Destinée à régler les différends entre les investisseurs et les États récepteurs dans le cadre du TTIP, la proposition de la Commission européenne dévoilée en septembre dernier évincerait le mécanisme traditionnel d’arbitrage, opposant les politiques à la communauté de l’arbitrage.

Dès les premières négociations en 2013 autour du TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership, Tafta en français), les organisations non gouvernementales et les députés européens se sont opposés au règlement des différends investisseur-État par la voie de l’arbitrage, mécanisme prévu par l’Investor-State Dispute Settlement (ISDS)1. En janvier dernier, les résultats de la consultation en ligne lancée par la Commission européenne ont montré «?l’existence d’un énorme scepticisme par rapport à l’instrument RDIE?»2 selon Cecilia Malmström, commissaire chargée du commerce. La disgrâce se fait également sentir en Allemagne et aux Pays-Bas.

 

 

Débat politisé

Prévu dans plus de 1?400 traités bilatéraux d’investissement (TBI) conclus par les États membres de l’Union européenne, l’ISDS permet à un investisseur de recourir à l’arbitrage lorsqu’il estime avoir subi un préjudice important lié à une mesure prise par l’État récepteur, souvent de nature administrative et parfois à caractère sociétal, environnemental ou sanitaire. «?Outre un débat fortement politisé, l’Europe cède à des pressions dogmatiques parce que le citoyen européen a été alerté par les cas les plus extrêmes qui apparaissent comme des anomalies dans le système?», affirme Diana Paraguacuto-Mahéo, avocate chez Ngo Jung & Partners. En 2011, la société d’électricité suédoise Vattenfall réclame 3,7?milliards d’euros de dommages et intérêts à l’Allemagne, après la décision du gouvernement d’arrêter les centrales nucléaires du pays. La même année, le cigarettier Philip Morris introduit une procédure d’arbitrage contre l’Australie suite à l’adoption d’une loi imposant un emballage neutre pour les paquets de cigarettes. Des arbitrages dont les sentences n’ont pas encore été rendues, mais que les détracteurs jugent attentatoires à la souveraineté des États. Matthias Fekl, sécrétaire d’État au commerce extérieur, soutient qu’«?il est inacceptable que des États puissent voir leurs choix démocratiques et souverains remis en cause par des juridictions privées?».3 Un avis que ne partage pas la majorité des avocats européens, à l’instar de Diana Paraguacuto-Mahéo?: «?Le tribunal arbitral peut condamner un État à des dommages et intérêts parce que la mesure prise lui a causé un préjudice réparable. Mais l’État n’est pas atteint dans sa possibilité de légiférer. D’ailleurs dans 65?% des cas, la sentence est favorable aux États, et lorsque les investisseurs gagnent, ils obtiennent statistiquement le dixième de leur demande.?»

 

 

Exclu du choix des juges

Face à la perte de légitimité de l’arbitrage d’investissement, la Commission européenne propose un nouveau système juridictionnel de règlement des différends investisseur-État dans son Commission draft text TTIP-investment rendu public en septembre dernier. Le message est clair?: les arbitres sont supprimés pour laisser place à des juges. Et ce, dans un souci de transparence et d’éthique, Matthias Fekl jugeant «?inacceptable qu’il puisse y avoir des conflits d’intérêts, qu’on puisse être un jour arbitre, demain avocat, alors que les mêmes entreprises sont en cause?».4 Si le texte venait à être adopté, l’investisseur américain, lésé par une mesure prise par un État récepteur européen, verrait son litige porté à la connaissance d’un tribunal composé de trois juges. Ces derniers seraient désignés parmi une liste préétablie de quinze juges nommés (cinq Américains, cinq Européens et cinq neutres) – dont on ignore qui ils seront – disposant d’une expertise en droit international public5. Peu de chance que des arbitres, pourtant rompus à ce type de contentieux, puissent occuper cette fonction, le texte exigeant une disponibilité permanente de ces juges moyennant compensation6. Surtout, «?ce système ne saurait donner confiance à l’investisseur qui est exclu du choix des juges?», souligne Diana Paraguacuto-Mahéo. Et là où l’arbitre est choisi pour sa neutralité, les nouveaux juges nommés le seront probablement par les États.

Le texte prévoit également la mise en place d’une cour d’appel, destinée à réexaminer la première décision, dans trois hypothèses mêlant fait et droit. Cette disposition est sans doute la plus controversée car, dans le cadre de l’arbitrage d’investissement, les conventions multilatérales prévoient le caractère final et contraignant de la sentence. «?Cette mesure ne fera qu’allonger les procédures qui durent déjà en moyenne trois à quatre ans lors d’un arbitrage d’investissement, relève Diana Paraguacuto-Mahéo. Sans compter les coûts collatéraux dès lors que le débat deviendra public et nécessitera parfois la sécurité de certains témoins ou la protection de certaines données.?»

 

 

Cour de cassation

Si la proposition de la Commission européenne fait perdre les avantages attachés à l’arbitrage, la désaffection pour ce mode de règlement des litiges est pourtant bien réelle. Certains pays, dont l’État plurinational de Bolivie et l’Équateur, ont par exemple dénoncé leur appartenance à la convention Cirdi7. L’interprétation des dispositions conventionnelles n’est pas homogène et les coûts, qu’il s’agisse des indemnités dues par les États aux investisseurs mais aussi les frais de justice, ont littéralement explosé8. À terme, la Commission européenne souhaite donc faire de son Investment Court System un modèle qui sera appliqué à l’ensemble des TBI en Europe. Cecilia Malmström, commissaire européenne en charge du TTIP, a ainsi déclaré?: «?Si nous ne les remplaçons pas par des mesures plus adaptées, ces accords resteront en place. Or ils ont les mêmes particularités que celles qui ont entraîné tant d’inquiétudes bien légitimes ces derniers mois.?»9

Serait-ce pour autant la fin de l’arbitrage d’investissement sur le sol européen?? Le nouveau système juridictionnel de la Commission européenne n’est qu’une proposition. Il ne sonne pas encore le glas de l’arbitrage d’investissement en Europe. Outre une adoption encore incertaine de la part des États-Unis, les anciens TBI conclus par l’Union européenne continueront à être appliqués, tout comme le système d’arbitrage qui y est attaché.

Des pistes peuvent donc être encore explorées pour trouver un juste équilibre dans le règlement de ce type de contentieux sans évincer définitivement un système qui, malgré ses imperfections, fonctionne. Pour Diana Paraguacuto-Mahéo, «?même si les systèmes Cirdi et Cnudci sont perfectibles, ils sont loin d’être aussi mauvais qu’il n’y paraît?». Le mot d’ordre, repris lors de la conférence organisée par Paris place d’arbitrage mi-octobre, est la transparence. Un pas déjà franchi par la Cnudci en 2014, qui a édicté un règlement sur la transparence dans l’arbitrage entre investisseurs et États fondé sur des traités. «?Il faut élargir le pool d’arbitres. Quant à la prévisibilité, un recours en droit semblable à celui ouvert devant la Cour de cassation, ne révisant les sentences qu’en droit sans apprécier une nouvelle fois les faits, pourrait intéresser tout le monde en permettant une interprétation plus homogène des traités?», conclut Diana Paraguacuto-Mahéo.

 

 

Alice Mourot

 

 

1 Connu en français sous le nom de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE).

2 Source Commission européenne, Press Release Database.

3 Source www.euractiv.fr, 2 juin 2015.

4 Source www.euractiv.fr, 2 juin 2015.

5 Section 3 – Resolution of investment disputes and investment court system, article 9, 4°.

6 Section 3, article 9, 11°.

7 Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements.

8 Les études de la Cnuced (Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement) sur les politiques d’investissement international au service du développement exposent que les frais de justice dans le cadre d’arbitrages investisseur-État représentent en moyenne 60?% du coût total du procès.

9 Source www.euractiv.fr, 15 janvier 2015.

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