Depuis trois semaines, syndicats et patronat s’entretiennent par visioconférence pour actualiser le cadre du travail à distance. Le point sur l’avancée ou la stagnation des négociations.

Difficile d’ignorer l’explosion du télétravail à la faveur de la crise sanitaire. Articles, plateaux de télévision, conversations du quotidien : il est partout. Et les chiffres d’enfoncer le clou : durant la pandémie, près de 40% de l’ensemble des heures travaillées par les actifs européens auraient ainsi été effectuées à domicile. La généralisation du télétravail ne fait plus aucun doute comme le constat d’une possible dégradation de la santé psychique des salariés. Près de la moitié d’entre eux, indique le Baromètre conçu par Empreinte Humaine et Opinion Way, se déclarent en situation de détresse psychologique. Ce qui ne manque pas de soulever la question de son encadrement. 

Certains de nos voisins européens se sont déjà emparés du sujet. En effet, depuis le mois de septembre, les employeurs espagnols doivent signer un contrat individuel avec chacun des collaborateurs télétravaillant plus d’une journée et demi par semaine. L’avenant régit les plages horaires, les moyens mis à disposition des salariés ainsi que la forme de compensation prévue pour les frais générés. En France, seul l’accord national interprofessionnel (ANI) de 2005 introduisait jusqu’ici des dispositions législatives en matière de télétravail. Et, tous les télétravailleurs ne bénéficient pas d’un cadre réglementaire. Pour deux tiers d’entre eux, en effet, le télétravail gris prévaut. 

Points noirs et télétravail gris

La nécessité d’endiguer ce phénomène fait consensus, ne serait-ce que pour sécuriser et le salarié et l’employer. Le point de discorde ? La manière de s’y prendre comme en témoignent les négociations entre partenaires sociaux dont on attend toujours les conclusions définitives. Il faut dire qu’elles étaient, dès le départ, mal engagées tant les positions des camps en présence divergeaient. D’un côté, les organisations patronales souhaitant un texte qui ne soit "ni normatif", "ni prescriptif". De l’autre, les syndicats rappelant le caractère forcément contraignant d’un nouvel ANI et refusant de signer ce qui s’apparenterait à un "guide de bonnes pratiques".

Pour deux tiers des salariés, le télétravail gris prévaut.

Autour de cette fracture constitutive, se sont multipliés les points de friction. Ainsi, alors que le patronat estime que la définition des postes télétravaillables incombe uniquement à l’employeur, il doit relever, pour les représentants des salariés, du dialogue social en entreprise. Ce dernier leur paraît, de manière générale, bien trop limité voire entravé par la possibilité d’utiliser la visioconférence ou d’accélérer la consultation des CSE. On peut également citer pêle-mêle la question du volontariat et de la réversibilité du télétravail ou celle de sa place en cas de circonstances exceptionnelles, la prise en charge des frais professionnels ou le droit à la déconnexion. 

Des compromis jugés insuffisants

Le texte attendu dans les prochaines heures devrait néanmoins entériner quelques compromis consentis par le Medef, la CPME et l’U2P. Première concession : l’abandon de l’idée d’un assouplissement de la législation sur les accidents du travail au domicile du salariés, "ligne rouge" pour toutes les organisations syndicales. Le document confirmerait l’application de "la présomption d’imputabilité" au télétravail. La CGT n’a, certes, pas réussi à obtenir le retour de l’avenant au contrat de travail pour tout accord concernant le télétravail. Mais, le patronat rappelle "l’utilité de recourir à un écrit, quel qu’il soit". En revanche, le renvoi au dialogue social pour le remboursement des frais est jugé insuffisant.

Obstacles restant à lever : définition des postes éligibles, motivation en cas de refus et télétravail exceptionnel

L’obscurité prédomine également sur la définition des postes éligibles. Autres pierres d’achoppement : la motivation en cas de refus du télétravail de la part de l’employeur et le télétravail exceptionnel. Sur ce dernier point, la CFDT regrette par exemple qu’un processus de gestion de crise ne soit pas explicitement prévu, ce qui permettrait notamment une meilleure prévention des risques psychosociaux ou un dialogue social plus "musclé". Sans avancée majeure sur ces enjeux, un accord a peu de chance d’émerger d’ici la fin de journée…ou de l’année. 

Marianne Fougère

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