"Le cloud souverain – dernier rempart pour protéger vos données ?"
DÉCIDEURS. Guidé par l’ambition d’incarner un succès français dans la Silicon Valley, vous vous y êtes installé pendant plus de vingt ans. Comment ce contraste d’identité française dans l’écosystème américain a-t-il participé au développement de Scality ?
Jérôme Lecat. Si vous me permettez une légère digression, rappelons le coeur du sujet. Il fut une époque, pas si lointaine et toujours pas révolue, où tout était politique, aujourd’hui, tout est données ! Ne serait-ce que ces lignes, qui sont des données. Néanmoins, il y a aussi celles qu’en tant qu’individu vous mémorisez dans votre cerveau souverain, celles que vous conservez en vrac ou bien rangées, dans un album photo ou un coffre-fort à la banque, celles que vous jetez, etc. Ces données, pour intéressantes qu’elles soient, chez Scality, nous nous en occupons peu, voire pas du toutEn revanche, celles qu’en tant qu’entreprise, organisation ou structure, vous conservez – par vos propres moyens ou dans le cloud, pour les retrouver, de préférence dans l’état où vous les avez stockées, sans que personne d’autre que les personnes autorisées y aient accès, sans que personne ne les confisque ou les dégrade ; celles-là mêmes qui vous servent à travailler, innover, et grandir, nous nous en occupons !
"La technologie du cloud doit s’opérer en connaissance de cause, en distinguant les données sensibles à stocker sur des serveurs sécurisés en interne, ou en outsource dans des datacenters"
S’installer à la Silicon Valley assurait des échanges riches avec les ingénieurs au niveau local, avec un renouvellement technologique en conséquence – ainsi qu’une fiscalisation intéressante ! Cependant, les récents plans de relance gouvernementaux en faveur de la french tech, dont le financement de 1,8 milliard réservé au cloud français, change la donne.
Charge à nous, acteurs français de cette transformation numérique de rester vigilants sur l’utilisation de cet argent. Qu’en est-il des commandes publiques permettant aux entreprises françaises de recruter, d’innover, d’anticiper, et de reprendre la main sur le leadership technologique ?
Depuis la création de Scality en 2009, quelles évolutions avez-vous constatées dans la prise de conscience sur le stockage de la donnée ?
L’adoption de cette technologie du cloud en elle-même ne scelle pas la transformation numérique d’une entreprise. Cette dernière doit s’opérer en connaissance de cause, en distinguant les données sensibles à stocker sur des serveurs sécurisés en interne, ou en outsource dans des datacenters. La data non sensible peut évoluer sur le cloud public, tout en restant sujette à une réévaluation de sa valeur.
Plus particulièrement dans les dix dernières années, les entreprises n’ont cessé de migrer tout ce qui pouvait l’être en cloud public, pour des raisons de compétitivité. Cette manie qui aurait dû rendre ces structures plus agiles les a également prédisposées à une déperdition de production informatique, ainsi qu’aux attaques cyber.
La résignation à cette vulnérabilité a souvent été expliquée en termes de coût. Qu’en est-il, d’après vous ?
De nos jours, les coûts engendrés par le cloud public ne sont pas moins élevés que l’installation d’un cloud privé, dont les interconnexions opèrent derrière les firewalls d’un datacenter.
Par ailleurs, s’il ne l’est pas au début, ce choix deviendra coûteux, quand la conséquence in fine est la perte de contrôle et de supervision des systèmes d’une entreprise.
Les directives de protection de la donnée et de ceux auxquels elle appartient exigent un contrôle de plus en plus strict de l’information. Dans quelle mesure vos solutions de cloud privé reflètent cette exigence de gestion ?
Nos solutions progressent à l’aune des évolutions réglementaires.
Dans certains secteurs de la santé, des données relatives aux patients peuvent être légalement stockées pendant une vingtaine d’années. Afin de ne pas compromettre ces directives, et plutôt que de remplacer un serveur interne quand celui-ci arrive à capacité, un hôpital utilisera notre solution Ring pour tout simplement étendre son stockage en ligne au sein d’un cloud privé.
Cette année, pour compléter notre offre, nous avons développé une nouvelle solution hybride de stockage : Artesca.
Dans quelle mesure la solution Artesca répond-elle aux tendances du marché ?
Avec Artesca, nous avons voulu un déploiement indolore, tant d’un point de vue matériel – un seul et même serveur suffit au déploiement technique – que logiciel. Vendue sans formation ou régie de notre part, la solution Artesca est faite pour une adoption intuitive. Avec Artesca, le stockage objet n’est plus réservé à une élite.
"Les PME, canevas de notre tissu industriel, méritent des solutions logicielles fiables et abordables"
Une fois le déploiement orchestré Artesca est parfait aussi bien pour de petites structures comme pour de plus grandes. Les PME, canevas de notre tissu industriel, méritent des solutions logicielles fiables et abordables.
Néanmoins, nous conservons les valeurs d’interopérabilité avec l’existant, qui caractérisent les solutions développées par Scality. De façon similaire à Ring, nous avons développé Artesca dans une optique d’hypercroissance de systèmes, sans à-coup, ni interruptions de l’activité.
Aux problématiques de stockage s’ajoutent celles de souveraineté et de protection des données. Dans quelle mesure vos solutions cloud y répondent-elles ?
Malheureusement, en termes de cybersécurité, la question ne relève plus "du si mais du quand". En conséquence, au sein de nos offres, nous avons embarqué des logiciels anti-ransomware. Nous nous sommes également associés à des acteurs français (Jaguar Network, Outscale, Cheops) pour proposer une offre souveraine sécurisée. Cette offre marche très bien, mais elle n’est pas encore assez visible, alors que nous avons le leadership sur le marché français, et sur le marché européen ! Mais je reste un éternel optimiste. Continuons à travailler ensemble. Ce serait dommage que la France rate le train de la souveraineté et de l’innovation.
Propos recueillis par Alexandra Bui
Jérôme Lecat est un entrepreneur en série et business angel avec vingt ans d’expérience dans le démarrage d’infrastructures Internet. De 2003 à 2010, Jérôme a dirigé Bizanga, premier MTA de messagerie pour les fournisseurs de services. En 2010, il co-fonde Scality, et innove également avec une solution de stockage objet. Jérôme est titulaire d’un diplôme d’ingénieur de l’École nationale des Ponts et Chaussées et d’un master recherche en sciences cognitives de l’Université Paris VII. Il a également suivi le programme AMD à l’INSEAD. Il est très actif, jetant des ponts entre la Silicon Valley et la scène de la French Tech.