Philippe Bilger.Avocat général près la Cour d'appel de Paris et coauteur de Et si on jugeait les juges ? (Éd. Mordicus, 2009)

Philippe Bilger.
Avocat général près la Cour d'appel de Paris et coauteur de Et si on jugeait les juges ? (Éd. Mordicus, 2009)

Décideurs. Êtes-vous favorable, comme certains politiques, constitutionnalistes ou intellectuels, à la suppression de la CJR au profit d’une juridiction ordinaire ?

Philippe Bilger. La CJR est certes une juridiction d’exception, mais avec une procédure permanente. Si je reconnais que c’est un curieux mélange, je ne partage pas l’avis général qui voudrait sa suppression. Mon expérience à la Cour d’appel, où magistrats et jurés cohabitent, me porte à croire que tout ce qui permet d’élargir le champ judiciaire est positif


Décideurs. À juridiction d’exception, jugement d’exception ? La CJR fonctionne-t-elle sur d’autres critères que des arguments purement juridiques ?

P. B.
Je comprends que la CJR ne fonctionne pas uniquement sur des critères juridiques. Des critères d’opportunités, voire d’ordre politique, peuvent également intervenir. Tel ou tel s’est-il senti lié par des amitiés ? Sans doute est-ce plus probable que dans une juridiction ordinaire. Mais, ce n’est pas suffisant en l’espèce pour remettre en cause le jugement. Reste qu’il faut faire confiance d’une part à l’intelligence des parlementaires et d’autre part au président de la Cour. C’est lui qui tient tout. Or, nous avons un président (Henri-Claude Le Gall, NDLR) d’un très haut niveau !


Décideurs.
Une personnalité politique doit-elle nécessairement être jugée par quelqu’un qui connaît les règles et coutumes de la vie politique et le fonctionnement du gouvernement ?


P. B.
Il n’y a rien de choquant, à ce qu’un membre de l’exécutif dans l’exercice de ses fonctions ait un privilège de juridiction. Ce n’est pas une dérogation scandaleuse de notre État de droit. Et sans grossir l’hypertrophie étatique, cela relève du registre régalien.
Encore une fois, c’est au président de tenir le bon déroulé du jugement. La sincérité doit prévaloir, afin de ne pas ériger et perpétrer un système judiciaire « entre soi » et configuré par une élite, pour une élite.
Il faut absolument que la justice permette de conserver la généralité d’un regard humain sur un fait. Cette généralité est encore possible avec la CJR si certaines réserves sont remplies.


Décideurs.
Lesquelles ? La limite semble être fine avec l’échange de bons procédés et les aménagements réciproques…


P. B.
En cour d’assises, on doit a priori se dégager de ses sentiments. En CJR, il en est de même. Il s’agit d’un terrain politique qui nécessite d’être très vigilant. Les dépendances sont différentes du fait de ce lien : les reflexes, les évidences – fausses – et les préjugés doivent être évités.

Juin 2010

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