Audiovisuel : faire vivre les trésors des catalogues !
Lorsque que les sociétés de production se demandent quel sera le prochain blockbuster susceptible de réaliser des millions d’entrées ou la série qui engrangera les meilleurs scores, ils se tournent vers les grandes œuvres passées en se disant qu’il serait temps de les remettre au goût du jour. Pour réaliser cette stratégie, souvent gagnante, les catalogues audiovisuels représentent une véritable richesse pour ces grandes entreprises de l’industrie cinématographique et audiovisuelle. Ces catalogues regroupent des œuvres emblématiques (on les appelle les "IP") qui, bien au-delà de leur simple réexploitation, offrent une multitude d’opportunités. Ces œuvres peuvent être revisitées sous la forme de remakes, de sequels, ou même surtout, d’adaptations sous d’autres formats comme les séries ou les podcasts. En d’autres termes, il ne s’agit plus seulement de rediffuser des œuvres, mais de valoriser pleinement leur potentiel en les faisant revivre sous de nouvelles formes. Dans le contexte actuel, où les plateformes de streaming se disputent la fidélisation des abonnés, les catalogues d’œuvres classiques et contemporaines deviennent des atouts indéniables pour maintenir leur attractivité.
"Une bonne exploitation d’un catalogue repose sur une maîtrise fine des mécanismes juridiques"
Le rachat de catalogues est au cœur de cette bataille, avec des acquisitions récentes comme MGM par Amazon ou OCS par Canal+ qui démontrent que pour ces derniers entrants que sont les plateformes, les œuvres de catalogue offrent un ancrage dans l’histoire et une reconnaissance immédiate du public. L’enjeu consiste alors à enrichir et valoriser ces catalogues tout en répondant aux impératifs légaux. La valorisation d’un catalogue, pour être optimale, passe par une gestion minutieuse des droits d’auteur. Chaque œuvre est soumise à une chaîne contractuelle qui peut impliquer de nombreux ayants droit : les auteurs, les coproducteurs, les détenteurs de droits musicaux, etc.
Il est indispensable de vérifier que tous ces droits sont encore valides. C’est particulièrement vrai lorsque l’on traite des œuvres anciennes, pour lesquelles les droits patrimoniaux doivent souvent être renouvelés. La complexité de cette gestion nécessite des audits réguliers, d’autant plus qu’en matière de droits d’auteur, chaque situation est unique. En somme, une bonne exploitation d’un catalogue repose sur une maîtrise fine des mécanismes juridiques, tant en ce qui concerne la durée des droits que les obligations liées à leur renouvellement.
Enjeux de la gestion des droits patrimoniaux
La gestion des droits patrimoniaux des œuvres de ces catalogues représente un défi majeur car la protection légale des droits d’auteur (70 ans après la mort du dernier auteur) est longue. Au décès des auteurs de l’œuvre cinématographique ou audiovisuelle, l’œuvre peut continuer à être exploitée par celui qui l’avait produite, mais ses interlocuteurs ont changé, il se trouve face aux ayants droit avec lesquels il devra négocier, et deux défis majeurs à relever : le renouvellement du contrat car très souvent pour des œuvres anciennes, les droits ont souvent été cédés pour des durées relativement courtes, parfois 30 ou 33 ans, qui le placera face aux ayants droit de l’auteur décédé et l’acquisition de nouvelles exploitations qui n’avaient même pas été imaginées lors de la signature du contrat initial. Cette renégociation des contrats avec les ayants droit, peut s’avérer complexe, notamment lorsque les héritiers sont multiples. Cela demande parfois de véritables enquêtes pour identifier tous les ayants droit concernés.
Les détenteurs de catalogue soumis à l’obligation d’exploitation
Ces pratiques de ces adaptations sous d’autres formes (du film de cinéma à la série audiovisuelle) nous paraissent de plus fort pertinence depuis la loi du 7 juillet 2016 qui soumet les détenteurs de catalogues à une obligation d’exploitation suivie. Cela signifie que pour chaque œuvre, le producteur ou le détenteur du catalogue doit prouver que l’œuvre a été exploitée de manière régulière, que ce soit au cinéma, en VOD, à la télévision ou sur d’autres supports. Si une œuvre n’a pas été exploitée durant une période de cinq ans, l’auteur ou ses ayants droit peuvent demander la résiliation du contrat de cession de droits, ce qui ferait perdre à l’entreprise ses droits d’exploitation sur cette œuvre. Or, les spécialistes du marketing savent bien qu’une œuvre nouvelle adaptant une œuvre ancienne permet de la faire revivre. Par analogie, depuis que Pathé a adapté Le Comte de Monte-Cristo, ce roman d’Alexandre Dumas n’a jamais autant été vendu. C’est alors la course à l’acquisition (le mercato) où au travers de l’acquisition d’une entreprise, la société acquérant mettra la main sur le catalogue.
Les cessions de catalogues, notamment lors de fusions-acquisitions, doivent répondre à des règles strictes et l’expertise d’une ou d’un avocat spécialiste de propriété intellectuelle et de droit de l’Entertainment aux côtés de l’avocat(e) spécialiste de la fusion-acquisition, est indispensable. À titre d’exemple, une clause courante dans les contrats de coproduction est celle du droit de priorité, ou de dernier refus. Cela signifie que si une des parties souhaite céder sa quote-part de droits, elle doit d’abord proposer cette cession à son cocontractant, garantissant aux partenaires le droit de racheter en priorité la part cédée. En cas de non-respect de cette clause, la vente peut être annulée par les autres coproducteurs. Également, les contrats de cession de droit d’auteur sont des contrats intuitu personae dont il faudra s’assurer que l’auteur a bien consenti par avance à la rétrocession de son contrat à un tiers et évidemment vérifier que les formalités prévues ont bien été respectées.
Patrimoines privés et patrimoine national
Les catalogues, richesse des entreprises qui les détiennent mais richesse également de la France et de son patrimoine. La loi du 25 octobre 2021 sur la régulation et la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique impose de nouvelles obligations. Lorsqu’un catalogue d’œuvres est vendu à une société étrangère, il est impératif que ces œuvres restent accessibles au public français. Aussi, le ministère de la Culture doit être informé de toute cession, et l’État dispose d’un droit de préemption sur les œuvres lui permettant de bloquer certaines ventes dans les six mois suivant leur notification. Ce cadre juridique permet de garantir que les œuvres du patrimoine audiovisuel français ne disparaissent pas dans des catalogues étrangers où elles risqueraient de ne plus être exploitées.
Optimisation et valorisation des catalogues
Pour conclure, à l’ère de l’intelligence artificielle générative et de la valorisation des catalogues, les détenteurs des droits des œuvres de leur catalogue pourraient se rapprocher des ayants droit pour obtenir leur consentement éclairé aux fins de permettre l’entraînement d’une intelligence artificielle sur leurs œuvres identifiées, en échange d’une rémunération proportionnelle, proportionnée et traçable. Ce modèle garantirait alors une IA responsable et assurerait une sécurité juridique tant pour les utilisateurs de l’IA que pour les détenteurs de droits. Vaste projet, vaste chantier mais pourquoi pas ?
SUR LES AUTEURS
Karine Riahi, forte de 30 ans d’expérience dans l’accompagnement des acteurs de l’industrie cinématographique et audiovisuelle, spécialiste du droit de la propriété intellectuelle, est une actrice incontournable du secteur des industries créatives. Karine se distingue par sa capacité à conjuguer rigueur juridique et sens stratégique pour proposer des solutions sur mesure tant en conseil qu’en contentieux et médiation.
Julien Brunet, docteur en droit en Italie, diplômé d’un LL.M à UCLA en droit de l’Entertainment et avocat au barreau de Californie depuis 2022, oriente sa pratique vers les acteurs internationaux du secteur des industries créatives et innovantes. Il pratique le droit de la PI, ainsi que le droit des nouvelles technologies, en conseil comme en contentieux. Il conseille notamment ses clients dans la structuration juridique (chaînes de contrats et financement) des projets cinématographiques et audiovisuels (longs-métrages, séries TV, flux, œuvres immersives) tout en les accompagnant, pour certains, dans leurs opérations de restructuration juridique et financière lors d’opérations d’acquisitions.