Aude Bray, (Marine nationale) : "La vision d’une hiérarchie rigide de l’armée ne correspond pas à la réalité"
Décideurs. En 2020, vous étiez en mer. Comment se gère une crise sanitaire lorsqu’on est loin du continent ?
Aude Bray. La gestion de crise fait partie intégrante du quotidien des militaires. Nous sommes un peu ceux qui sont là quand plus personne n’y est. L’inconnu constitue l’essence de notre quotidien. En mer, lorsqu'on ne peut plus apercevoir les côtes et qu’il n’y a plus que l’horizon, il est difficile de savoir ce qui nous attend. En 2020, nous étions en mer au même moment que le Charles de Gaulle. Nous effectuions la mission Jeanne d’Arc qui clôt la formation initiale des officiers de marine et s’effectue durant cinq mois et demi. Elle suscite chez les jeunes marins beaucoup d’excitation, d’attente. Mais une fois parvenus à Djibouti, nous avons appris que les frontières se fermaient. Il nous était alors impossible d’atteindre l’Australie. Nous devions reconfigurer la mission dans le périmètre de l’océan Indien. Notre bâtiment de combat étant conçu pour être déployé en temps de crise, nous avons pu participer à l’opération Résilience contre la propagation du Covid-19.
Comment avez-vous su maintenir la cohésion au sein de l’équipage ?
La formule "être dans le même bateau" a pris tout son sens puisque nous étions 600 à être confinés dans un porte-hélicoptère amphibie de 200 mètres de long. Certes, il y a un peu plus d’espace que dans un studio et il a fallu se serrer les coudes. Par chance, personne n’était cas contact. Ce qui a véritablement changé était le besoin de savoir si les proches sur terre allaient bien. En temps normal, nous savons que la base arrière est en sécurité. Là, ce n’était pas le cas. La nécessité de dialoguer était plus forte. Le micromanagement, déjà fondamental dans nos métiers, est alors apparu crucial. Ce que nous faisions habituellement pour un marin dont la famille sur terre n’allait pas bien, nous l’avons fait pour tous.
"Le management individuel est dans l’ADN de l’armée. ".
Les méthodes de management de l'armée sont plus modernes qu'il n’y paraît dans le monde civil...
Le management individuel est dans l’ADN de l’armée. Sur un bateau, les portes maintenues ouvertes sont un signal de disponibilité et d’écoute à l’autre. Lorsqu’il embarque sur un nouveau bateau, le chef de service reçoit tous les marins, nous discutons de l’unité, du choix de l’affectation, des souhaits de carrière mais aussi de sa situation familiale et affective. Un marin qui n’est pas épanoui dans sa vie privée ne sera pas opérationnel à bord. Cela est inenvisageable de ne pas connaître le personnel avant d’appareiller.
L’armée permet-elle certaines facilités managériales par rapport au secteur privé ?
Nous disposons en effet de nombreux leviers managériaux. Un point important me semble être que l’évolution de carrière fait partie de l’ossature de l’institution. L’ascenseur social existe. Un matelot peut devenir chef d’état-major et chaque marin change de poste tous les deux ou trois ans. Il existe une véritable valorisation de l’expérience. Nous dépendons également d’une même grille salariale, cela évite les inégalités, y compris entre les homme et les-femmes. La vision très hiérarchique que l’on se fait de l’armée ne correspond pas à la réalité. L’entre-aide et le dialogue animent nos façons de collaborer. Pour un officier, il faut prendre le temps d’expliquer les missions, de discuter des objectifs avec l’équipe. L’idée est de ne donner des ordres que lorsque cela est impératif et de pas galvauder cette particularité militaire.
Vous incarnez le leadership au féminin, pensez-vous convaincre d’autres jeunes femmes à accéder à des postes d’officiers ?
J’ai trouvé cela très naturel de devenir une jeune femme officier. Je n’ai jamais eu peur de solliciter de l’aide auprès des aînés et étrangement les hommes étaient moins habiles à le faire. Je ne sais pas si dans mon cas l’on peut parler de leadership au féminin ou de leadership tout court !
Propos recueillis par Elsa Guérin