Matthieu Babin, avocat, Capstan Avocats

En matière de santé au travail, l’apport de la loi Rebsamen (loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi) est assez contrasté : les orientations sont sans doute pertinentes, mais le résultat paraît bien inachevé. Loin du projet initial, le texte finalement adopté – qui s’est trouvé enrichi lors des débats à la lumière de deux rapports publics de mai 2015 –  tient en trois volets principaux.

 

? Médecine du travail

 

Confronté à la réduction croissante des effectifs de médecins du travail, le législateur vise à ce que leur activité soit mieux ciblée, dans le sens d’une action plus préventive.

 

La loi du 17 août 2015 consacre ainsi dans la partie législative du Code du travail l’existence d’une surveillance médicale « spécifique » (C. trav., art. L. 4624-4), dont le régime reste à définir par décret mais qui aboutira probablement à ce que l’activité des médecins du travail soit concentrée sur les salariés les plus à risque – pour eux-mêmes comme pour les « tiers » (C. trav., art. L. 4622-2, L. 4622-3, L. 4624-4) –, notamment ceux occupant des postes dits de sécurité. La fréquence des visites périodiques serait possiblement réduite (de 24 mois à 5 ans), et la visite d’embauche remplacée par une visite d’information et de prévention réalisée par un infirmier. Sur ce point, l’essentiel reste donc à attendre du décret d’application.

 

Sur le versant préventif, l’effectivité des préconisations du médecin du travail est renforcée : lorsqu’il formulera des préconisations ciblées sur un travailleur, le médecin pourra proposer à l’employeur l’appui de l’équipe pluridisciplinaire du service de santé au travail ou celui d’un organisme compétent en matière de maintien dans l’emploi (C. trav., art. L. 4624-1) ; les préconisations à portée collective, de même que les réponses que l’employeur doit y apporter, ne seront plus seulement tenues à la disposition mais « transmises » auprès du CHSCT, de l’inspection du travail, etc. (C. trav., art. L. 4624-3). L’ambition de ces mesures n’est néanmoins pas flagrante.

 

Par ailleurs, une volonté de sécurisation juridique transparaît dans deux nouvelles règles.

 

L’une prévoit qu’en cas d’inaptitude médicale aggravée d’un salarié, l’employeur peut procéder au licenciement sans avoir recherché de reclassement « si l’avis du médecin du travail mentionne expressément que tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé » (C. trav., art. L. 1226-12). Cette règle de bon sens est néanmoins à manier avec précaution : le nouveau texte ne vise, paradoxalement, que les inaptitudes faisant suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle, et non les inaptitudes d’origine non professionnelle ; en outre  sa portée reste incertaine envers les entreprises multi-sites et a fortiori les entreprises relevant d’un groupe. Or il ne fait pas de doute qu’en dehors des cas stricts où cette règle trouvera à s’appliquer, la jurisprudence demeurera extrêmement exigeante en termes de reclassement.

 

L’autre règle nouvelle prévoit qu’employeur et salarié doivent s’informer réciproquement de tout recours formé contre l’avis du médecin du travail (C. trav., art. L. 4624-1). Découlant là encore d’une bonne intention, cette obligation d’information est néanmoins insuffisante : une réforme reste à mener pour rendre plus contradictoire la procédure de contestation des avis du médecin – le Conseil d’État s’y emploie déjà (Cons. d’Etat, 21 janvier 2015, n° 365124) –, et sécuriser la situation des employeurs en cas d’invalidation de l’avis d’inaptitude postérieure au licenciement.

 

Enfin, le législateur n’a pas souhaité toucher aux notions d’inaptitude et d’aptitude : alors qu’en pratique les situations d’aptitude partielle (ou restrictions d’aptitude) posent des problèmes majeurs aux entreprises, il n’est plus acceptable que le cadre juridique demeure aussi flou.

 

? Pénibilité

 

Compte tenu des inégalités que les parcours professionnels peuvent générer en termes d’espérance de vie, l’intérêt même d’un dispositif répondant au phénomène de la « pénibilité » ne saurait être remis en cause. Mais la complexité et la lourdeur du dispositif issu des lois « retraite » de 2010 et 2014 sont telles qu’elles en deviennent dissuasives. Répondant aux inquiétudes légitimes des entreprises, la loi du 17 août 2015 allège les contraintes pesant sur ces derniers en termes d’évaluation et de déclaration des situations de pénibilité :

 

- l’évaluation des expositions devra être facilitée et sécurisée par le recours à des référentiels de branche opposables à la Carsat, adoptés par accord étendu ou homologués par arrêté ministériel  (C. trav., l’article L. 4161-2) ;

- les fiches individuelles d’exposition sont supprimées et remplacées par des déclarations annuelles dématérialisées transmises via la DSN (C. trav., art. L. 4161-1), et non plus aux travailleurs eux-mêmes;

- les possibilités de contrôle par la Carsat et de contestations par le salarié sont enfermées dans des délais plus courts, réduits respectivement de 5 à 3 ans, et de 3 à 2 ans (C. trav., art. L. 4162-12 et -16).

 

Mais alors que des décrets d’application sont attendus et que les branches ne se sont pas encore dotées de référentiels, ce dispositif complexe est déjà censé entrer en application : les premières déclarations doivent intervenir le 31 janvier 2016 au plus tard pour les facteurs de pénibilité dont la définition par « seuils » est entrée en vigueur en 2015 (travail en milieu hyperbare, de nuit, en équipes successives, répétitif).

 

? Pathologies psychiques

 

Non prévues dans le projet initial mais « invitées » des débats parlementaires, les pathologies psychiques du travail se verront consacrer, selon la loi du 17 août 2015, des « modalités spécifiques de traitement » visant à faciliter leur reconnaissance par la Sécurité sociale au titre des maladies professionnelles (C. séc. soc., art. L. 461-1, nouvel alinéa 6). Le « burn out » a monopolisé les débats, mais la dépression, l’anxiété, etc. sont aussi concernées. L’approche n’est pas ici préventive, ni même directement répressive, mais d’abord indemnitaire.

 

Il est vrai que la prise en charge de ces pathologies se heurte à deux obstacles de taille : l’absence de tableau des maladies professionnelles spécifique ; l’existence d’une condition d’incapacité permanente (taux de 25%) qui limite l’accès aux comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). Dès lors, les salariés emploient d’’autres moyens pour obtenir réparation : déclaration d’un accident du travail plutôt que d’une maladie professionnelle ; voire action prud’homale visant à l’indemnisation d’un préjudice causé par le « manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat »… L’indemnisation du salarié passe alors par une forme de sanction de l’employeur.

 

Par conséquent, mettre en œuvre un dispositif  visant à favoriser la reconnaissance des pathologies psychiques du travail dans un cadre non répressif semble une bonne idée. Mais nul ne sait encore quelle forme prendra ce dispositif : un ou des tableaux ? Une réduction du taux d’IP pour les seules affections psychiques ? La loi semble exclure ces deux pistes à ce stade, tout en commandant déjà un rapport sur le sujet. Le débat est donc loin d’être clos.

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