Maria Gomri (Google) : « La Cnil a compétence en France, pas au-delà »
Décideurs. Vous contestez l’application d’un déréférencement à l’ensemble des extensions. Quels sont les arguments au soutien de cette contestation ?
Maria Gomri. Nous estimons que la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans l’affaire Costeja doit s’appliquer sur le territoire de l’Union européenne, c’est-à-dire sur les versions du moteur de recherche correspondant aux États membres de l’Union (.fr, .be, .it, etc.) et non sur les extensions étrangères.
Nous pensons également qu’une autorité administrative indépendante comme la Cnil a entière compétence sur le territoire français mais pas au-delà. Il s’agit d’une règle fondamentale de droit international. Or, en exigeant un déréférencement à l’échelle mondiale, la Cnil enfreint selon nous, ce principe juridique fondamental.
Décideurs. À ce jour, combien de demandes de déréférencement ont été reçues par Google ?
M. G. Google a reçu à ce jour plus de 300 000 demandes portant sur plus d'un million de pages web (URL). Pour la France, plus de 65 000 demandes concernant plus de 200 000 pages web. Nous mettons à jour ces chiffres quotidiennement sur notre rapport de transparence (source : transparency report Google).
Le traitement de ces demandes est lourd au plan logistique et a nécessité la mise en place de moyens matériels et humains substantiels pour examiner efficacement et dans un délai raisonnable les demandes de déréférencement en Europe, dans de nombreuses langues.
Décideurs. Sur quels critères vous fondez-vous pour accepter une demande de déréférencement ?
M. G. Lors de l’examen d’une demande de déréférencement fondé sur le droit à l’oubli, Google applique les critères posés par la CJUE et vérifie donc si les résultats de recherche sont « inadéquats, pas ou plus pertinents ou excessifs au regard des finalités de traitement ». Google vérifie ainsi par exemple si les résultats en cause comprennent des informations obsolètes concernant l’individu en question. Mais il faut également garder à l’esprit la limite posée par la Cour qui est le droit du public à l’information. Par exemple, une demande de déréférencement pourra être rejetée si elle porte sur certains faits comme des négligences professionnelles ou une procédure pénale en cours. De telles informations peuvent en effet présenter un intérêt certain pour le public. Pour chaque demande, Google tente de trouver un juste équilibre entre la protection de la vie privée des individus et le droit à l’information du public, comme l’a énoncé la CJUE.
Décideurs. Le pendant du droit au déréférencement tel que dégagé par la CJUE existe-il aux États-Unis ?
M. G. Non, les États-Unis ainsi que de nombreux autres pays ne reconnaissent pas ce droit. Une cour fédérale des États-Unis a d’ailleurs récemment indiqué que le droit à l’oubli « bien que récemment reconnu par la Cour de justice de l'Union européenne, n'est pas reconnu aux États-Unis ». Cette position est également partagée dans d’autres pays tels que ceux d’Amérique latine. En Colombie par exemple, la Cour Constitutionnelle a déclaré qu’un « droit à l’oubli » tel que celui énoncé par la Cour de justice de l’Union européenne implique « un sacrifice au principe de la neutralité du Net et, en conséquence, de la liberté d'expression et de la liberté d'information qui n’est pas nécessaire ». Cela souligne les divergences d’approche fondamentales entre les différentes régions et systèmes juridiques dans le monde sur la légitimité même d’un tel droit par rapport à la liberté d’information.