La négociation collective sans délégué syndical
1. Propos introductifs
Depuis la tolérance jurisprudentielle de l’arrêt « Dame Charre » du 25 janvier 1995, le législateur n’a eu de cesse de vouloir « aménager » le monopole syndical en vue d’élargir les facultés de négociation collective. Un certain nombre de lois se sont ainsi échelonnées depuis une vingtaine d’années sur le sujet, une nouvelle fois réformé par la loi Rebsamen du 17 août 2015… et en attendant une future loi sur le dialogue social, issue du rapport Combrexelle, réorganisant l’articulation des sources de droit légal, conventionnel et contractuel ?
2. Contenu de la réforme
La négociation prioritaire avec les élus
Les élus mandatés
À défaut de délégation syndicale, la loi permet désormais que des élus soient mandatés par des organisations syndicales représentatives de branche ou au niveau interprofessionnel pour signer tout type d’accord collectif. Le seuil des 200 salariés est désormais supprimé.
Le syndicat représentatif ne peut néanmoins mandater qu’un seul élu. Les salariés peuvent être des élus titulaires et/ou suppléants. Ils peuvent appartenir aux délégués du personnel, à la délégation unique du personnel, au comité d’entreprise ou bien même à l’instance de regroupement issue de la loi Rebsamen.
À cette fin, l’entreprise doit informer les syndicats représentatifs de branche et/ ou au niveau interprofessionnel, de sa volonté de mener ce type de négociations.
L’accord est valablement conclu par une seule signature, quelle que soit la représentativité du syndicat dans la branche ou au niveau interprofessionnel, et/dans l’entreprise. Toutefois il n’acquiert une pleine valeur que s’il est validé par référendum par les salariés, dont les modalités doivent être précisées par décret à paraître. Dans l’attente, cette possibilité n’est donc pas opérationnelle.
Ce mécanisme de négociation, simplifié depuis la loi du 20 août 2008, devrait connaitre un plein succès auprès des partenaires sociaux.
Les élus non mandatés
Les élus qui n’auront pas été mandatés dans un délai d’un mois par les syndicats représentatifs de branche et/ou au niveau interprofessionnel pourront négocier seuls l’accord.
Seuls les élus titulaires pourront signer.
Ceci dit, et du fait de cette absence de mandat syndical, leur compétence sera limitée puisqu’ils ne pourront négocier que sur les accords collectifs de travail relatifs à des mesures dont la mise en œuvre est subordonnée par la loi à un accord collectif, à l'exception de ceux relatifs aux accords de méthode prévus dans le cadre des licenciements économiques collectifs.
En tout état de cause, la validité de ces accords sera conditionnée au respect des deux conditions suivantes :
leur approbation par des élus, représentant la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles, y compris s’il s’agit de candidats libres au deuxième tour ; l’approbation par une Commission Paritaire de Branche.
La commission paritaire de branche n’aura pour rôle qu’un contrôle de légalité et non pas d’opportunité sur le contenu de l’accord signé.
Néanmoins et comme par le passé, le texte pose de nombreuses difficultés d’application pratique, puisque :
de nombreuses entreprises ne relèvent pas d’une branche professionnelle, ce qui rend donc improbable, pour ne pas dire impossible, la négociation en leur sein ; le texte ne précise plus, comme auparavant, que la saisine de la commission de branche et son absence de réponse dans un délai de quatre mois vaut validation tacite du projet d’accord soumis.
De surcroit, de nombreuses branches professionnelles n’ont pas mis en place de commission de branche.
Il semble que, là encore, l’absence de capacité à réunir ces conditions sera rédhibitoire.
C’est sans compter également avec les conditions spécifiques mises en place pour négocier sans délégué syndical, par certaines branches en application de la loi du 4 mai 2004 et toujours en vigueur…
Une négociation avec des salariés mandatés
Cette négociation devient supplétive aujourd’hui. Elle ne peut être mise en œuvre :
que dans les entreprises où il n’y a pas de délégués syndicaux, et dans celles ou les élus n’ont pas voulu négocier, à savoir soit : parce qu’il n’y a pas d’élus et qu’il y a un procès-verbal de carence en termes d’élections professionnelles parce qu’ils n’ont pas voulu négocier.
Dans ce cas de figure, le salarié sera aussi mandaté par tout syndicat représentatif de branche et au niveau interprofessionnel et mais n’aura pas de mandat électoral préalable. Là encore, l’entreprise devra avoir prévenu préalablement les organisations syndicales représentatives de branche et/ou interprofessionnelles de sa volonté de négocier.
L’accord signé aura le même champ d’application, plus restreint, que celui des élus non mandatés. Il devra être, comme antérieurement, validé par référendum.
3. Des règles identiques de mise en œuvre
Pour le reste, la loi du 17 août 2015 a maintenu les règles antérieures relatives aux conditions de déroulement de la négociation avec :
l’exigence d’indépendance des négociateurs vis-à-vis de l’employeur, l’élaboration conjointe du projet d’accord par les négociateurs eux-mêmes, une concertation avec les salariés, la faculté de prendre attache auprès des organisations syndicales représentatives de la branche, lorsqu’elle existe.
De la même manière, les informations à remettre aux négociateurs, préalablement à la négociation, sont déterminées par accord entre ceux-ci et l’employeur.
Les intéressés peuvent bénéficier de crédits d’heures définis légalement pour négocier.
Enfin, il est prévu l’adoption d’un nouveau décret pour définir les conditions de révision et de dénonciation de ces accords dérogatoires.
4. Conclusion
Il est fort à parier que ces nouveaux outils de négociation permettront aux partenaires sociaux internes à l’entreprise de se mettre enfin à négocier, à plus forte raison, si une loi future organise une inversion des normes au niveau conventionnel.
L’expérience enseigne néanmoins que la réalité de la négociation est subordonnée à l’existence de sujets porteurs et fédérateurs, ce qui depuis l’âge d’or des 35 heures et les années 2000 a été rarement le cas.
La nouvelle loi du 17 août 2015 permettra-t-elle la remise en selle d’un vrai dialogue social au sein des entreprises ?…. Le doute peut être permis au vu de la persistance de certaines rigidités et de réticences traditionnelles à négocier.
Néanmoins, il faudra pousser et provoquer l’engagement de négociations pour que des dérogations aux dispositions légales, utiles au bon fonctionnement des entreprises, puissent être mises en œuvre.
L’avenir nous dira donc si cette nouvelle loi est porteuse d’améliorations du bon fonctionnement des entreprises. Il y a néanmoins tout lieu de parier qu’il faudra qu’elle soit corrélée avec la nouvelle loi à venir sur le dialogue social pour lui donner une vraie portée opérationnelle.