ». Une stratégie gagnant-gagnant.

 

Du côté des profils plus expérimentés, l’enjeu n’est pas le même. « Différents modes de recrutements sont appliqués aux avocats juniors et seniors », confirme Marie-Aimée de Dampierre. Ce sont les perspectives d’évolution qui sont alors au cœur du défi managérial, car la question de l’association est à ce stade inévitable et entraîne une valse constante de départs et d’arrivées au sein des cabinets. Pour Xavier Marchand, managing partner de Carakters, « il faut qu’un dialogue constructif s’établisse pour mener un avocat de la collaboration jusqu’à l’association, et prévoir un plan B s’il ne souhaite pas y accéder. Il faut des perspectives d’évolution pour tous ! ». Autre sujet récurrent dans la construction d’un cabinet : l’opportunité pour les femmes de parvenir à l’association. De plus en plus d’entreprises (principalement américaines), exigent de travailler avec une équipe mixte d’avocats. « La féminisation de l’association est une bonne chose mais la mise en place de quotas est absurde, ce sont les qualités professionnelles avant tout », lance néanmoins Bernard Grinspan. S’il est vrai que les mentalités évoluent, dans les faits, les femmes ne représentent toujours que 24,5 % des associés dans les cabinets d’affaires (lire « Parité chez les avocats : des conservateurs à la barre », Décideurs n° 169, page 106). L’équité sera peut-être dans les gènes de l’avocat 2017.

 

 

Capucine Coquand et Estelle Mastinu

 

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