Reynald Naulleau est à la fois un entrepreneur visionnaire et un père qui a découvert la réalité du handicap à la naissance d’une de ses filles. En se rapprochant du groupe Sifu, entreprise adaptée, leader depuis trente ans du recrutement de personnes en situation de handicap, le dirigeant a lancé Refruiting.fr, qui livre – entre autres – des fruits aux entreprises. Diverses entreprises du CAC 40 sont déjà conquises. Entretien.
Reynald Naulleau, CEO, Refruiting : "Nous ouvrons la porte de l’entrepreneuriat aux personnes en situation de handicap"
Décideurs RH. Quelle est la genèse entrepreneuriale de Refruiting ?
Reynald Naulleau. Je suis créateur d’entreprise, fils d’agriculteur, et une de mes filles se trouve en situation de handicap. J’ai réfléchi à un modèle d’entreprise qui corresponde à ce qui me porte, et à ma volonté d’offrir un horizon aux personnes en situation de handicap. J’ai lancé Refruiting en juin 2023 au sein du groupe Sifu qui, par son statut d’"entreprise adaptée", emploie donc au minimum 55% de personnes en situation de handicap, sachant que pour notre part, nous en employons 70%.
Refruiting propose la livraison de paniers de fruits de saison en entreprise sans engagement, à vélo dans Paris intra-muros ou en véhicule électrique dans toute l’Île-de-France. L’ensemble de notre chaîne logistique est assurée par nos salariés en situation de handicap : achats auprès des producteurs, préparation, livraison, administration comptable et financière. Le service a immédiatement remporté un grand succès : plus de 250 clients par semaine font appel à nous, dont de grands groupes comme L’Oréal, la Société générale, Valeo, Vinci, Amazon, ou encore Bouygues. Nous ne cessons de grandir et de nous diversifier : désormais, nous livrons aussi du café, des fruits secs bio, des jus bio et des cookies "handi-gaspi", confectionnés par des personnes en situation de handicap à partir d’invendus bios.
Vous employez des personnes en situation de handicap : d’où vient cet engagement et quelle dynamique d’entreprise est-ce que cela suscite ?
Aujourd’hui, nous employons deux personnes en situation de handicap pour un encadrant « valide », plus moi. Toutes les personnes valides qui composent les équipes ont souvent un lien avec quelqu’un qui est en situation de handicap, comme moi avec ma fille. À la fin de l’année, nous aurons environ treize personnes en situation de handicap et deux encadrants.
Toutes sortes de handicaps sont représentés chez nous, sachant que 80% des handicaps sont non visibles. Pendant les processus de recrutement, nous veillons à bien nous assurer que chaque personne se voie assigner des tâches qu’elle pourra mener (par exemple, un handicap mental va empêcher de conduire des tâches administratives ; un handicap physique rendra la préparation de commande difficile).
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Quelles sont les clés de votre succès ?
La direction de l’Oréal nous a dit avoir choisi Refruiting pour trois raisons : proposer une alimentation saine au bureau (nos produits sont d’origine française, locaux et de saison, venant principalement aussi d’Ésat, établissements et service d’accompagnement par le travail) ; soutenir une entreprise engagée pour l’emploi des personnes handicapées, ce qui au passage lui permet de faire des économies car en passant par une structure adaptée, les entreprises peuvent réduire leur contribution Agefiph à hauteur de 15% environ de la dépense faite chez Refruiting. Et enfin, notre offre est souple, sans engagement, ce qu’apprécient beaucoup nos clients.
Au sein de Refruiting, comment se fait le recrutement, quelles sont les conditions managériales que vous proposez aux équipes ?
Nos annonces d’emploi figurent sur le site du groupe, mais nous travaillons aussi avec des agences spécialisées dans le recrutement de personnes en situation de handicap, dans le réseau d’entreprises adaptées de France APF Entreprises. Nous étudions chaque candidature en analysant si le handicap est compatible avec nos activités, puis nous procédons, comme toute entreprise classique, à la création du contrat. Ceux-ci ont un format classique, en CDI, avec des salaires au-dessus du marché et un vrai travail sur l’upskilling : un préparateur de commande bénéficiera de davantage de formations chez nous qu’ailleurs.
Du point de vue managérial, le service RH est très présent, nous faisons en sorte que les conditions de travail et de salaire soient bonnes et incluent, comme dans toute entreprise, des augmentations de salaire régulières.
À ce stade, nos contrats sont de 26 heures par semaine, ce qui correspond à ce dont l’entreprise a besoin, mais nous avons comme objectif de parvenir à des contrats aux 35 heures, qui seront adaptés selon les handicaps des personnes évidemment.
"Nous travaillons tous avec l’objectif commun de donner un futur aux personnes en situation de handicap"
Comment Refruiting donne-t-elle du sens à votre vie d’entrepreneur et de père ?
Nous travaillons tous avec l’objectif commun de donner un futur aux personnes en situation de handicap. Ce qui me fait me lever le matin et coucher le soir, c’est ça. Nous avons une belle croissance, comme une start-up qui fonctionne bien, et tout cela s’associe à un engagement central pour nous.
Aujourd’hui, trois quarts des personnes en situation de handicap sont au chômage en Europe, et compte tenu de ce constat catastrophique, nous ouvrons la porte de l’entrepreneuriat aux personnes en situation de handicap. Pourquoi ces gens devraient-ils soit travailler en fondation, soit ne rien faire ?
Ce que nous voulons avant tout, c’est montrer aux personnes en situation de handicap et à leur famille qu’elles ont un horizon professionnel. Je pense souvent au futur de ma fille avec son handicap moteur, et je suis fier de penser qu’elle pourrait tout à fait intégrer notre start-up Refruiting, faire partie d’une entreprise qui possède un concept innovant au service du handicap, de l’inclusion et de la diversité !
Propos recueillis par Judith Aquien