Par Frédéric Puel, Nicolas Gransard, avocats associés, Jessy Louvel et Emilie Le Thieis, avocats. Fidal
La clémence : une procédure attractive nécessairement anticipée
L’adoption récente par l’Autorité de la concurrence («?l’Autorité?») d’un nouveau communiqué de procédure relatif à son programme de clémence est l’occasion de faire le point sur les éléments devant être pris en compte en amont par toutes entreprises impliquées dans des pratiques anticoncurrentielles souhaitant minimiser le risque de sanction encourue.
La sensibilité de l’appréhension des sujets concurrence par toute entreprise transparaît notamment lorsque celle-ci envisage le dépôt d’une demande de clémence auprès d’une autorité de concurrence à la suite de la découverte spontanée (politique de l’entreprise) ou provoquée (audits internes à la suite de soupçons, rachat, cession ou perquisitions) de pratiques anticoncurrentielles dont elle serait l’auteur afin de bénéficier d’un traitement favorable justifié en droit français par la défense de l’«?intérêt de l’économie […] et notamment des consommateurs?» (1).
Le programme de clémence français est plus que jamais au cœur de l’actualité de ces derniers mois :
- L’Autorité vient de réviser son communiqué de procédure, tenant compte des modifications apportées au programme modèle européen par le Réseau européen de concurrence (REC) en novembre?2012.
- Dans sa décision du 11?mars 2015, l’Autorité a prononcé une sanction d’un niveau jamais atteint (192?millions d’euros) dans le cadre d’une procédure de clémence (Décision 15-D-03, 11?mars 2015, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits laitiers frais).
- La Cour de cassation, dans sa récente décision de mars?2015 portant sur des questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la procédure de clémence française, a renforcé cette procédure en considérant que les arguments soulevés pour contester sa légalité ne présentaient pas de caractère sérieux au regard des exigences qui s’attachent aux principes de valeur constitutionnelle invoqués (Cass. com, 4?mars 2015, n°14-40052).
Ces différents éléments, le niveau de plus en plus élevé des sanctions et la médiatisation des procédures concurrence favorisent grandement la prise en compte par les dirigeants d’entreprises de ce qu’il convient désormais d’appeler le «?risque concurrence?». Comme différents autres risques importants encourus par les entreprises, le «?risque concurrence?» doit, aujourd’hui plus que jamais, être efficacement appréhendé. Pour ce faire, les entreprises auront notamment recours à un état des lieux visant à mesurer le niveau de conformité de leurs pratiques aux règles de concurrence (audit et diagnostic de concurrence) et à une étude de l’impact sur l’économie des pratiques décelées comme étant non conformes.
Ce n’est qu’après la réalisation de ces analyses amont que la réflexion stratégique quant au déclenchement d’une procédure de clémence pourra être envisagée.
Cette réflexion pourra être menée «?à tête reposée?», lorsque rien ne laisse supposer l’imminence d’une procédure, en vue d’initier une demande de clémence de 1er rang. Si la procédure a débuté, elle devra être particulièrement diligente, dans le feu de l’action dès le début des opérations de visites et saisie, pour une clémence de 2nd rang.
Dans le cas de la clémence de 1er rang, la décision d’initier cette procédure doit être regardée dans un contexte global incluant non seulement la question de l’immunité totale de sanction (si le caractère complet de la coopération n’est pas remis en cause) mais également celle des dommages et intérêts que les victimes de la pratique considérée pourraient in fine réclamer. Le candidat à la clémence doit en effet avoir conscience du fait que cette procédure n’a aucunement vocation à venir le protéger contre les actions en dommages et intérêts qui risquent nécessairement d’être engagées à la suite de la décision définitive de l’Autorité. Les consommateurs et les entreprises sont aujourd’hui invités par les législateurs français (2) et européen (3) à demander une compensation des préjudices subis du fait de pratiques anticoncurrentielles.
Dans le cas de la clémence de 2nd rang, les dirigeants devront s’interroger sur la «?valeur ajoutée significative?» que les éléments dont ils disposent sont susceptibles d’apporter par rapport aux éléments dont l’Autorité dispose déjà ainsi que sur leur rang de clémencier. La décision de soumettre ou non une demande de clémence pourrait en outre être guidée par les taux d’exonération susceptibles de leur être accordés, et désormais plus clairement identifiés dans le nouveau communiqué de procédure (4).
Dans les deux situations, il est important de préciser que :
- Seules peuvent être couvertes par la clémence «?les entités appartenant, au moment du dépôt de la demande, à une même unité économique au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne?» (5) . L’ Autorité précise ainsi ce qui relevait jusqu’alors de sa pratique décisionnelle. Sauf à avoir déposé une demande de clémence distincte, la ou les anciennes société(s) mère(s) ne pourront bénéficier d’aucune exonération totale ou partielle d’amende.
- Recourir à la clémence implique une pleine coopération avec l’Autorité, dès le dépôt de la demande, et ce tout au long de la procédure. L’une des conditions d’octroi de l’exonération repose en particulier dans l’obligation de ne pas remettre en cause les éléments factuels révélés (6).
- En cas de non-respect des conditions d’octroi de l’exonération, le clémencier est susceptible, outre l’absence totale d’exonération en cas de manquement grave, de se voir attribuer «?une réduction inférieure à celle fixée dans l’avis conditionnel?» (7)
Dans ce contexte complexe, la gestion du «?risque concurrence?» implique désormais pour les entreprises une nécessaire anticipation. Celle-ci permettra au dirigeant de mesurer les éventuelles faiblesses de son entreprise, de piloter sa démarche éthique (programme de conformité incluant notamment la formation des dirigeants et des commerciaux) et d’envisager en amont le recours à la clémence sans le subir dans le feu de l’action d’une opération de visites et saisie.
1 - Communiqué de procédure du 3?avril 2015 relatif au programme de clémence français, §12
2 - Loi sur la consommation dite «?loi Hamon?» du 17?mars 2014
3 - Directive 2014/104/UE du 26?novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence, Considérant 26 et 38, Article?11.
4 - Communiqué, §21
5 - Communiqué, note de bas de page 3
6 - Précision introduite par le Communiqué, § 23
7 - Communiqué, § 42
La sensibilité de l’appréhension des sujets concurrence par toute entreprise transparaît notamment lorsque celle-ci envisage le dépôt d’une demande de clémence auprès d’une autorité de concurrence à la suite de la découverte spontanée (politique de l’entreprise) ou provoquée (audits internes à la suite de soupçons, rachat, cession ou perquisitions) de pratiques anticoncurrentielles dont elle serait l’auteur afin de bénéficier d’un traitement favorable justifié en droit français par la défense de l’«?intérêt de l’économie […] et notamment des consommateurs?» (1).
Le programme de clémence français est plus que jamais au cœur de l’actualité de ces derniers mois :
- L’Autorité vient de réviser son communiqué de procédure, tenant compte des modifications apportées au programme modèle européen par le Réseau européen de concurrence (REC) en novembre?2012.
- Dans sa décision du 11?mars 2015, l’Autorité a prononcé une sanction d’un niveau jamais atteint (192?millions d’euros) dans le cadre d’une procédure de clémence (Décision 15-D-03, 11?mars 2015, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits laitiers frais).
- La Cour de cassation, dans sa récente décision de mars?2015 portant sur des questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la procédure de clémence française, a renforcé cette procédure en considérant que les arguments soulevés pour contester sa légalité ne présentaient pas de caractère sérieux au regard des exigences qui s’attachent aux principes de valeur constitutionnelle invoqués (Cass. com, 4?mars 2015, n°14-40052).
Ces différents éléments, le niveau de plus en plus élevé des sanctions et la médiatisation des procédures concurrence favorisent grandement la prise en compte par les dirigeants d’entreprises de ce qu’il convient désormais d’appeler le «?risque concurrence?». Comme différents autres risques importants encourus par les entreprises, le «?risque concurrence?» doit, aujourd’hui plus que jamais, être efficacement appréhendé. Pour ce faire, les entreprises auront notamment recours à un état des lieux visant à mesurer le niveau de conformité de leurs pratiques aux règles de concurrence (audit et diagnostic de concurrence) et à une étude de l’impact sur l’économie des pratiques décelées comme étant non conformes.
Ce n’est qu’après la réalisation de ces analyses amont que la réflexion stratégique quant au déclenchement d’une procédure de clémence pourra être envisagée.
Cette réflexion pourra être menée «?à tête reposée?», lorsque rien ne laisse supposer l’imminence d’une procédure, en vue d’initier une demande de clémence de 1er rang. Si la procédure a débuté, elle devra être particulièrement diligente, dans le feu de l’action dès le début des opérations de visites et saisie, pour une clémence de 2nd rang.
Dans le cas de la clémence de 1er rang, la décision d’initier cette procédure doit être regardée dans un contexte global incluant non seulement la question de l’immunité totale de sanction (si le caractère complet de la coopération n’est pas remis en cause) mais également celle des dommages et intérêts que les victimes de la pratique considérée pourraient in fine réclamer. Le candidat à la clémence doit en effet avoir conscience du fait que cette procédure n’a aucunement vocation à venir le protéger contre les actions en dommages et intérêts qui risquent nécessairement d’être engagées à la suite de la décision définitive de l’Autorité. Les consommateurs et les entreprises sont aujourd’hui invités par les législateurs français (2) et européen (3) à demander une compensation des préjudices subis du fait de pratiques anticoncurrentielles.
Dans le cas de la clémence de 2nd rang, les dirigeants devront s’interroger sur la «?valeur ajoutée significative?» que les éléments dont ils disposent sont susceptibles d’apporter par rapport aux éléments dont l’Autorité dispose déjà ainsi que sur leur rang de clémencier. La décision de soumettre ou non une demande de clémence pourrait en outre être guidée par les taux d’exonération susceptibles de leur être accordés, et désormais plus clairement identifiés dans le nouveau communiqué de procédure (4).
Dans les deux situations, il est important de préciser que :
- Seules peuvent être couvertes par la clémence «?les entités appartenant, au moment du dépôt de la demande, à une même unité économique au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne?» (5) . L’ Autorité précise ainsi ce qui relevait jusqu’alors de sa pratique décisionnelle. Sauf à avoir déposé une demande de clémence distincte, la ou les anciennes société(s) mère(s) ne pourront bénéficier d’aucune exonération totale ou partielle d’amende.
- Recourir à la clémence implique une pleine coopération avec l’Autorité, dès le dépôt de la demande, et ce tout au long de la procédure. L’une des conditions d’octroi de l’exonération repose en particulier dans l’obligation de ne pas remettre en cause les éléments factuels révélés (6).
- En cas de non-respect des conditions d’octroi de l’exonération, le clémencier est susceptible, outre l’absence totale d’exonération en cas de manquement grave, de se voir attribuer «?une réduction inférieure à celle fixée dans l’avis conditionnel?» (7)
Dans ce contexte complexe, la gestion du «?risque concurrence?» implique désormais pour les entreprises une nécessaire anticipation. Celle-ci permettra au dirigeant de mesurer les éventuelles faiblesses de son entreprise, de piloter sa démarche éthique (programme de conformité incluant notamment la formation des dirigeants et des commerciaux) et d’envisager en amont le recours à la clémence sans le subir dans le feu de l’action d’une opération de visites et saisie.
1 - Communiqué de procédure du 3?avril 2015 relatif au programme de clémence français, §12
2 - Loi sur la consommation dite «?loi Hamon?» du 17?mars 2014
3 - Directive 2014/104/UE du 26?novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence, Considérant 26 et 38, Article?11.
4 - Communiqué, §21
5 - Communiqué, note de bas de page 3
6 - Précision introduite par le Communiqué, § 23
7 - Communiqué, § 42