À rebours des croyances imaginant un remplacement des humains par l’outil, le développement de l’IA chez Schneider Electric a donné lieu à de nombreuses créations d’emplois, et permet des montées en compétences pour l’ensemble des effectifs. Christian Lambert, VP stratégie sociale et relations sociales chez Schneider Electric, partage sa réflexion et la stratégie qui en découle, pragmatique et sans mystification.

 

Décideurs RH. Où en êtes-vous de l’adoption de l’IA chez Schneider Electric ?  

Christian Lambert. Nous travaillons sur deux volets : en interne, nous développons l’IA pour l’ensemble de nos métiers et fonctions – que ce soit du côté de nos usines ou dans le tertiaire ; pour nos clients, nous nous appuyons sur l’IA pour tout ce qui relève de la gestion de l’énergie.

En 2021, nous avons créé un département IA, doté d’une gouvernance propre et étroitement connecté avec l’ensemble des divisions du groupe. L’équipe comptait alors 70 personnes ; aujourd’hui, l’effectif est passé à 380 collaborateurs, répartis en France, en Inde et aux États-Unis.

En quoi cette nouvelle technologie modifie-t-elle la fonction RH ?

Côté RH, nous sommes partis d’une application de l’IA avec une automatisation basique. Désormais notre système est plus sophistiqué, intégré et intelligent. Il nous amène à perfectionner nos bases de données, visant à aider les départements RH dans leurs processus de travail. Pour les collaborateurs, nous travaillons à développer les compétences, à la fois pour ceux qui créent les IA et pour leurs utilisateurs – à savoir potentiellement toute personne salariée de Schneider Electric.

Avez-vous des exemples concrets d’applications de l’IA chez vous ?

Parmi nos clients, dans les usines de production, nous développons une IA permettant de détecter les pannes et dysfonctionnements qui pourraient survenir, trois, voire quatre mois à l’avance, ce qui permet d’assurer une maintenance en temps et en heure. Et côté fonction RH, nous disposons depuis un peu plus de trois ans de la plateforme Open Talent Market (OTM), dans lequel tout collaborateur peut renseigner ses expériences passées –  grâce à son CV, en le téléchargeant ou en important son profil LinkedIn) – mais également ses souhaits d’évolutions – évolution managériale ou expertise, mobilité géographique... –. Cela permet à l’IA intégrée à cette plateforme de proposer régulièrement des postes ou missions en interne, sur la base des compétences déclarées et requises. Ce dispositif crée une dynamique très motivante, qui ouvre le champ des possibles : pour le collaborateur, qui se voit offrir des missions dont il n’aurait pas forcément eu connaissance, et pour le recruteur, en limitant les biais, et en proposant des profils auxquels il n’aurait pas pensé.

Vous venez d’annoncer un nouvel accord de GEPP qui couvre largement les enjeux de l’IA. Pouvez-vous le décrire ?

L’accord a été signé en juillet 2024, et repose dans son principe sur une SERC – Stratégie des emplois, des ressources et des compétences – grâce à laquelle la fonction RH peut aligner sa stratégie avec celle de l’entreprise, qui est principalement orientée autour de la soutenabilité et du digital.

Concrètement, cette SERC permet d’identifier les besoins quantitatifs et qualitatifs en matière de compétences sur une période de trois ans. Les données sont consolidées au niveau territorial en France, et sont discutées une fois par an avec nos partenaires sociaux, business unit par business unit, avant d’être communiquées à l’ensemble des collaborateurs.

Cela les met en mesure d’anticiper et planifier les besoins de formation, et donc les nouvelles compétences, qui tournent en grande majorité autour du digital et de l’IA. Nous avons donc développé deux formations phares en complément de l’offre e-learning sur le sujet : l’une sous forme ludique qui s’adresse au tertiaire, "Le jeu de l’IA". Elle a pour objectif de faire connaître et démystifier l’outil. L’autre est destinée aux équipes en usine, et repose sur le principe de l’inclusion numérique, afin de susciter leur appétence pour l’IA et de renforcer leur connaissance de ce qu’elle recouvre.

Comment le dialogue social s’est-il déroulé ? Quels en ont été les points saillants, qui pourraient inspirer vos homologues dans d’autres entreprises ?

La vague de l’IA est souvent comparée à la première vague du digital, qui nous a amenés à organiser l’accompagnement de nos partenaires sociaux. L’idée aujourd’hui est d’anticiper. Le principe que j’ai décrit sur la SERC date d’il y a quatre ans : avant, nous segmentions beaucoup et nous ne donnions pas de vision globale à nos partenaires sociaux sur le développement des compétences chez Schneider Electric. Désormais, c’est l’inverse : nous leur donnons la vision globale, puis nous entrons dans le détail, entité par entité, CSE par CSE.

Nous abordons aussi l’arrivée et le développement de l’IA par la mise en place d’un outil servant non seulement à la fonction RH pour anticiper les recrutements et plans de formation, mais aussi aux partenaires sociaux, afin qu’ils communiquent avec les équipes sur les conséquences de la SERC. Enfin, elle est utile aux collaborateurs eux-mêmes, dans tout ce qui relève de leur suivi de formation et orientation de carrière.

Chez Schneider Electric, nous sommes mieux armés pour aborder le développement de l’IA que ne nous l’avons été pour celui d’autres technologies – ne serait-ce qu’en coupant court aux craintes de remplacement des individus par l’outil.

"L’IA a créé 370 emplois dans le monde, dont 35 % en France"

Justement, qu’en est-il de l’employabilité ?

La question principale autour de l’impact de l’IA sur l’emploi chez Schneider Electric revient à observer combien de postes seront supprimés dans les années à venir. Or aujourd’hui, le bilan est positif : il n’y a eu aucune suppression d’emploi liée à l’IA. Bien au contraire, l’IA en a créé 370 dans le monde, dont 35 % en France.

Sur le moyen et le long terme, il est évident qu’il y aura des conséquences, comme il y en a toujours eu à chaque révolution industrielle ou technologique : dans les usines, les profils mécaniques et qui se trouvent sur les lignes de production devront acquérir de nouvelles compétences portant sur l’IA, et devront donc être accompagnés sur le plan de la formation. C’est vraiment cela que nous devons anticiper.

Quelles sont selon vous les perspectives qu’ouvre l’IA ?

Je pense que l’IA est une excellente occasion d’attirer de jeunes collaborateurs vers l’industrie en France. Il y a de très nombreuses passerelles et perspectives de développement chez Schneider dans ce domaine.

Ensuite, l’IA facilite le travail d’une grande partie des effectifs, notamment en matière de recherche, pour les juristes en droit social et dans le reste de la fonction RH. Grâce à l’IA, en quelques secondes, l’information leur sera disponible. La question est ensuite de savoir comment réallouer ce temps économisé – gagner du temps libre ou le réinvestir sur d’autres tâches à valeur ajoutée. L’analogie avec le passé est facile : le port de charges lourdes était la norme pour certains métiers, avant qu’elle ne soit modifiée par les machines. Aujourd’hui, c’est la charge mentale qui se trouve allégée.

"L’IA requiert la main humaine et l’esprit critique pour assurer leur valeur aux informations"

On dit souvent que l’IA allégera le travail et améliorera ainsi la QVCT. Pourtant, ne donner que des tâches difficiles aux collaborateurs, même sur des journées plus courtes, peut aussi susciter des risques de burn-out…

Il me semble utopique de croire que seules les tâches à haute valeur ajoutée perdureront. L’IA requiert la main humaine et l’esprit critique – en plus de la compliance et l’éthique – pour assurer leur valeur aux informations. En résumé, nous n’en sommes pas là.

D’après vous, quels sont les grands défis sociaux que pose l’IA ? Sur quels aspects faut-il avancer avec prudence ?

D’abord, 88 % des industriels mènent des projets liés à la data et à l’IA, et seuls 7 % parviennent à atteindre leurs objectifs. Pourquoi cette différence ? Parce qu’il faut réunir les bonnes conditions pour obtenir un "miracle". En premier lieu, la data doit être exhaustive et ordonnée. Ensuite, celles et ceux qui travaillent sur la data doivent collaborer étroitement avec les utilisateurs pour assurer l’adoption de l’outil. Enfin, il faut que les personnes qui conçoivent les outils d’IA aient les bonnes compétences et la bonne approche. Or ce n’est pas encore le cas. 

D’un point de vue RH, nous devons donc tenir compte de ces prérequis, en nous gardant d’être euphoriques, et y aller pas à pas, aussi bien à l’échelle de l’entreprise que dans la fonction RH. Ainsi nous nous assurerons que la valeur ajoutée de l’IA soit probante sur le terrain. Pour y parvenir, nous travaillons par groupes de travail, selon une méthode agile, en passant par différentes phases : j’imagine, j’explore, j’incube, j’industrialise, je rends opérationnel. Nous faisons cela systématiquement, projet par projet, afin d’éviter de nous éparpiller sur l’approche. 

Qu’en est-il des questions de RGPD, compte tenu de l’exigence de sophistication des bases de données ?

Nous avons fait un travail spécifique sur les bases de données, de sorte que notre ChatGPT interne, destiné à l’ensemble des équipes, soit fondé sur une base de données moins détaillée, et que celui consacré à la fonction RH soit, lui, plus complet. L’idée étant de garantir que les informations soient aussi protégées que possible.

Les études montrent que les salariés se sentent surveillés, notamment en télétravail. Or, détecter les RPS grâce aux IA impliquerait une surveillance institutionnalisée des effectifs. Comment avertissez-vous les équipes de ces éventuelles applications de l’IA ? Quelles garanties donnez-vous aux équipes ?

Nous ne faisons pas le moindre contrôle. Que nos collaborateurs soient en télétravail ou pas, nous prônons la confiance et faisons tout reposer sur la relation entre manager et salarié, ainsi que sur le fait que les objectifs individuels soient atteints ou pas.

Sur les RPS, à l’échelle mondiale, nous avons réfléchi à des systèmes de détection implantés sur les boîtes mail des collaborateurs, pour pouvoir signaler des connexions trop tardives ou matinales, afin d’alerter la fonction RH d’une surcharge de travail éventuelle. Néanmoins, nous sommes encore en phase d’exploration, sans avoir mis l’outil en application. En aucun cas l’objectif ne serait de lire le contenu des échanges.

Propos recueillis par Judith Aquien

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