Raymond Soubie, l'éminence grise
Certes, les hommes de pouvoir sont habitués aux compliments et à la flagornerie. Mais, lorsqu’à l’été 2017 Raymond Soubie estime qu’Emmanuel Macron, élu depuis quelques mois, a comme une "forme de génie au-dessus de lui" qui "foudroie ses adversaires", les connaisseurs des arcanes des accords syndicaux ont sûrement pensé : tiens, le jeune président est adoubé par le pape des négociations sociales.
Dans les arcanes du pouvoir
Car d’une certaine manière, Raymond Soubie est la référence française en la matière. Et ce depuis des décennies. En 1969, alors qu’il n’est qu’un jeune énarque de 29 ans, il entre dans le cabinet de Joseph Fontanet, ministre du Travail de Georges Pompidou. Il y fait ses armes dans un contexte où l’exécutif "lâche du lest" dans le cadre des accords de Grenelle. À l’arrivée au pouvoir de Valéry Giscard d’Estaing, il prend du galon et devient conseiller social du premier ministre Jacques Chirac. Son successeur, Raymond Barre, le garde à ses côtés.
Ceux qui l’ont côtoyé durant ces années définissent la "méthode Soubie" de la manière suivante : capacité à faire des concessions sur l’accessoire pour maintenir l’essentiel, ne jamais hausser le ton, ne jamais humilier publiquement, s’adresser de la même manière au patron et au syndicaliste. Une méthode qui fera ses preuves jusqu’à l’arrivée de la gauche au pouvoir.
Entrepreneur
François Mitterrand impose logiquement ses hommes ? Pas un problème pour Raymond Soubie qui rejoint le secteur privé où il transpose son savoir-faire acquis sous les ors de la République. En 1981, il prend la direction du groupe de presse Liaisons, spécialisé dans les questions sociales. En 1992, il vole de ses propres ailes en créant le groupe de conseil en ressources humaines Altedia qui comptera jusqu’à 800 consultants. Adecco fera l’acquisition de la société en 2005. Désormais à l’abri du besoin, Raymond Soubie aurait pu continuer dans le privé, mais il retourne à son premier amour : la politique.
Depuis Georges Pompidou, l'influence de Raymond Soubie sur les négociations sociales est réelle
Retour dans le bain politique
En 2007, Nicolas Sarkozy le clame à qui veut l’entendre : il souhaite s’entourer des meilleurs. En tête de liste pour intégrer le poste de conseiller social figure logiquement Raymond Soubie qui reprend du service. C’est sous son égide qu’est adoptée, notamment, l’ambitieuse réforme des retraites de 2010. Lors des négociations, le conseiller est le calque opposé du président, l’un est pondéré, l’autre volubile, l’un adepte du temps court, l’autres des palabres. Mais le duo fonctionne et Raymond Soubie conseille également plusieurs ministres pour mener à bien leurs relations sociales.
La stratégie du "en même temps"
Désormais, Raymond Soubie est chef d’entreprise "et en même temps" toujours actif dans le débat public. Depuis son départ de l’Élysée, il dirige Alixio, groupe de conseil qui a déjà accompagné 400 entreprises "dans leurs transformations RH, stratégiques, organisationnelles et managériales". Son rôle de patron ne l’empêche pas d’intervenir dans le débat public où il fait figure d’oracle avec une parole rare mais régulière. Parmi ses plus récentes positions, un satisfecit sur le plan de relance et l’accompagnement en période de crise sanitaire. "Je ne prendrais pas des mesures totalement différentes du gouvernement sur le plan économique", confie celui pour qui la conjoncture actuelle est un "séisme" contre lequel il faudra "réinventer une politique". Gageons que lors de cette phase de réinvention, Raymond Soubie ne sera pas loin et que ses conseils seront prisés.
Lucas Jakubowicz