Ni les fournisseurs ni les distributeurs n’ont un intérêt à l’échec des négociations commerciales, les premiers craignant la perte d’un débouché commercial incontournable, les seconds une limitation de l’offre proposée aux consommateurs. Récemment, les fournisseurs de la grande distribution alimentaire ont été à l’origine d’une loi du 30 mars 2023 qui rebat, significativement, les cartes en matière de rupture brutale des relations commerciales établies.

La recherche d’un meilleur équilibre entre fournisseurs et distributeurs s’est développée à compter de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et ne cesse depuis de faire l’objet d’ajustements. Dernière en date, la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023, tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, a considérablement renouvelé le régime de la négociation commerciale, en particulier s’agissant de la rupture brutale de la relation en l’absence d’accord commercial.

L’ancien article L. 441-3, IV du Code de commerce imposait que les conventions commerciales régissant les rapports entre fournisseurs et distributeurs soient conclues, au plus tard, le 1er mars de chaque année. Aucune disposition ne venant toutefois régir le sort des contrats non renouvelés, faute d’accord au 1er mars, les contractants mobilisaient traditionnellement les principes généraux applicables aux contrats commerciaux. Ainsi, à la liberté de ne pas contracter, autorisant les parties à ne pas renouveler le contrat conclu l’année précédente, répondait le droit au préavis, prévu par le texte relatif à la rupture brutale des relations commerciales établies. L’échec des négociations conduisait ainsi, au maintien de la relation commerciale, durant tout le temps du préavis, aux conditions tarifaires pourtant prévues l’année précédente.

La loi Egalim 3 tend à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs

Au total, la rupture brutale s’accordait mal avec les impératifs économiques et commerciaux de la grande distribution. Dans cette perspective, et dans un contexte de marché inflationniste qui, pour le fournisseur, fait surgir le risque de produire à perte, l’article 9 de la loi Egalim 3 a créé un dispositif destiné à résorber ces imperfections. 

L’incohérence des domaines de l’article 9 et de la rupture brutale des relations commerciales établies

L’on sait bien qu’une certaine asymétrie des prérogatives perdure dans les relations entre fournisseur et distributeur. En effet, en l’absence de contrat nouvellement formé, le fournisseur dispose d’une double option: (i) rompre immédiatement la relation, sans préavis, et sans risquer d’être poursuivi par son distributeur au titre de la rupture brutale, (ii) demander l’application d’un préavis répondant aux exigences impératives de l’article L. 442-1, II du Code de commerce. Ainsi, l’application des dispositions sur la rupture brutale est désormais subordonnée à la volonté d’une seule des parties au contrat, ce qui se situe aux antipodes du principe de la rupture brutale des relations commerciales établies, qui se veut pourtant d’application générale et indifférenciée. 

De surcroît, en cas d’échec des négociations annuelles au 1er mars, les parties auront désormais la possibilité de saisir le Médiateur afin de conclure, sous son égide et avant le 1er avril, "un accord fixant les conditions d’un préavis" tenant "notamment compte des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties". En cas d’accord entre les parties sur les conditions du préavis, le prix alors convenu s’appliquera rétroactivement aux commandes passées par le distributeur à compter du 1er mars. À défaut d’accord au bout d’un mois, le fournisseur pourra alors arbitrer entre les deux options présentées supra.

Ainsi, en plus de l’obligation de respecter un préavis raisonnable, une obligation d’en renégocier les conditions tarifaires vient s’ajouter. L’utilité d’un tel dispositif laisse songeur, au regard du mécanisme de révision pour imprévision figurant à l’article 1995 du Code civil et octroyant la possibilité de demander une renégociation du contrat à son cocontractant si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque.

L’incomplétude du contenu de l’article 9 de la loi Egalim 3: la question du prix applicable pendant la durée du préavis

En l’absence de disposition légale sur la question du prix applicable pendant la durée du préavis, la jurisprudence avait, jusqu’ici, considéré que "l’octroi d’un préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures", impliquant que le prix initial continue à s’appliquer pendant la durée du préavis. Si la loi du 30 mars 2023 a voulu combler ce vide juridique, certaines zones d’ombre demeurent toutefois. À ce titre, l’article L. 442-1, II du Code de commerce dispose que, pour la détermination du prix applicable pendant la durée du préavis, il faut prendre en considération "[l]es conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties", ce qui offre au juge un nouveau critère d’appréciation.

Maulin graphique

Cependant, la notion de "conditions économiques du marché" confère au juge une marge d’appréciation significative, ce qui pourrait d’ailleurs être source d’insécurité juridique. S’il est tout à fait concevable d’imaginer que les tarifs acceptés par les autres distributeurs puissent, en cas de contentieux, constituer un référentiel utile pour le juge, les risques que cela représenterait en termes de protection due au secret des affaires et de droit de la concurrence pourraient, selon nous, s’opposer à une telle communication.

Quant aux distributeurs qui se verront imposer, par leur fournisseur, une rupture à effet immédiat des relations commerciales, sans toutefois pouvoir en dénoncer la brutalité, il n’est pas exclu qu’ils envisagent un report du contentieux de la rupture brutale sur un nouveau contentieux relatif à la mauvaise foi dans la négociation commerciale sur le fondement, d’une part, du nouvel article L. 442-1, I, 5° du Code de commerce aux termes duquel "[e]ngage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait [...] [d]e ne pas avoir mené de bonne foi les négociations commerciales (...)" et, d’autre part, de l’article L. 441-4, IV du Code de commerce rappelant que "[l]a négociation de la convention écrite est conduite de bonne foi, conformément à l’article 1104 du Code civil".

Recommandations pratiques au regard des nouvelles dispositions d’Egalim 3

Afin de capitaliser au mieux sur les nouvelles dispositions de la loi et dans la perspective des prochaines négociations commerciales, qui sont désormais imminentes, nos recommandations minimales sont les suivantes :

Recommandation n° 1 : 

Rapidement mettre à jour, en sollicitant l’expertise d’un avocat spécialisé en droit de la distribution, vos conditions générales de vente au regard de ces nouvelles dispositions.

Recommandation n° 2 :

Dès réception de ces dernières, s'assurer que les conventions uniques imposées par les distributeurs intègrent bien l’ensemble des nouvelles dispositions de la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023.

Recommandation n° 3 :

Mener les négociations commerciales de "bonne foi" pour éviter de caractériser la pratique restrictive de concurrence instaurée par le nouvel article L. 442-1, I, 5° du Code de commerce de "ne pas avoir mené de bonne foi les négociations commerciales conformément à l’article L. 441-4, ayant eu pour conséquence de ne pas aboutir à la conclusion d’un contrat dans le respect de la date butoir prévue à l’article L. 441-3".

SUR L’AUTEUR

Romain Maulin est avocat au barreau de Paris depuis 2009. Disposant d’une double formation Sciences Po (Paris) et droit, il est l’associé fondateur du cabinet Maulin Avocats qu’il a créé en 2018, après avoir exercé pendant près de dix ans dans les départements dédiés au droit de la concurrence des meilleurs cabinets anglo-saxons (Herbert Smith Freehills, Allen & Overy et Dechert). Le cabinet Maulin Avocats, notamment classé "Excellent" pour le droit de la distribution, conseille différents acteurs de la distribution alimentaire.

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