Par Anne-Laure Périès, avocat associé, Capstan Avocats

Déferlante de courriels à toute heure, SMS, messages vocaux… être joignable à tout moment et en tout lieu. La mondialisation semble imposer une connexion constante, une accélération de l’information et une réactivité immédiate pour faire face aux enjeux actuels de compétitivité, ce que permettent techniquement les outils de communication issus des nouvelles technologies.

 

Une telle transformation numérique va de pair avec le développement des start-up, la pratique croissante du télétravail, et une application généralisée des forfaits jours pour les cadres (plus de 47 % des cadres français selon l’étude Dares de juillet 2015).

 

Face à l’afflux d’informations par la voie électronique, de nouveaux défis se posent relatifs à la fois à l’usage de ces outils de communication mais aussi aux conséquences qu’ils génèrent dans la relation de travail, les frontières classiques espace/temps de travail et vie privée/vie professionnelle étant complètement bouleversées.

 

Prévu pour figurer dans la loi dite Macron II, le numérique dans le monde du travail interroge alors que 23 % des cadres disent toujours connectés (étude Apec 2014).

 

De telles pratiques ont des conséquences sur le rythme de travail : elles peuvent mettre en difficulté le respect du repos quotidien et du repos hebdomadaire ainsi que la durée maximale du temps de travail et exposer la responsabilité de l’employeur dans son obligation de prévention de la santé et de la sécurité des salariés ainsi qu’à un risque de travail dissimulé etc...

 

Face aux risques d’un usage abusif du numérique dans le monde du travail,  tous s’accordent à reconnaître un droit des salariés à la déconnexion (accord interprofessionnel sur le télétravail du 2 juillet 2005, accord interprofessionnel sur la qualité de vie au travail du 19 juin 2013, accord Areva du 31 mai 2012). Cette déconnexion n’est pas mise en œuvre par la majorité des salariés, notamment par les cadres. Pourtant, une enquête réalisée chez Total en juin 2013, relatée par l’Observatoire de la Responsabilité Sociétale des entreprises (janvier 2015) atteste que 69% des salariés ayant répondu après avoir vécu une semaine sans emails avaient estimé avoir accru leur productivité et 77% avaient considéré avoir accru les interactions avec leurs collègues.

 

Sans aller aussi loin mais pour permettre de garantir le respect du repos quotidien et hebdomadaire applicable à tous les salariés y compris les cadres en forfaits jours an, faut-il envisager d’imposer la déconnexion en soirée et le week-end ? Certains accords d’entreprise l’ont prévu (avenant Syntec du 1er avril 2014, Accord Reunica de février 2014, CCN des hôtels, cafés, restaurants du 16 décembre 2014) et y ont ajouté une obligation de déconnexion pendant les périodes de suspension du contrat de travail (repos, RTT, congés, arrêts maladie)

 

Certaines entreprises ont même imposé une déconnexion technique forcée (Daimler, Volkswagen, Réunica) avec fermeture drastique de l’accès à l’intranet de l’entreprise après certaines heures.

 

Une telle demande de déconnexion ne sera toutefois réellement appliquée que si elle est partagée par les salariés comme par les employeurs et encadrée sur un plan collectif.

 

Au-delà de l’exemple donné par les managers directs, les salariés doivent s’inscrire dans une démarche générale de tri des informations (« L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiance », rappelait René Char) et de résistance à l’urgence et aux nombreuses sollicitations que représentent les courriels électroniques. Cette démarche de déconnexion ne pourra fonctionner que si le salarié absent peut éviter de devoir gérer une avalanche de courriels à son retour au travail, ce qui suppose une évaluation permanente de l’ensemble de la charge de travail, un partage accru des informations et une organisation solidaire et collective des équipes. La démarche individuelle de déconnexion ne sera réellement suivie d’effet que si elle s’intègre dans une vision organisée et collective de la charge de travail. La valorisation de modes alternatifs de communication, des temps de présence physique dans l’entreprise, notamment de réunions, permettant de favoriser une communication collective sera d’autant plus nécessaire que les salariés sont de plus en plus distants physiquement de l’entreprise.

 

Il est recommandé de prévoir une concertation avec les salariés utilisateurs des outils, une implication étroite des représentants du personnels et des partenaires privilégiés de la santé au travail (médecin du travail, CARSAT..), la mise en place de chartes de bon usage des outils numériques et de formations voire de sensibilisations tant des salariés que des clients et des partenaires de l’entreprise. Même dans un contexte international accru, de grandes entreprises ont mis en œuvre de telles initiatives (Thales en est un exemple).

 

D’un point de vue juridique, le devoir de déconnexion implique une adaptation de certains modes de travail compatibles avec le travail hors des murs de l’entreprise et des horaires de bureau :

 

Ainsi, il convient de sécuriser les forfaits jours (sujet de la prochaine loi sur le numérique) en remplaçant la logique du temps de travail par la logique d’une évaluation de la charge de travail et des souplesses sur l’organisation du temps y compris des repos, comme le propose le rapport de Bruno Mettling

 

De même, il conviendrait de modifier les règles de l’accord national interprofessionnel concernant le télétravail de 2 juillet 2005 car actuellement cette formule est régie à la fois par le code du travail et par les règles du télétravail, ce qui rend le corpus juridique très contraignant et inadapté

 

De prévoir de sécuriser l’activité des salariés nomades face à tous les risques professionnels que suscitent leurs déplacements et leur travail à distance : présomption d’accident du travail dès lors qu’il est en lien avec l’activité professionnelle, peu important le lieu et l’heure

 

 

De prévoir une obligation de réflexion et de négociation sur l’intégration du numérique dans la vie de l’entreprise, que ce soit avec les partenaires sociaux, ou avec les salariés, au travers par exemple du droit d’expression

 

Le paramètre numérique doit être intégré dans la prévention des risques professionnels et le collectif davantage renforcé pour lutter contre les risques d’isolement et de dématérialisation des relations humaines au travail.

 

Au-delà chacun doit pouvoir se « reconnecter » avec soi-même, ses collègues de travail et avec ses partenaires sur le sens de ces missions. Un tel processus requiert une maîtrise du contenu de son travail mais également une réflexion sur le rythme et sur la charge de travail. Pour mieux plonger dans le monde virtuel, il faut parfois savoir s’en éloigner…

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