Suppression de l’ISF, réduction du taux normal de l’impôt sur les sociétés, augmentation d'un point de TVA … Alain Juppé dévoile ses mesures pour relancer l’investissement dans notre pays. Objectif clairement affiché : faire baisser le taux de chômage.

Décideurs. Quelles sont vos principales propositions en faveur des entreprises ?

Alain Juppé. La crise que traverse la France est une crise de son économie productive : les entreprises réalisent des marges trop faibles, ce qui pénalise l’investissement et l’innovation, et partant, la compétitivité et l’emploi. Je veux briser ce cercle en redonnant de l’oxygène à nos entreprises. Il y a en particulier deux entraves majeures : notre droit du travail qui fait obstacle à l’embauche, et notre fiscalité qui fait obstacle à l’investissement.

Je veux les libérer de ces entraves en libérant le travail, c’est-à-dire en donnant aux entreprises la liberté de fixer une durée du travail supérieure à 35 heures, en neutralisant les seuils sociaux pour cinq ans, ou en sécurisant les conditions de rupture du CDI.

Je propose aussi de réduire l’IS de onze milliards d’euros sur la durée du quinquennat, en ramenant le taux normal à 30 % et en créant un taux réduit à 24 % en faveur des PME. Les cotisations sociales « famille » seront également allégées de dix milliards d’euros, et les cotisations des travailleurs indépendants de deux milliards d’euros, mesures financées principalement grâce à une augmentation d'un point de la TVA. Soit au total près de 23 milliards d’euros qui viendront renforcer les marges des entreprises. Enfin, la politique fiscale sera annoncée dans une loi de programmation en début de quinquennat et nous la déclinerons ensuite dans les lois de finances. Plus de prévisibilité, moins de rétroactivité : c’est essentiel pour retrouver un environnement propice à l’esprit d’entreprendre.

 

Décideurs. Quel rôle doivent tenir les fonds de capital-investissement (fonds de capital-innovation, de capital-développement et de capital-transmission) ?

A. J. Aux différentes étapes de leur développement, les entreprises ont besoin d’être accompagnées par des investisseurs. Autant il est devenu facile de créer une entreprise dans notre pays, autant il est toujours difficile de lever des fonds, qu’on parle de centaines de milliers ou de millions d’euros. Notre économie a donc besoin des fonds de capital-investissement, de ceux qui les financent et de ceux qui les détiennent. Et ce d’autant plus que ces fonds, de simples financeurs, sont devenus de véritables conseils en développement des entreprises qu’ils accompagnent. C’est pour cela que je veux revenir à une fiscalité du capital qui cesse de fonctionner à l’envers, en décourageant l’investissement et en faisant fuir les investisseurs.

 

Décideurs. Quelles mesures comptez-vous mettre en place pour favoriser le développement des entreprises innovantes ?

A. J. Ce n’est pas l’État fédéral américain qui a décidé la création de la Silicon Valley ! Je crois à l’économie de marché, c’est-à-dire à la création d’un environnement économique favorable à la prise de risques, à l’investissement et à la croissance. C’est dans cet écosystème favorable que pourront s’épanouir les entreprises innovantes. Prenez notre fiscalité, qui fonctionne aujourd’hui comme un vaste piège contre l’investissement. Je veux la réformer en supprimant l’ISF et en revenant à une taxation forfaitaire des revenus du capital proche de 20 %. Ces mesures libéreront plusieurs milliards d’euros qui pourront s’investir dans le développement des entreprises. Il en va de même pour la disparition des seuils sociaux ou la réforme du marché du travail… 

 

Décideurs. Quelles solutions proposez-vous pour aider les start-up à financer leur projet de développement ?

A. J. Les dispositifs existants et qui fonctionnent bien seront consolidés. Je pense notamment aux interventions de BPIFrance en dette et en capital, mais aussi au crédit d’impôt recherche, meme s'il ne bénéficie pas qu’aux start-up. Au-delà, je crois surtout dans la mobilisation de capitaux privés, qui fuient aujourd’hui notre enfer fiscal, et qui demain resteront en France pour s’investir dans des entreprises françaises.

J’ajoute que la suppression de l’ISF fera disparaître l’ISF PME qui est devenu un instrument important dans la mobilisation de business angels. Je remplacerai ce dispositif par un mécanisme équivalent de déduction de l’impôt sur le revenu, qui va considérablement renforcer les réductions d’impôts pour ceux qui investissent dans les PME, en s’inspirant de l’entreprise investment scheme qui a fait ses preuves au Royaume-Uni.

 

Décideurs. Comme le souligne le commissaire général à l’investissement, Louis Schweitzer, le soutien des fonds d’investissement et des entreprises aux projets financiers par le secteur public est essentiel. Faut-il renforcer ce mode d’investissement ?

A. J. L’argent public peut servir à entraîner des capitaux privés, notamment vers l’investissement risqué, au travers de mécanismes de co-investissement. Mais l’État n’a pas vocation à nationaliser le financement des entreprises, les acteurs privés doivent garder une place prépondérante, dès lors que la fiscalité les incitera à le faire.

 

Décideurs. Pour rediriger l’épargne des salariés vers le financement des entreprises, Emmanuel Macron a présenté un projet de création de fonds de pension à la française. L’idée vous paraît-elle pertinente, suffisante ?

A. J. Sur les retraites, il faut d’abord consolider ce qui existe, c’est-à-dire notre système de retraite par répartition qui est un des socles de notre contrat social, et qui constitue un outil de solidarité entre les générations. C’est pour cela que je propose de repousser progressivement l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans.

Mais le développement de fonds de pension, en complément des retraites de base et des retraites complémentaires, est nécessaire, et pourrait puissamment contribuer au financement de notre économie. Il faudra engager un débat avec les professionnels du secteur pour faire évoluer des outils d’épargne aujourd’hui mal conçus pour les rendre plus attractifs.

 

Décideurs. Les pouvoirs publics doivent-ils soutenir l’émergence du crowdfunding ?

 

A. J. Les pouvoirs publics doivent soutenir tout ce qui peut drainer l’épargne des Français vers l’investissement, en particulier au bénéfice des entreprises qui peinent à se financer par les canaux traditionnels. La France a d’autant plus intérêt à le faire qu’elle est l’un des leaders européens du crowdfunding, grâce à Ulule et KissKissBankBank.

Le rôle de l’État est à la fois de protéger les épargnants en les informant des risques qu’ils prennent, et de lever les freins qui entravent le développement du crowdfunding (les montants pouvant être investis par prêteur et par projet par exemple). Dans le même esprit, les expériences menées dans d’autres pays européens sur le développement du micro-crédit par les réseaux bancaires traditionnels ont montré leur efficacité en termes de création d’emplois et pourraient être encouragés.

 

Aurélien Florin

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