Par Stéphan Catoire, directeur général, et Arthur Bertin, chargé d’affaires. Equitis
On connaissait déjà la polyvalence et la sécurité de la fiducie, opération par laquelle un ou des constituants transfèrent des biens, droits ou sûretés, à un fiduciaire, qui les tient séparés de son patrimoine, et agit dans un but déterminé au profit du ou des bénéficiaires. Sept ans après son introduction en droit positif par la loi n°?2007-211 du 19?février 2007, la fiducie est passée du statut de pratique novatrice à celui d’outil de place, avec un champ des possibles qui ne s’épuise pas…

La seconde assemblée générale annuelle des membres de l’Association française des fiduciaires, réunie par la Caisse des Dépôts, CACIB et Equitis Gestion en 2015, a été l’occasion de prendre le pouls de l’activité fiduciaire sur la place et, en l’espèce, de mesurer le chemin parcouru depuis son introduction.

Un outil au service de la restructuration opérationnelle
Dans le cadre des procédures collectives et du droit social, la fiducie se révèle être un outil précieux car le transfert d’actifs vers le fiduciaire permet de sanctuariser les fonds alloués au plan de restructuration, que ces fonds viennent de l’employeur ou d’un repreneur, dans un patrimoine étanche protégé du constituant comme des créanciers de ce dernier (1). Le cas Petroplus témoigne de l’efficacité de la fiducie. Le fiduciaire reçoit la propriété des stocks des différents sites de raffinage Petroplus. Il les commercialise dans le cadre d’une fiducie dont les bénéficiaires sont les créanciers Petroplus, les banques et les employés du groupe, tout en s’assurant dans le même temps que tout ou partie des bénéfices de la commercialisation sont protégés pour financer la restructuration sociale. Ce dispositif aux enjeux considérables s’appuie notamment sur la possibilité de déléguer une partie de la mission du fiduciaire sans altérer l’efficacité de la protection juridique, avantage significatif au regard des autres sûretés existantes.

Un outil au service de la restructuration financière
Malgré une actualité bancaire dominée par une abondance de liquidités, il n’est pas interdit de penser – en anticipant les cycles – que reviendra un temps où créanciers et débiteurs en LBO se retrouveront à nouveau autour de la table des (re)négociations financières. Or l’utilisation de la fiducie redéfinit les forces en présence. En négociation, il n’est pas rare que face aux fonds LBO ou aux managers de sociétés cibles, les banques se voient contraintes de consentir délais et concours supplémentaires. Nombre de banquiers sont en effet réticents à activer les nantissements de premier rang dont ils peuvent disposer. La détention/gestion de participations qui en résulte n’entre traditionnellement pas dans leur mission première, l’octroi de crédit. Ils sont d’autant plus réticents que cette détention/gestion peut faire naître à leur endroit un risque de responsabilité sur le fondement de la direction de fait, pouvant imposer au créancier la participation au passif du débiteur en cas de faute de gestion (2).
Est dirigeant de fait le banquier qui en détenant une participation exerce en toute souveraineté et indépendance, une activité positive de gestion et de direction d’une société (3). Il en va ainsi du créancier qui exerce les fonctions de dirigeant de société, directement ou par personnes interposées (4). Dans le cadre d’une fiducie constituée par le banquier, celui-ci abandonne temporairement ou définitivement les droits détenus sur la cible en les transférant au fiduciaire avec une mission spécifique, en général la détention, la gestion et la conservation de la participation en vue de sa cession. Cette mission ne doit pas conduire le banquier à diriger la société par l’entremise du fiduciaire, l’autonomie de celui-ci est donc la clé de voûte du transfert. Si le fiduciaire détient l’intégralité des titres et dispose d’un mandat de dirigeant, il sera responsable de toute faute de gestion dans l’exercice de sa mission, en qualité de dirigeant de droit. Si le fiduciaire détient la propriété de tout ou partie des titres sans mandat de dirigeant, il engagera lui-même sa responsabilité en cas d‘acte extérieur à sa mission de fiduciaire constituant une faute de gestion, en qualité de dirigeant de fait.
En tout état de cause, le fiduciaire exécutera tout acte qu’il estimera nécessaire à sa mission de manière autonome mais il devra en rendre compte au constituant (5). La fiducie est donc une structure de cantonnement du risque pour le banquier.

La fiducie, un outil au service du financement et de la gestion d’actifs
Si la restructuration donne à la fiducie la possibilité de se développer à un rythme croissant, l’outil peut déployer des effets particulièrement utiles en amont de la restructuration, dès la mise en place de crédits syndiqués. À la place d’une holding d’investissement, la fiducie offre un patrimoine d’affectation dans lequel les financements peuvent être placés et détenus par le fiduciaire, à charge pour ce dernier de procéder aux investissements requis sur instruction des constituants et de détenir les actifs financés dans une structure bankruptcy proof.

(1) Article 2025 du Code civil : « (…) le patrimoine fiduciaire ne peut être saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine (…) ».
(2) Article L.651-2 du Code de commerce.
(3) En ce sens Cass. Com., 3 juillet 2007, n° 06-10.803 ; et J. Rives-Langes, La notion de dirigeant de fait, D.1975, chron. 41.
(4) Cass. Com 27 juin 2006, pourvoi n° 04-15.831.
(5) Art. 2022 al. 1 du Code civil « Le contrat de fiducie définit les conditions dans lesquelles le fiduciaire rend compte de sa mission au constituant ».

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