Céline Kauffmann (OCDE) : « Mieux réguler n’est pas forcément synonyme de dérégulation »
Tous deux membres de l'OCDE, Céline Kauffmann est économiste principale et chef de division adjoint et Filippo Cavassini est analyste des politiques.
Décideurs. L’OCDE s’engage pour une meilleure politique réglementaire*. À ce sujet, vous publiez un rapport en octobre prochain. Quelle en est la teneur??
Céline Kauffmann. Il s’agit d’une prospection sur les avancées de la politique de la réglementation dans les pays de l’OCDE et les besoins de changements dans la manière de réglementer. Cet état des lieux et l’analyse du système réglementaire des trente-quatre pays membres de l’OCDE et de l’Union européenne seront publiés le 28?octobre prochain. Il s’appuie sur une enquête sans précédent. Au total, nous avons rassemblé et analysé les réponses à plus de mille deux cents questions sur les pratiques du mieux légiférer des pays de l’OCDE. Tous les délégués des différents pays membres ont permis la réalisation de cette étude. Nous souhaitons ainsi nous adresser aux différents gouvernements pour favoriser le «?mieux légiférer?» sur la base de données chiffrées et analysées.
Décideurs. Avec quels outils agissez-vous??
C.?K. Nous travaillons étroitement avec le comité de la politique de la réglementation de l’OCDE. Celui-ci discute et examine les pratiques des différents pays pour le mieux légiférer sous l’angle économique. Notre rôle en tant que secrétariat est de l’appuyer par la collecte et l’analyse de données sur les pratiques des pays en matière de politique réglementaire, dans des domaines tels que l’engagement des parties prenantes sur les projets de loi, les évaluations d’impact, les programmes de simplification, la coopération réglementaire, la gouvernance des régulateurs ou les inspections. Pour cela, nous nous appuyons sur un instrument juridique?: la recommandation de 2012 du Conseil de l’OCDE concernant la politique et la gouvernance réglementaires.
Filippo Cavassini. Nous comptons sur les apports des différentes autorités nationales et européennes chargées des politiques réglementaires et de la coordination interministérielle sur ces politiques. Le travail de collecte et d’analyse de données nous permet d’évaluer l’efficacité des politiques réglementaires ainsi que les capacités à mieux légiférer dans les différents pays membres de l’OCDE.
Décideurs. L’une de vos missions est-elle d’inciter à moins de régulation??
C.?K. L’OCDE n’a pas de position de principe sur le nombre optimal de normes nécessaires à la régulation d’une activité. Les cadres juridiques et réglementaires sont spécifiques à chacun des pays membres et le produit d’histoires singulières. Néanmoins, il est important de reconnaître qu’il est partout possible de mieux légiférer, c’est-à-dire d’atteindre le même niveau de protection souhaitée à un coût moindre pour la société et les acteurs économiques. La codification est un exemple d’outil qui favorise la simplification du droit sans nuire à ses objectifs. Le mieux réguler n’est pas forcément synonyme de dérégulation. Par contraste, une approche qui favorise l’accumulation de lois toujours plus nombreuses, sans en vérifier les impacts à la fois en amont et en aval, est très probablement contre-productive.
F.?C. L’objectif est de bien légiférer et non nécessairement de moins légiférer. Les études d’impact et l’évaluation sont des outils indispensables. Cela implique de prendre connaissance des indicateurs économiques, sociaux et environnementaux, d’évaluer l’effet de la nouvelle loi sur l’activité des entreprises et sur d’autres acteurs. C’est d’ailleurs le cas dans certains pays comme le Canada, le Royaume-Uni ou l’Australie.
Décideurs. La Commission européenne est également un de vos sujets d’étude. Quelles sont vos conclusions??
C.?K. Effectivement, nous étudions aussi les méthodes d’élaboration des normes européennes et constatons depuis de nombreuses années que la Commission fait des efforts importants pour mieux légiférer. C’est un de ses objectifs permanents qui se reflète dans son paquet Better Regulation qu’elle vient de publier. Pour cela, elle s’appuie sur un recours renforcé à la consultation des parties prenantes et la préparation d’études d’impact pour des textes importants.
Décideurs. Pourtant, de nombreuses critiques sont encore formulées à l’encontre de la Commission européenne?: manque de consultation, précipitation dans l’adoption des textes, défaut d’études d’impact sur les actes secondaires, etc. Qu’en pensez-vous??
C.?K. L’enquête confirme l’effort fait par la Commission pour mettre en œuvre les bonnes pratiques du mieux légiférer. Elle est d’ailleurs très en avance sur la plupart des États membres de l’OCDE. Cependant, il est vrai que deux écueils sont encore persistants. Le premier est la transposition et la mise en œuvre qui dépend de chacun des États et de leurs propres pratiques et capacités de mieux légiférer. Le second est un manque de synergie entre les mesures du mieux légiférer prises par le Commission et le travail mené dans ce sens par le Parlement et le Conseil de l'Union.
Le paquet Better Regulation a pour objectif de poursuivre les efforts au niveau de la Commission, ainsi que d'améliorer les synergies entre la Commission et les autres institutions européennes sur l'utilisation des pratiques du mieux légiférer.
Décideurs. Au-delà de vos études approfondies, vous travaillez de concert avec les régulateurs économiques. Quel est votre objectif??
C.?K. L’OCDE a créé le réseau des régulateurs économiques qui réunit soixante-dix participants membres des autorités nationales. L’objectif est de travailler sur la gouvernance des régulateurs et de répondre plus largement à leurs préoccupations communes. Ce réseau rassemble pour la plupart des régulateurs des secteurs des transports, de l’énergie, de l’eau et des télécoms (avec, pour la France, la participation de la CRE, de l’Araf et de l’Arcep). Les autorités de la concurrence et les régulateurs financiers se réunissent dans d’autres comités. En s’appuyant sur ce réseau, l’OCDE a développé des principes de bonnes pratiques sur la gouvernance des régulateurs qui identifient les modalités de gouvernance qui peuvent aider les régulateurs à fonctionner plus efficacement en vue d’atteindre des résultats sociaux, environnementaux et économiques.
F.?C. Notre objectif est d’aider les régulateurs à mieux évaluer leur performance. En effet, les autorités de régulation sont souvent des autorités administratives indépendantes. Elles tiennent leurs pouvoirs des gouvernements qui leur demandent à la fois d’agir en toute indépendance et de démontrer leurs performances et leur utilité dans la régulation de leur secteur économique. Et les citoyens eux aussi demandent des résultats. Or, la gouvernance joue un rôle important dans cette démarche. Nous avons donc publié une étude comparative sur la gouvernance de trente-quatre régulateurs de l’eau. Nous avons également développé une base de données sur la gouvernance des régulateurs dans les secteurs du transport, de l’énergie et des télécommunications. Celle-ci tient compte par exemple du rôle de l’exécutif dans la détermination du budget et des ressources humaines des autorités de régulation, des méthodes d’évaluation des performances et de leurs pouvoirs et fonctions.