Ce 18 avril, Bernard Gault quitte son poste de PDG de transition d’Elior avec le sentiment du devoir accompli. Doté d’une solide expérience, le banquier d’affaires aura permis au groupe de retrouver un équilibre financier en seulement quinze mois. Une jolie prouesse pour celui qui conseille les fleurons de l’économie tricolore dans le cadre d’opérations financières de haut vol depuis plus de quarante ans. Sa marque de fabrique ? Enthousiasme, technicité, simplicité. Des qualités qu’il pourrait bientôt mettre au service d’une autre société familiale. Portrait d’un homme bien.
Bernard Gault, PDG sans chichis
Il y a ceux qui occupent des postes prestigieux pour assouvir leur soif de pouvoir. Ceux qui ne jurent que par l’argent. Ceux qui courent après la reconnaissance. Et ceux qui, comme Bernard Gault, cherchent avant tout à être utiles. À bâtir. C’est ce qui anime depuis toujours ce banquier d’affaires. C’est ce qui l’anime encore aujourd’hui en tant que PDG d’Elior et administrateur de diverses sociétés. Avec son esprit libre, sa franchise décapante, son énergie débordante et son caractère passionné, le centralien de 64 ans ne laisse pas indifférent. Sa singularité, sa précision et son envie de faire lui permettront d’ailleurs d’accompagner des opérations financières d’envergure. Que ce soit chez Morgan Stanley ou au sein de Perella Weinberg Partners. À Paris ou à Londres. Peugeot, Carrefour, Arcelor, Suez… Tout au long de sa carrière, le financier a conseillé les fleurons de l’économie tricolore. Avec toujours la même approche : comprendre l’état d’esprit de son interlocuteur, cerner ses objectifs, ses ambitions. Sans faux-semblants ni volonté de plaire. Mais bel et bien dans l’optique d’aller de l’avant. Dans une confiance mutuelle et réciproque. "Il est bien sûr très expérimenté, très intelligent, très pointu et en même temps très simple et accessible, témoigne Robert Peugeot qui le connaît depuis quinze ans. Il s’exprime sans fioritures, sans chichis. Il est toujours le même, quel que soit le contexte. Il attire réellement la sympathie." Et André François-Poncet, banquier d’affaires réputé qui occupait la présidence du directoire du groupe Wendel jusqu’au 1er janvier 2023, de confirmer : "C’est un vrai leader qui amène les autres avec lui. Il est à la fois enthousiaste et très généreux. J’ai beaucoup d’estime pour lui." "Un vrai chic type", garantit de son côté Esther Gaide, CFO du groupe Elior qui le côtoie au quotidien. Fidèle et passionné, cet homme de chiffres au caractère entier qui, depuis quarante ans, multiplie les projets – à titre professionnel, associatif, ou simplement pour le plaisir – dispose aujourd'hui d'un solide carnet d’adresses.
"Il est bien sûr très expérimenté, très intelligent, très pointu et en même temps très simple et accessible. Il s’exprime sans fioritures, sans chichis. Il est toujours le même, quel que soit le contexte. Il attire réellement la sympathie" Robert Peugeot
Dans le monde de la finance et au-delà. "Depuis le début de ma carrière, j’ai eu la chance de tisser des liens d’amitié très forts avec des personnes que j’apprécie et que j’admire. On appelle ça le réseau, souligne-t-il. En réalité, il s’agit pour moi d’amis avec qui j’aime échanger." Échanger sur tous les sujets. La finance de marché et la conjoncture économique. Mais aussi la gastronomie française, le vin, l’art, l’éducation via son poste de président de la fondation CentraleSupelec. Avec toujours cette envie de sortir des sentiers battus pour construire quelque chose de nouveau.
Aucune caste
Rien ne prédestinait pourtant l’homme à une telle carrière. Alsacien d’origine, il n’appartient à aucune caste. Ne fait partie d’aucun establishment. Une fois son baccalauréat en poche, parce qu’il est curieux, qu’il est à la fois littéraire et matheux et qu’il aspire à ouvrir le champ des possibles, il intègre une prestigieuse classe préparatoire scientifique. Sans objectif précis. "C’est un épisode qui marquera mon parcours, raconte celui qui découvre alors la vie parisienne. Je prends conscience qu’il y a meilleur que moi et que, pour réussir, il faut se dépasser. Et toujours rester modeste." Deux ans plus tard, l’étudiant décroche Centrale d’abord. Sciences Po ensuite. S’il cherche encore sa voie, il le sait : il ne deviendra pas ingénieur stricto sensu. "Il y a des profils mieux placés que moi pour innover ou construire des moteurs." Il n’envisage pas non plus de rejoindre la sphère politique : "Je n’aime pas les règles qui dictent cet univers, assure-t-il. Je suis attaché à la substance, pas à l’apparence." À l’aise avec les chiffres et décidé à intégrer le privé, Bernard Gault choisit la voie financière et intègre la Compagnie financière de Suez au début des années quatre-vingts. Initialement pour une mission sans intérêt.
"Une période particulière"
C’était sans compter sa rencontre avec Gérard Worms qui prend le jeune Bernard Gault dans son équipe de la délégation générale consacrée aux affaires industrielles. "Notre équipe n’est pas grande, mais elle est chargée de toutes les participations industrielles de Suez, se souvient-il avec précision. On est notamment à l’origine de la création d’Astorg. C’est une période particulière, car la France du capitalisme s’ouvre à nouveau. Nous avons la possibilité de prendre des initiatives. C’est très formateur. Il se passe beaucoup de choses aussi sur le plan mondial. C’est passionnant." À 27 ans déjà, Bernard Gault enchaîne les dossiers d’envergure, travaille aux côtés d’un certain Gérard Mestrallet – avec qui il gardera des liens étroits tout au long de sa carrière – et assiste à l'émergence de futurs cadors du capitalisme moderne comme Bernard Arnault, Vincent Bolloré, Pete Peterson (le fondateur de Blackstone), Carlo De Benedetti et bien d’autres. Dès la fin des années quatre-vingts, riche de cette première expérience, le financier rejoint Morgan Stanley qui cherche alors à développer son activité de banque d’affaires en France.
Une référence sur le marché français
La mission est délicate. Et pour cause : les concurrents sont fortement implantés. Peu importe. Il développe l’activité, intervient sur des dossiers de M&A et sur les marchés de capitaux. Avec enthousiasme, précision, rigueur. Et ça marche. Grâce à son impulsion et celle d’André François-Poncet, Morgan Stanley ouvre un bureau à Paris, rassemble une équipe et se fait progressivement un nom sur le territoire français. Bernard Gault conseille des sociétés comme Suez, Carrefour, Arcelor dans le cadre d’opérations qui marqueront l’histoire de l’économie tricolore… Sa force ? Ses compétences techniques et sa finesse d’esprit. "Il est à la fois très intelligent, très curieux et doté d’une vraie vision, témoigne André François-Poncet, qui a travaillé à ses côtés chez Morgan Stanley et avec qui il conserve des liens d’amitié. C’est un homme de la renaissance qui est capable de toucher à tous les domaines. Il sait trouver des voies d’amélioration avec beaucoup d’énergie."
"C’est un homme de la renaissance qui est capable de toucher à tous les domaines. Il sait trouver des voies d’amélioration avec beaucoup d’énergie" André François-Poncet
Et ce n’est pas le seul point fort du banquier d’affaires qui, dans chaque opération qu’il accompagne, dépasse toujours l’aspect technique ou financier pour s’intéresser réellement à l’autre. À sa perception des choses, à ses objectifs, à ses craintes… Résultat : il tisse des liens solides et durables avec la plupart de ses clients, internationaux. "Notre métier est avant tout un métier humain, affirme-t-il. Pour être bon, il faut avoir envie de trouver la meilleure solution, chercher à comprendre son interlocuteur. C’est essentiel. J’ai toujours eu le luxe de travailler avec des gens que j'apprécie profondément, que ce soit mes clients ou les membres de l’équipe. Sans l’affect, notre activité n’a aucune valeur." Bernard Gault aime échanger, discuter, comprendre, suscitant ainsi la confiance de ceux qui l’entourent. Si bien que, au bout de dix ans, Morgan Stanley devient une référence sur le marché français, devant Lazard ou Rothschild. Parce qu’il aspire encore et toujours à bâtir et à se renouveler, il gagne progressivement en responsabilités chez Morgan Stanley, s’installe à Londres où il prend en main la direction du fonds de private equity consacré à l’Europe, construit des équipes, multiplie les deals…
"Rock’n roll"
En 2006, lorsque l’Américain Joseph Perella quitte Morgan Stanley pour monter une nouvelle banque d’affaires aux côtés de Peter Weinberg, Bernard Gault est de la partie, ainsi que sept autres associés répartis entre Londres et New York. "Joseph et Peter ont l’idée de faire du conseil et de l’asset management, comme le fait Lazard, c’était très intéressant, explique celui qui est alors galvanisé par ce projet entrepreneurial naissant. Nous partons de rien, mais grâce à notre réputation sur le marché, ça prend tout de suite. Dès le début, nous intervenons sur beaucoup de deals." Aux côtés des autres fondateurs, il bâtit le fonds de commerce et construit le projet de A à Z. Une période "rock’n roll" mais épanouissante pour cet homme d’action. Sans surprise, le succès est au rendez-vous pour Perella Weinberg Partners. Ses équipes grandissent, jusqu’à compter 600 collaborateurs capables d’exercer à la fois en conseil et en asset management. "Je ne me suis jamais considéré comme le pilote d’une équipe. J’ai toujours pu travailler avec des profils avec lesquels je suis complémentaire", ajoute celui qui sera notamment à l’initiative du rachat de Valentino et Balmain par l'émir du Qatar.
PDG
Pour des raisons personnelles, Bernard Gault quitte Perella Weinberg Partners en 2015. "À ce moment-là, mes interlocuteurs au Qatar me demandent de remettre de l’ordre dans une société britannique d’accessoires et de maroquinerie de luxe dont l’émir est en partie propriétaire et qui perd beaucoup d’argent : Anya Hindmarch", se souvient celui qui prend alors sa première mission de président de transition. Très vite, le financier perçoit les failles du modèle économique de la structure, repère les leviers de croissance potentiels, cherche à comprendre l’histoire de la marque. Et, comme à son habitude, cerne l’âme du projet et l’intention de son fondateur. "C’est à la fois passionnant et amusant, explique-t-il avec toujours la même vivacité. La mission mêle des aspects créatifs et des notions très rationnelles. Il faut savoir jongler." En parallèle, l’homme rejoint le conseil d’administration de plusieurs sociétés, notamment OVH et Elior, le spécialiste de la restauration collective. En 2022, tandis que le groupe est en redressement, son dirigeant démissionne de façon soudaine. Parce qu’il est un administrateur actif et qu’il possède une solide expérience, Bernard Gault est réquisitionné.
"C’est un homme de chiffres, un vrai banquier et en même temps, il très accessible, disponible, enthousiaste, à l’écoute des opérationnels. C’est un vrai facilitateur. Ce qui ne l’empêche pas de dire ce qu’il pense et de prendre les décisions qu’il estime nécessaires. Il a beaucoup de courage" Esther Gaide, CFO, Elior
Il est alors nommé DG puis PDG. Sa mission ? Remettre l’entreprise sur les rails. Pour cela, l’homme applique toujours la même méthode : tranquillement, mais avec détermination, il analyse la situation, échange avec les opérationnels, définit la gouvernance, fait des choix, imagine de nouveaux business models… "Ce n’est que du bon sens", précise celui qui, en l’espace d’un an, redresse la barre, parvenant ainsi à créer les conditions permettant l'acquisition de la société Derichebourg courant 2023. Une opération qui offre à Elior un équilibre sur le plan financier.
Passionné
"Ce deal n’aurait pas vu le jour sans Bernard Gault, assure sans vaciller Esther Gaide, CFO du groupe. Il a été réellement moteur. C’est un homme de chiffres, un vrai banquier et en même temps, il très accessible, disponible, enthousiaste, à l’écoute des opérationnels. Il a envie de trouver des solutions. C’est un vrai facilitateur. Ce qui ne l’empêche pas de dire ce qu’il pense et de prendre les décisions qu’il estime nécessaires. Il a beaucoup de courage." S’il semble faire l’unanimité, c’est sans doute parce qu’il ne perd jamais une occasion de dire merci, de valoriser ses équipes, de faire en sorte que chacun, au sein de la société, soit fier de ce qu’il entreprend au quotidien. Tout comme lui est fier de son travail accompli en tant que PDG. Pas question toutefois de se cramponner à ce poste. L’homme n’a que faire des titres prestigieux. Comme prévu, Bernard Gault laissera sa place de PDG à Daniel Derichebourg le 18 avril 2023. Et après ? Ce touche-à-tout ne risque pas de s’ennuyer. Il pourrait d’ailleurs bientôt mettre ses talents et ses qualités au service d’une autre société familiale aux enjeux capitalistiques ou de gouvernance. "À condition que le challenge soit fun et amusant", confie le bâtisseur, avec le sourire et la vivacité d’esprit qui le caractérisent. En parallèle, Bernard Gault poursuit son rôle de président de la fondation CentraleSupelec. Et, lorsqu’il a un moment, cet épicurien a bien l’intention de continuer à profiter de ses deux principales passions : la gastronomie française et l’art. "Cela me permet de rencontrer des personnes toujours très différentes et de très grande qualité", conclut celui qui, sans surprise, dort peu. Si bien que ses amis lui recommandent parfois de se ménager. Oui mais voilà, ce n’est pas inscrit au programme de ce passionné jovial qui, à l’évidence, croque la vie à pleines dents.
Capucine Coquand
Directrice de Quintessence, le studio d'écriture du Groupe Ficade. Retrouvez l'ensemble des portraits Quintessence sur le lien suivant.