La jurisprudence récente apparaît favorable au dirigeant de la société en redressement judiciaire : le juge tient compte des mesures de prévention prises pour redresser la situation de l’entreprise.

La jurisprudence récente apparaît favorable au dirigeant de la société en redressement judiciaire : le juge tient compte des mesures de prévention prises pour redresser la situation de l’entreprise. Ces mesures préventives lui permettront ainsi d’échapper aux sanctions liées à une déclaration de cessation des paiements tardive ou à une condamnation au paiement de l’insuffisance d’actif.



Au titre de l’article L.651-2 du Code de commerce, qui fonde le régime de responsabilité pour insuffisance d’actif pouvant être mis en œuvre contre le dirigeant ayant creusé le passif de l’entreprise, l’action du liquidateur n’est ouverte que si la faute de gestion est prouvée. Cette notion de faute de gestion est aussi régulièrement employée par la jurisprudence pour sanctionner la déclaration de cessation des paiements tardive, censée conduire au prononcé d’une interdiction de gérer à l’encontre du dirigeant1 (dernier alinéa art. L.653-8 Code de commerce).

À l’heure d’envisager la condamnation du dirigeant, malchanceux ou imprudent, il apparaît, à la lumière de plusieurs décisions récentes, que la diligence dont celui-ci aura fait preuve, pour prévenir, dès leur survenance, la progression des premières difficultés financières, influera très positivement sur la décision du juge consulaire. Ces mesures de prévention seront susceptibles d’être accueillies favorablement, invitant le magistrat à écarter la faute de gestion reprochée au dirigeant, le libérant de toute responsabilité.

Nous y avions déjà vu le signe d’une modulation implicite de la décision du juge à la gravité des circonstances : un contrôle de proportionnalité, qui porterait, non sur le quantum de la peine, mais sur l’opportunité même de punir le dirigeant, du fait des circonstances à l’origine de la déconfiture. Cette vision semble confirmée : la Cour de cassation se réfère désormais à un principe général de proportionnalité, surtout utilisé en droit pénal, qu’elle n’osait jusqu’alors importer en droit des procédures collectives.
Toutefois, ce principe a été adapté par la Cour de cassation à la matière des procédures collectives : la forme qu’elle emploie ici procède moins de l’adéquation de la peine à la gravité de l’acte sanctionné, comme en droit pénal, qu’au fait que la condamnation du dirigeant, face à plusieurs fautes de gestion reprochées, ne soit prononcée que si chacune d’elles est matériellement établie.

La faute de gestion

L’engagement de la responsabilité du dirigeant, pour insuffisance d’actif, impose, comme condition préalable, que celui-ci ait commis une faute de gestion. Cette notion de faute de gestion, en l’absence de définition légale, est floue. La jurisprudence permet néanmoins d’en discerner les contours : la faute de gestion serait protéiforme et concernerait tout acte, action ou omission, qui caractériserait le comportement de ceux qui ont voulu entreprendre, ont échoué, parfois par imprudence, et n’ont souvent pas su s’arrêter à temps. Elle peut ainsi exister très en amont des difficultés financières, dès les investissements initiaux, notamment, si ceux-ci, inadaptés ou excessifs, ont directement contribué à l’insuffisance de l’actif(2).

Cette faute peut aussi tenir à l’absence de comptabilité, à la tenue d’une comptabilité irrégulière(3), à l’émission de factures fictives(4), ou au versement de rémunérations fictives(5). Les dernières décisions montrent que le juge est moins enclin à reconnaître l’existence de ces fautes de gestion. Il lui arrive même de les écarter, dès lors que le dirigeant prouve qu’il a fait son maximum, par des mesures de prévention, pour redresser son entreprise.


La prévention comme échec à la sanction

Le juge paraît ainsi particulièrement sensible à l’attitude adoptée par le dirigeant pour circonscrire ses difficultés.

Ainsi, la demande de désignation d’un mandataire ad hoc, dès les premiers signes des difficultés, est saluée par le juge comme une réaction rare, à encourager. Peu importe alors que la mesure n’ait pas porté ses fruits, que le dirigeant ait poursuivi une exploitation structurellement déficitaire et n’ait pas déclaré la cessation des paiements dans le délai légal : les efforts déployés, même insuffisants, justifient que la faute de gestion reprochée ne soit pas retenue(6).

La même solution a prévalu dans un autre arrêt(7) : face à l’augmentation du passif de la société, le dirigeant avait tenté de prendre différentes mesures pour redresser la situation, qui n’ont pas permis de remettre la situation financière de l’entreprise à l’équilibre, mais ont justifié que la faute de gestion n’ait pas été retenue.

De même, dans une autre espèce, le défaut de déclaration de cessation des paiements ne fut pas reproché, ni l’interdiction de gérer prononcée, contre celui qui, fraîchement nommé dirigeant de l’entreprise, a rencontré sept fois le magistrat délégué à la prévention des difficultés, la première fois lorsqu’il n’exerçait pas encore ses fonctions(8).

Le juge se livre ainsi implicitement à un contrôle d’opportunité de la condamnation par rapport au comportement manifesté par le dirigeant face aux difficultés. Ce dernier doit donc se montrer proactif et épouser l’esprit de prévention insufflé par la loi de sauvegarde des entreprises pour que ses démarches soient, même en cas d’échec, récompensées.


Le principe de proportionnalité

Par trois arrêts(9), la Cour de cassation a introduit, en matière de procédures collectives, le principe de proportionnalité. La Cour précise que lorsque plusieurs griefs, chacun constitutif d’une faute de gestion, sont reprochés au dirigeant, même si une seule faute de gestion suffit à emporter la condamnation, toutes les fautes invoquées doivent être matériellement justifiées par le juge. Si un seul des griefs n’est pas démontré, la sanction n’est plus prononçable. Les juges du fond, n’ayant pas procédé ainsi dans les espèces susvisées, furent censurés. Mais, si toutes les fautes sont établies, le juge garde un pouvoir souverain sur le montant de la condamnation.

La Cour de cassation officialise ici le contrôle de proportionnalité, non pas sur la peine - ce qui n’eût aucun sens, le juge n’étant jamais obligé de condamner le dirigeant au paiement de l’insuffisance de l’actif - mais sur le principe de la condamnation. Elle abandonne la théorie de l’équivalence des conditions pour engager la responsabilité du dirigeant.

Gageons que les dirigeants profiteront de cette réelle faveur pour éviter d’engager leur responsabilité.

Juillet 2010

1 CA Paris, 24/6/1994 : JurisData n°1994-022704
2 Cass., com., 16/8/1996, Rev. Sociétés 1997, p.611, note C. Henry
3 CA Poitiers, 14/10/1987, Juris-Data n°46992
4 CA Metz, 5/11/1987, JurisData n°47009
5 CA Nancy, 29/6/1987, JurisData n°46180
6 CA Orléans, 9/10/2008, RG n° 08/01966
7 CA Metz, 24/2/2009, RG n° 08/00197
8 CA Paris, 29/3/2007, RG n° 06/12891
9 Cass. com., 1/15/ 2009, Pourvoi n°08-17.187 ; Cass. com., 15/15/2009, Pourvoi n° 08-21.906 ; Cass. com., 26/1/2010, Pourvoi n°08-14.088.

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