Passionné et inspirant pour les générations futures, Jean-Marie Tarascon occupe la chaire "Chimie du solide et de l’énergie" au Collège de France depuis 2011. Le prix Balzan 2020 qui récompense les défis environnementaux lui a été décerné pour ses travaux avant-gardistes sur les batteries lithium-ion et les batteries intelligentes. Il partage avec Décideurs sa vision de l’innovation.

Décideurs. Vous avez reçu le prix Balzan en 2020. Pouvez-vous nous expliquer les travaux pour lesquels vous avez été récompensés ? 

Jean-Marie Tarascon. À dire vrai, je n’ai pris conscience de l’importance de ce prix que lorsqu’il m’a été remis et que tous mes collègues m’ont félicité ! Il récompense un travail de longue haleine et des découvertes importantes sur les batteries au lithium, ainsi que des travaux plus récents portant sur les batteries intelligentes.  

S’il fallait faire une comparaison avec la médecine, j’essaye de dresser l’histoire de la batterie, son parcours de santé en quelque sorte, un peu comme si elle avait une carte vitale. L’historique est retracé grâce à de nouvelles techniques, comme l’injection de capteurs à l’intérieur de la cellule. Ces fonctionnalités de diagnostic et de réparation permettent d’en optimiser l'utulisation pour qu’elle ait, dans le futur, une meilleure fiabilité et une durée de vie accrue.

Aujourd’hui, du fait de la méconnaissance du fonctionnement interne des batteries, leurs performances sont bridées de 20 à 25% pour des raisons de sécurité. Sans oublier le volet environnemental ! Si nous parvenons à augmenter l'espérance de vie des batteries, nous réduirons leur empreinte carbone et donc leur impact sur l’environnement. Le principal verrou à la réalisation de ces recherches futuristes et prometteuses est d’arriver à produire ces batteries « augmentées » sans majorer leur coût.  

"Mener des recherches de pointe permettrait à la France de regagner en crédibilité à l’échelle mondiale" 

D’après-vous, quels sont les retombées et les enjeux sociétaux de vos travaux sur la disponibilité rapide des batteries lithum-ion ? 

C’est un domaine confronté à une compétition féroce avec les pays asiatiques. Pourtant, mener des recherches de pointe, hors des sentiers battus, permettrait à la France de regagner en crédibilité à l’échelle mondiale, de retrouver la souveraineté sur ces technologies et d’innover pour apporter une valeur ajoutée aux gigafactories qui se montent en Europe. Il y a donc bien un intérêt économique à investir dans la recherche dans ce domaine. Enfin, la préservation de l’environnement est un enjeu planétaire. En multipliant la durée de vie des batteries par deux, on diminue également l’utilisation des matières premières et la tension autour du recyclage des matériaux.  

Que pensez-vous de l’innovation française dans ces domaines ?  

Il faut distinguer la créativité de l’innovation. La France a été parmi les pays les plus créatifs d’Europe au niveau de la science des systèmes de batteries. En revanche, sur le volet de l’innovation et donc de la transformation des recherches en produits commercialisables, le bât blesse. Pourquoi ? Parce que l’industrie française n’est ni porteuse d’initiatives ni intégrée dans un écosystème global de recherche. 

Dans le cas de la batterie au lithium. Elle a été développée puis mise sur le marché par Sony. À l’époque, l’entreprise était leader des objets électroniques comme les téléphones portables et avait besoin à titre de valeur ajoutée de batteries performantes. Consciente des enjeux, elle n’a pas hésité à prendre tôt le risque d’investir dans la recherche sur les batteries lithium-ion, pour ensuite intégrer cette technologie dans ses produits. 

En France, les industriels ont des domaines d’activité bien définis et sont très frileux à l’idée d’essayer de conduire une nouvelle technologie à la production. Dans le cadre de nos recherches actuelles, nous développons une batterie sodium-ion et avons pour cela créé la compagnie Tiamat. Mais nous rencontrons des difficultés à obtenir un soutien français pour que cette PME puisse prendre de l’ampleur dans le processus de fabrication.   

La France ne manque pas de volonté, mais les actions ne suivent pas toujours et les procédures administratives peuvent être un frein à l’innovation. On le voit bien actuellement avec la distribution du vaccin qui a pris du retard en France au regard d’autres pays occidentaux moins bureaucratiques. 

Tesla a récemment annoncé une diminution du prix des batteries. Pensez-vous que c’est un défi réalisable ?  

Tesla a en effet annoncé lors de sa dernière conférence presse, un objectif de 60 à 70  /kWh stocké. C’est, à mon sens, tout à fait réaliste et concevable, car Elon Musk utiliserait pour cela des électrodes chargées en silicium. Des centaines de laboratoires travaillent d’ores et déjà sur cette technique et obtiennent des résultats prometteurs.  

Il a également mentionné le procédé sec développé par Tesla et dont il a obtenu le secret en rachetant une entreprise spécialisée. Enfin, il a également évoqué une solution innovante qui intègrerait les batteries directement dans le châssis de la voiture. Autant de pistes qui multiplient les chances d'abaisser le prix du kWh dans un avenir proche.  

Je suis un grand admirateur de Tesla et de son dirigeant. La vision de l’innovation d’Elon Musk est remarquable. Il a fait du coût son cheval de bataille et c’est grâce à cela, et au coup de pied dans la fourmilière des constructeurs automobiles, que le prix des batteries lithium-ion a autant diminué ces dernières années.  

"Nous utiliserons encore la batterie lithium-ion dans des dizaines d’années et peut-être même dans un siècle" 

Quel est l’avenir de la batterie Lithium-Ion ? Est-elle encore perfectible ?  

D’après moi, nous emploierons la batterie lithium-ion des dizaines d’années encore, voire plus. Elle est l’équivalent de la batterie au plomb, mais cela ne veut pas dire qu’elle n’est plus perfectible. 

S’il n’existe aucune autre alternative à la batterie lithium-ion pour les téléphones ou les véhicules autonomes, le monde scientifique connaît désormais les limites de cette batterie. Sachant cela, des recherches se poursuivent sur l’amélioration du temps de charge, ainsi que sur l’amélioration de la densité d’énergie ou du recyclage. C’est notamment pour cela qu’il y a autant d’engouement pour les batteries lithium à électrolyte solide. Nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère sur les diagnostics et la réparation des batteries. Anticiper les défaillances de la batterie nous permettra d’optimiser sa qualité, sa durabilité, sa fiabilité et son empreinte environnementale dans le futur.  

La technologie sodium-ion est aussi une piste alternative intéressante. Elle offre plus d’avantages sur le plan du développement durable et permet d’augmenter les performances et la puissance, ce qui peut offrir de belles perspectives pour le véhicule hybride ou pour l’exploitation et le stockage des énergies renouvelables notamment.. 

Quels sont les grands projets qui occuperont vos années de recherche à venir ?  

Je suis particulièrement enthousiaste à l’idée de poursuivre les travaux sur la batterie intelligente. C’est un projet futuriste à long terme qu’il faut envisager sur dix ou quinze ans.  

Dans l’immédiat, je me réjouis de participer à l’amélioration de la technologie sodium-ion que nous avons menée à maturation dans le cadre du Réseau français sur le stockage électrochimique de l’énergie (ou RS2E) il y a 5 ans. L’autre défi, c’est la batterie tout solide au lithium pour laquelle la compétition internationale est sans merci, car tous y voit une panacée pour le futur. Théoriquement, en se passant de l’électrolyte liquide présent aujourd’hui dans la technologie lithium-ion, on s’affranchit des problèmes de sécurité. De plus, remplacer le carbone par du lithium métallique permettrait d’augmenter la densité d’énergie, et donc l’autonomie des véhicules électriques et des appareils portatifs. Il y a donc encore plusieurs pistes passionnantes à explorer dans les années à venir.  

Propos recueillis par Laura Breut 

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