"Bredin Prat s’efforce d’insuffler à ses avocats un esprit collectif de décision"
Entré en 1969 au cabinet fondé par Jean-Denis Bredin et Robert Badinter, Jean-François Prat y a initié le tournant vers le domaine des affaires. Il revient sur les modes de prise de décision inhérentes au métier d’avocat.
Décideurs. L’art de la décision relève-t-il d’une approche différente lorsqu’il s’agit de diriger un cabinet d’avocats plutôt qu’une entreprise traditionnelle ?
Jean-François Prat. Absolument. Calquer son processus décisionnel sur celui d’une entreprise peut même être fatal à un cabinet d’avocats. Alors que la plupart des organisations confient le pouvoir à un décideur unique pour mieux avancer, les firmes juridiques ont besoin de suivre un modèle plus décentralisé pour ne pas perdre leur cohésion interne.
C’est pour cette raison que Bredin Prat s’efforce d’insuffler à ses avocats un esprit collectif de décision, et n’a jamais mis en place d’organe décisionnel omnipotent. Chaque décision est prise individuellement par celui des associés responsable du domaine dont il est question. Et de fait, aucune des mesures ainsi prises n’a jamais été contestée en interne.
Décideurs. Sur quelles décisions fondatrices s’est bâtie la croissance impressionnante du cabinet depuis sa création en 1965 ?
J.-F.?P. Le succès du cabinet est moins le résultat d’une série de grandes décisions que d’un heureux concours de circonstances. C’est avant tout en s’adaptant aux mutations du marché du droit et en répondant aux attentes de ses clients historiques que la firme s’est engagée sur la voie qu’elle suit toujours aujourd’hui.
On peut attribuer la croissance de Bredin Prat à l’évolution de la pratique du droit des fusions acquisitions. L’explosion de la matière au cours des deux dernières décennies a multiplié les besoins humains nécessaires au traitement de chaque dossier, et nous a donc sans cesse incités à augmenter nos effectifs.
En parallèle, les clients ont exprimé le besoin d’être accompagnés sur un éventail de sujets de plus en plus vaste, en appui de nos activités historiques en contentieux, corporate et arbitrage. Ce qui a naturellement entraîné le développement de services complémentaires qui sont devenus autonomes, allant du financement d’acquisitions au droit de la concurrence en passant par la fiscalité des transactions. De plus, notre intervention régulière sur des opérations transfrontalières complexes a accéléré notre volonté d’accompagnement à l’international des grands groupes français et étrangers dans le domaine de leurs évolutions stratégiques, ce qui était essentiel dans la construction d’une relation suivie avec nos grands clients. Dans cette perspective, le cabinet a développé une approche assez unique permettant de mettre à la disposition de ses clients des équipes internationales intégrées, composées d’avocats appartenant à des cabinets étrangers de tout premier plan, en particulier de ses «?best friends?» européens, tous leaders sur leur marché national.
Décideurs. Est-ce à dire que les choix stratégiques sont en partie guidés par la conjoncture ?
J.-F.?P. Non, bien au contraire. L’organisation actuelle de Bredin Prat est le fruit des évolutions structurelles de notre métier, et il est totalement inenvisageable de la modifier au gré des retournements de cycles.
D’ailleurs, nous ne revoyons jamais à la baisse ni les effectifs ni l’offre de services, même dans les périodes les plus difficiles. En effet, chaque matière que nous pratiquons a été développée pour mieux accompagner les entreprises dans leur croissance, et parce qu’elle répondait à un besoin de synergies au sein du cabinet. Aucune activité n’a donc vocation à être supprimée, quelle que soit la conjoncture, car toutes sont complémentaires et étroitement liées à notre cœur de métier. En définitive, s’il y a bien une décision fondatrice de l’identité du cabinet, c’est celle que nous avons prise, collectivement, de ne jamais en faire une structure généraliste. Bredin Prat est et demeurera un cabinet de droit des affaires. C’est cette concentration qui fait aussi sa force face aux aléas.
Décideurs. En tant que conseil juridique d’un grand nombre de chefs d’entreprise, dans quelle mesure avez-vous le sentiment d’influencer leur prise de décision ?
J.-F.?P. Lorsqu’un client nous confie un dossier, la décision finale demeure toujours entre ses mains. En ce sens, les chefs d’entreprise sont bien plus des décideurs au sens strict du terme que les avocats. Ils font, chaque jour, des choix autrement plus lourds que les nôtres, engageant l’avenir de structures bien plus conséquentes. Rodés à l’exercice, ils prennent en général des décisions qui sont difficilement discutables.
L’avocat n’est donc pas là pour imposer une direction. En revanche, il est extrêmement important qu’il soit en mesure, si on le lui demande, d’aller plus loin que le simple exposé des données et des enjeux du problème pour donner son avis. Une opinion ferme et argumentée, qui, de fait, pèse souvent dans le choix final du client.
Décideurs. Envisageriez-vous, si nécessaire, de consulter un conseil pour redéfinir la stratégie de Bredin Prat ?
J.-F.?P. Certainement pas. Dans la mesure où notre cabinet conserve une taille maîtrisée et un modèle relativement spécifique, voire unique, je conçois mal ce que pourraient lui apporter des conseils avant tout destinés aux entreprises.
1. Le principal trait de mon caractère : la tolérance.
2. La qualité que je préfère chez un individu : la franchise.
3. Mon principal défaut : l’impatience.
4. Mon idée du bonheur : le bonheur absolu n’existe pas.
5. Mon héros dans la vie réelle : Jean Moulin
6. Ce que je déteste par-dessus tout : les réseaux d’influence.
7. La réforme que j’estime le plus : l’abolition de la peine de mort.