Fasken Martineau, l’exception canadienne
Un siècle de développement local, dix ans d’expansion internationale : le parcours du cabinet Fasken Martineau est d’autant plus atypique que la firme détient un certain nombre de records. Unique acteur du barreau canadien à posséder deux bureaux sur le continent européen, c’est également le seul à avoir pénétré le continent africain. Le tout en préservant la vocation full service qui continuera sans doute de guider les choix d’expansion future de cet éternel précurseur.
Rares sont les cabinets d’avocats qui sont parvenus à s’implanter solidement sur les places de Londres et de Paris sans pour autant posséder l’une des trois nationalités (américaine, britannique et française) qui trustent le marché européen du droit. Encore plus insolites, les firmes originaires de pays industrialisés qui peuvent se targuer d’avoir développé en Afrique plus qu’un simple bureau de représentation. Pourtant, le cabinet canadien Fasken Martineau relève depuis quelques années ces trois défis avec brio. Il est, parmi ses compatriotes, l’un de ceux dont la stratégie internationale est la plus ambitieuse.
Une histoire de fusions
Fasken Martineau est l’un des poids lourds du barreau canadien. Troisième cabinet du pays en termes d’effectifs, il est le résultat d’une longue série de fusions entre des firmes réputées aux quatre coins du territoire (lire «?La genèse d’un géant?» ci-dessous). Plus d’un siècle s’écoule entre les premiers pas du cabinet Fasken & Calvin à Toronto en 1863 et la fusion fin 1999 des cabinets Fasken Campbell Godfrey (Toronto), Martineau Walker (Montréal et Québec) et Russell & DuMoulin (Vancouver). Le nouveau millénaire voit ainsi la naissance de Fasken Martineau. Une firme déjà chargée d’histoire et d’expérience, dotée de quatre implantations consistantes, définitivement orientée vers un développement full service et structurellement prête à prendre des risques pour assurer son développement futur.
Le droit minier en étendard
Après cent ans de développement progressif, Fasken Martineau entame une période d’expansion aussi stratégique qu’audacieuse (lire «?Le grand virage stratégique?» ci-dessous). À peine l’intégration Toronto-Montréal-Vancouver achevée, le cabinet s’aventure pour la première fois sur le terrain du développement «?greenfield?» (création de filiales ex-nihilo, sans passer par des opérations de fusion ou d’absorption de structures existantes).
Dès 2003, il assure sa présence à Calgary (province) et s’élance outre-Atlantique en ouvrant une antenne sud-africaine à Johannesburg. Le choix de ces deux villes est loin d’être le fruit du hasard. La première est la capitale canadienne du pétrole et la seconde se situe au cœur de l’une des zones d’exploitation minière les plus riches au monde. Ce positionnement permet d’accompagner le développement naturel de deux pratiques qui comptent alors parmi les plus grandes forces du cabinet, et qui lui serviront d’étendard sur la scène internationale : celles du groupe énergie et de l’équipe droit et financement minier.
Ces activités prennent par ailleurs un tournant décisif la même année lorsqu’Al Gourley, spécialiste reconnu du droit minier, prend la tête du bureau de Johannesburg. En peu de temps, le cabinet, déjà chef de file au Canada dans le secteur des ressources naturelles, développe son expertise sur le volet international des transactions minières et devient, à l’échelle globale, une référence en la matière. David N. Corbett, associé directeur du cabinet depuis novembre?2006, évoque avec fierté cette performance : «?Notre practice énergie et ressources naturelles est établie de longue date (…). Le choix courageux que nous avons eu de la développer à l’international nous permet aujourd’hui de nous
classer parmi les leaders incontestés sur ce segment.?»
Ce dernier est entré au sein du cabinet Fasken Martineau en 1979, avant d’être nommé associé, puis de créer le groupe travail et emploi de Toronto en 1983. Lorsqu’il prend les rênes du cabinet en février?2006, c’est donc en fin connaisseur de la philosophie et des orientations stratégiques de la firme qu’il choisit d’orchestrer son envol sur la scène européenne.
L’envol européen
Si les projets d’implantation sur le Vieux Continent sont alors depuis longtemps à l’ordre du jour pour les géants du droit américain, les cabinets canadiens privilégient encore le développement de leur réseau local, et se tournent éventuellement vers les marchés émergents. À l’époque, seuls quelques-uns ont osé franchir l’Atlantique pour se doter, au mieux, d’un bureau de représentation à Londres composé de quelques avocats. Fasken Martineau possède d’ailleurs depuis 2003 ce type de structure à la City, qui sert principalement de point d’appui à l’antenne de Johannesburg et de point d’affectation à certains associés qui partagent leur temps entre les deux bureaux.
Mais David N. Corbett voit les choses en plus grand. En février?2007,
Fasken Martineau est le premier cabinet canadien à fusionner avec une firme londonienne, Stringer Saul. Cette opération lui permet d’offrir à ses clients un service inédit : l’accès continu à des spécialistes du droit britannique pouvant leur prêter main-forte notamment dans le cadre de transactions transfrontalières.
Les bouchées doubles à Paris
En bon précurseur de l’internationalisation du marché du droit, le cabinet ne s’arrête pas là. Après ce succès londonien, suivi de l’ouverture d’un bureau à Ottawa, c’est au barreau de Paris qu’il s’attaque à l’automne 2009, toujours sous la houlette de David N. Corbett. Là encore, le choix de la fusion s’avère plus approprié que l’implantation greenfield pour pénétrer cette place forte européenne. Le marché est d’ailleurs si concurrentiel que la firme canadienne met les bouchées doubles. Elle choisit tout d’abord de s’unir au cabinet français Gravel Leclerc pour former le bureau parisien aujourd’hui dirigé par Serge Gravel – dont la réputation en matière d’arbitrage et d’opérations majeures de fusion-acquisition, notamment dans le secteur immobilier, n’est plus à faire.
Ce premier mouvement est ensuite complété par le recrutement latéral d’une équipe de quatre avocats en provenance du cabinet Dewey LeBoeuf : celle de Jean-Claude Petilon. Ce dernier, passionné d’Afrique doublé d’un spécialiste éminent du droit africain, est particulièrement reconnu dans les domaines de l’énergie, des mines et des privatisations. Un moyen de faire d’une pierre deux coups en ouvrant non seulement aux clients anglais, américains et canadiens les portes de la France, mais aussi celles de l’Afrique francophone. La manœuvre permet également de leur apporter une assistance en matière de droit minier, et une gamme de services complémentaires allant des fusions et acquisitions au financement de projet en passant par le droit de l’environnement.
Car la montée en puissance du cabinet auprès de l’industrie des ressources naturelles ne lui a pas pour autant fait oublier sa vocation full service (cf. encadré ci-contre). L’accompagnement des opérations internationales des clients nécessite certes de développer une approche ciblée de l’expansion de la firme, mais aussi de mettre à leur disposition au Canada comme à Londres, Paris et Johannesburg, des compétences aussi nombreuses que complémentaires. La fiscalité, le droit bancaire et le droit du travail comptent ainsi parmi les matières de prédilection des avocats de Fasken Martineau. Autre force appréciée des clients : le cabinet dispose de plaideurs rompus aux litiges complexes, ce qui en fait une référence tant en matière de contentieux que de conseil.
L’ensemble de cette stratégie a fait ses preuves à en croire Serge Gravel qui déclare que «?l’impact de la récession sur le cabinet a été modéré?». L’occasion de monter en puissance face aux géants américains et britanniques qui subissent encore le contrecoup de la récession ? La stratégie de la firme demeure prudente, fidèle à son goût du risque réfléchi. Mais son modèle est solide, et son virage international est déjà pris. Fasken Martineau, qui a toujours une longueur d’avance sur ses compatriotes, pourrait bien compter parmi les premiers cabinets d’avocats canadiens qui gagneront du terrain sur leurs homologues anglo-saxons.
Novembre 2010