Par François-Luc Simon, avocat associé, et Gaëlle Toussaint-David, avocat. Simon Associés
La cour d’appel de Paris a récemment jugé qu’il n’est pas toujours obligatoire pour le distributeur d’identifier nommément les produits du fournisseur dans les opérations de coopération commerciale, dès lors que le contrat prévoit expressément cette possibilité et que les opérations menées ont pour objet de mettre en avant la catégorie de produits dont ceux du fournisseur font partie.

La décision rendue par la cour d’appel de Paris le 26?octobre dernier fait naître un espoir pour les distributeurs en matière de «?coopération commerciale?». Ce terme est employé pour désigner les services qu’un distributeur rend à un fournisseur pour favoriser la commercialisation des produits ou services du fournisseur. En pratique, il s’agit généralement de services publi-promotionnels (publicités, présence en catalogue, mise en tête de gondole, etc.).

Les conditions imposées en matière de coopération commerciale
Les règles en matière de coopération commerciale sont aujourd’hui contenues à l’article L. 441-7, I., 2°, du code de commerce, qui prévoit la forme, la périodicité et le contenu des contrats portant sur la coopération commerciale. Depuis quelques années maintenant, le fournisseur et le distributeur sont tenus de conclure chaque année, avant le 1er mars, une convention unique ou un contrat-cadre (qui sera alors complété en cours d’année par des contrats d’application). Parmi les informations obligatoires, figurent les conditions dans lesquelles le distributeur rend des services de coopération commerciale au fournisseur (l’objet, la date prévue, les modalités d’exécution, la rémunération des services, ainsi que les produits (ou services) concernés par les services rendus, etc.).

L’intérêt du monde de la distribution pour les règles relatives à coopération commerciale est dû, d’une part, aux revenus issus de la coopération commerciale qui sont parfois considérables, et d’autre part, aux sanctions élevées attachées à la violation des règles légales. En effet, au-delà du remboursement des sommes versées par le fournisseur en cas de «?fausse coopération commerciale?», les parties encourent surtout une amende d’un montant de 375 000 € (75 000 € pour les personnes physiques).

L’acceptation de l’absence de référence au fournisseur
Dans cette affaire, un fournisseur sollicitait la nullité du contrat de coopération commerciale conclu avec un distributeur (plus précisément avec une société à la tête d’un réseau de franchise). Le fournisseur reprochait notamment au distributeur de ne pas avoir mis en avant spécifiquement ses produits afin d’en faciliter la revente, mais d’avoir uniquement réalisé des opérations publicitaires portant plus généralement sur le réseau et les produits qui y étaient vendus.

La cour d’appel de Paris valide pourtant le contrat de coopération commerciale, bien qu’aucune des opérations menées par le distributeur n’ait spécifiquement mis en avant les produits du fournisseur.

Deux apports principaux sont à retenir de cette décision. En premier lieu, la cour d’appel refuse de prendre en considération le contenu de la circulaire du 16 mai 2003, dite «?circulaire Dutreil I », dans un litige entre personnes privées, considérant qu’une circulaire ne représente qu’une doctrine administrative, qui s’impose uniquement à l’Administration, et ne constitue pas le droit applicable servant à évaluer la validité du contrat de coopération commerciale. Si cette solution n’est pas totalement novatrice, elle n’en demeure pas moins importante, tant les termes de cette circulaire, comme ceux de la circulaire dite « Dutreil II?» du 8 décembre 2005 qui l’a remplacée, sont régulièrement invoqués dans les contentieux relatifs aux contrats de coopération commerciale.

En second lieu, et surtout, la cour d’appel considère que le distributeur ne doit pas nécessairement mettre en avant les produits du fournisseur : en effet, la juridiction parisienne admet que le service de coopération commerciale demeure valablement rendu même si le distributeur ne peut pas prouver qu’il a effectivement mis en avant les produits du fournisseur ; seul suffit alors le fait d’avoir réalisé des opérations publi-promotionnelles visant plus généralement les produits vendus par le distributeur (dès lors que les produits du fournisseur en font partie).

Cette solution, bien qu’elle soit rendue sous l’empire de la législation en vigueur en 2004, est conforme au texte de loi, y compris dans ses dispositions en vigueur aujourd’hui, et a donc vocation à s’appliquer aujourd’hui, sous réserve du respect des obligations relatives au formalisme des contrats, qui sont imposées par la législation actuelle.

Une décision aux impacts pratique et juridique incertains
Les distributeurs devraient être autorisés à inclure, parmi les services de coopération commerciale rendus aux fournisseurs, des opérations publicitaires et promotionnelles allant au-delà de la simple mise en avant des produits du fournisseur, qui n’ont plus à être nommément désignés ou identifiés par la publicité ou la promotion.

Il est néanmoins indispensable de nuancer ce propos, notamment quant à l’évolution future de la jurisprudence en la matière.

D’une part, à notre sens, il sera nécessaire que le fournisseur et le distributeur aient expressément prévu (ce qui était le cas en l’espèce) dans la convention unique ou le contrat-cadre annuel, la possibilité pour le distributeur d’effectuer des opérations n’identifiant pas précisément les produits du fournisseur. Ceci est d’autant plus vrai aujourd’hui, la législation imposant aux parties au contrat de préciser l’objet exact des opérations menées par le distributeur, ainsi que les produits ou services auxquels elles se rapportent.

D’autre part, dans cette affaire, le mode de fonctionnement du secteur d’activité concerné (la vente de fleurs aux consommateurs) empêchait en pratique le distributeur de pouvoir identifier les produits du fournisseur dans ses actions publi-promotionnelles. En effet, l’approvisionnement étant généralement réalisé auprès de plusieurs fournisseurs simultanément, l’identification de la provenance des produits, ou la présentation du nom ou de la marque du fournisseur étaient rendues de ce fait impossibles. La cour ne pouvait alors pas exiger que le distributeur promeuve nommément les produits du fournisseur. La jurisprudence ultérieure permettra de vérifier si la même souplesse sera appliquée dans des hypothèses où le distributeur peut, s’il le souhaite, identifier les produits du fournisseur. Tel devrait être le cas en principe, cette condition n’étant pas exigée par la législation. Néanmoins, il est possible d’anticiper que les juges du fond seront peu enclins à assouplir le régime de la coopération commerciale au profit des distributeurs, en dépit de la lettre du texte.


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